Crowdfunding : quand les citoyens financent leur ville (1/2)
Les plate-formes web de « financement par la foule » (crowdfunding) permettent aux citoyens de faire des innovations territoriales en initiant ou en participant à des projets qui n’auraient probablement jamais pu voir le jour autrement. Un modèle qui répond à l’appétit citoyen pour la chose urbanistique mais aussi aux budgets limités des municipalités.
Rodrigo Nino fait des miracles. Quand on sait que cet entrepreneur colombien dirige une entreprise baptisée Prodigy Network, cela n’a rien d’étonnant. Mais tout de même : solliciter les habitants de Bogota pour financer la construction d’un gratte-ciel dans la ville et réussir à collecter 132 millions d’euros en quelques mois révèle un certain sens du business participatif. Fort de ce coup d’éclat, Rodrigo Nino entend maintenant creuser le sillon du crowdfunding à visée urbanistique en étendant ce modèle de financement à la ville tout entière. Pour passer du rêve à la réalité, il a lancé un site dédié, baptisé Miciudadideal.com (« Ma ville idéale »), sur lequel les citoyens peuvent partager leurs idées et leurs projets pour changer le visage de la ville.
Du crowdsourcing au crowdfunding
L’histoire du gratte-ciel de Bogota est l’une des plus belles success-stories de la brève histoire du crowdfunding, ce mode de financement participatif via Internet qui permet à un large public de soutenir des projets culturels, citoyens et urbanistiques porteurs de dynamiques locales. Ouverture d’une AMAP, rénovation d’un monument emblématique, création d’un espace de coworking… De plus en plus de projets sont initiés par les citoyens pour « améliorer » leur ville. Mais impossible de comprendre le succès du crowdfunding à l’échelle urbaine sans s’intéresser à une autre petite révolution, celle du crowdsourcing, c’est-à-dire l’utilisation des connaissances et du savoir-faire des citoyens pour recueillir des données et des informations supplémentaires sur les villes. De Glasgow à Sao Paulo, toutes les grandes métropoles sollicitent désormais leurs habitants pour les aider à imaginer la ville de demain et résoudre les problèmes du quotidien. La métropole brésilienne, par exemple, a lancé Myfuncity, autoproclamé « premier réseau social privé d’intérêt public », qui permet notamment aux habitants d’évaluer la qualité de vie à Sao Paulo en notant douze critères (circulation routière, environnment, sécurité, aide sociale, santé…). Dans un autre registre, grâce à l’application web « Adopt-a-Hydrant », la ville de Boston propose à ses habitants de prendre soin de l’une des 13 000 bouches d’incendies de la ville. Donner la parole aux citoyens, leur permettre de s’impliquer plus directement dans l’évolution de leur ville et trouver des réponses participatives aux budgets serrés des municipaliéts en temps de crise : voilà ce qu’a changé le crowdsourcing. Une nouvelle manière d’appréhender l’urbanisme et le vivre ensemble que le crowdfunding pousse encore plus loin.
Changement d’échelle et transparence
Le recours aux microdons des citoyens a plusieurs effets salvateurs. D’abord, il permet de faire aboutir en peu de temps des projets qui n’auraient probablement jamais vu le jour autrement, soit parce qu’ils ne sont pas assez « rentables », soit parce qu’ils n’ont qu’une portée ultralocale. Dans son étude « Alléger la ville », consacrée aux vertus du crowdfunding, la Fondation Internet Nouvelle Génération (Fing) souligne ainsi l’impact positif de ce « changement d’échelle » qui rend possible des projets « auxquels la ville ne pouvait accorder son temps et son énergie car elle a d’autres priorités, mais qui passionnent les citoyens. »
Autre vertu du crowdfunding : la transparence. Le financement des projets est ouvert à tous et son état d’avancement observable en temps réel, ce qui permet de sortir de l’opacité habituelle des financements publics et privés. Les villes peuvent aussi s’en servir comme d’un outil de veille, pour comprendre autour de quels projets les citoyens se mobilisent le plus (création de jardins partagés, ouverture de commerces de proximité, développement d’une application de cartographie collaborative…). Surtout, le crowdfunding apparaît comme la solution idéale pour tisser du lien social, pour renforcer la conscience civique à l’échelle d’un quartier ou d’une ville. Il permet d’« inventer de nouvelles modalités de contribution au développement économique local en soutenant l’innovation ascendante citoyenne, sociale et hétérodoxe », écrit Marine Albarede, de la Fing, dans un article publié sur le site Internet Actu.
Démocratie à la carte ?
Si la plupart des projets sont initiés par les citoyens eux-mêmes, les villes ont compris que rien ne leur interdisait de passer également par ces plate-formes. La ville de Kansas City (Missouri), par exemple, a pu mettre en place son réseau de vélos en libre service en récoltant 420 000 dollars de dons sur le site Neighbor.ly. Certaines municipalités créent leur propre site, mais la solution la plus simple pour elles consiste à s’appuyer sur une plate-forme déjà existante (Kiss kiss bank bank, Octopousse ou Ulule par exemple) et d’y ouvrir une « fenêtre territoriale ».
Bien sûr, beaucoup de projets ne parviennent pas à rassembler la somme nécessaire, et ceux qui franchissent cette étape butent parfois sur des querelles bureaucratiques qui retardent leur mise en oeuvre. Mais le crowdfunding demeure tout de même un mode de financement efficace, et surtout une solution pratique pour les municipalités en manque de liquidités. Au point que certains y voient carrément l’avenir du service public… Dans un article analysant les possibles dérives possibles du crowdfunding, le Boston Globe parlait même d’une forme de « démocratie à la carte », qui pousserait les citoyens capricieux à ne soutenir que les projets ultralocaux qui les concernent directement. Une critique pertinente, qui n’occulte pas pour autant les multiples atouts du crowdfunding. À l’heure où l’avenir des villes est toujours associé à des thématiques complexes et un peu obscures comme le « big data » et les « réseaux intelligents », le financement participatif s’impose comme un moyen simple et populaire d’apprivoiser le futur de l’espace urbain.
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