Covid – Comment sauver l’âme de la fête ?
Alors que les beaux jours commencent à montrer leur nez, la question des fêtes et des grands rassemblements en temps de Covid va à nouveau se poser. Si d’un côté, les mesures sanitaires justifient la précaution, la solitude et l’isolement génèrent de plus en plus de troubles mentaux, en particulier chez les jeunes.
Teuffeurs en couveuse
Le concert des Flaming Lips en janvier dernier à Oklahoma City semble marquer le point d’orgue d’une année de Covid sans concerts ni spectacle. Cent bulles en plastique transparent étaient disposées dans la fosse de la salle The Criterion, de manière à accueillir des spectateurs de manière respectueuse des règles sanitaires. Chacune bénéficiait d’un petit ventilateur et d’un haut parleur pour un meilleur confort sonore. En plus d’une bouteille d’eau et d’une serviette, des pancartes où il était écrit « j’ai chaud » ou encore « je dois aller aux toilettes » étaient également fournies. En cas de besoin il suffisait de la brandir pour être accompagné à l’écart de la fosse par le personnel de la salle.
Les images de ces teuffeurs en couveuse ont peut-être enthousiasmé ceux qui n’en peuvent plus d’attendre le retour de leurs groupes favoris, elles ont sûrement aussi désespéré ceux qui attendent le retour des sensations « d’avant » et qui recherchent la vibration d’une foule. Moindre mal ou promesse d’un futur anesthésié sans émotions fortes ? Alors que la fête et la culture ont – de fait – été considérées comme non-essentielles par le gouvernement, de nombreuses voix s’interrogent sur son rôle pour notre société.
La fête est essentielle
Dans une tribune sur La Vie des Idées, l’anthropologue Laurent Sébastien FOURNIER s’attache à démontrer pourquoi la fête est au contraire essentielle. « »
Pour le chercheur, ce lâcher prise permet de rendre la réalité quotidienne acceptable. Il s’inquiète des conséquences d’une société sans ces espaces de respiration : « sans fêtes pour se libérer périodiquement des contraintes quotidiennes, il est probable que les gens chercheront des moyens moins innocents de se défouler et développeront plus d’agressivité, de frustrations et de violence. » Laurent Sébastien FOURNIER ajoute que la fête permet de lutter contre la dépression, mieux que le sport ou d’autres divertissements comparables qui sont plus tournés sur l’individu et moins sur la socialisation.
Retrouver le frisson
Pour la jeunesse, le constat est frappant. Depuis le début de l’épidémie, les troubles psychiques sont en forte augmentation chez les jeunes qui souffrent d’isolement et d’anxiété. « » admet Leïla, une étudiante de 20 ans au magazine Slate. Sans perspective pour se retrouver et se défouler, des solutions plus ou moins légales s’improvisent : c’est le cas des fêtes en appartement ou des fêtes clandestines comme celle du Nouvel An à Lieuron qui a défrayé la chronique.
Relayés par l’article de Slate, les professionnels du secteur partagent ces inquiétudes sur la dégradation de l’état de santé des jeunes. Ils condamnent en passant nombre de politiciens qui se sont empressés de stigmatiser les fêtes clandestines, sans chercher à trouver de solution durable pour le secteur. Faute de perspective concrète de réouverture, ils se sont organisés pour chercher des protocoles permettant d’accueillir du public en conservant les mesures sanitaires. Après une année blanche, la situation est déjà critique. D’après le Syndicat national des discothèques et lieux de loisirs (SNDLL), 430 lieux de nuit (presque un tiers des boîtes de nuit françaises) ont mis la clé sous la porte.
Reprise en main
Lancé en 2018, le Safe Project entend développer l’expertise des organisateurs d’événements européens en matière de sécurité. Entamé dans le sillage des attentats au Bataclan sur les risques liés au terrorisme, le programme s’est emparé de la question sanitaire pendant l’année 2020 et entend mettre au point des formations. « », souligne Pascal VIOT, coordinateur du Paléo Festival et président de l’Institut suisse de sécurité urbaine et événementielle, dans un webinaire Safe Project.
C’est précisément pour ne pas attendre un retour à la normale, ni dépendre des annonces gouvernementales que les professionnels de la fête ont pris les devants. Main dans la main avec des scientifiques et en concertation avec les ministères de la santé et de la culture, ils ont proposé d’organiser des concerts test. Courant avril, un concert à Paris et deux concerts à Marseille devraient permettre de mieux identifier les facteurs de propagation et les protocoles nécessaires à la tenue de grands rassemblements. À Paris, 5000 personnes masquées pourraient assister au concert d’Indochine sans distanciation sociale. Ces expérimentations s’inspirent de campagnes similaires menées en 2020 à Leipzig et à Barcelone.
En attendant l’immunité collective grâce aux vaccins, les protocoles des fêtes de demain sont peut-être en train de se dessiner, à l’initiative d’un secteur au bord du gouffre. Autre alternative à l’approche de l’été : démultiplier les événements en extérieur, moins exposés aux risques de contamination. Les friches et les tiers-lieux auront sûrement un rôle à jouer. Courant février, un nouvel espace culturel, le Kilomètre 25 annonçait son ouverture prochaine. « », de quoi faire entrevoir une lueur d’espoir…