Couvre feu : Quels changements pour nos villes ?
À la fin du mois d’octobre 2020, afin de lutter contre la progression du coronavirus, le gouvernement a imposé un couvre-feu pour 54 départements en France. En tout, ce sont 46 millions de français qui avaient donc pour impératif de rejoindre leur domicile dès 21 heures. Fermeture des restaurants et des bars de bonne heure, interdiction de circuler, c’est toute une pratique urbaine nocturne de la ville qui s’est mise sur pause.
Face à la frustration, diverses pratiques informelles, voire illégales, se développent. Aussi, les pratiques se transforment et s’adaptent pour préserver l’activité urbaine. Même si le confinement a pris la relève, quelles ont été les conséquences et à quoi pourraient-elles ressembler à long terme ?
Une longue histoire de couvre-feu
À l’origine, le terme de couvre-feu était littéralement utilisé pour couvrir un feu. En effet, pendant l’époque du Moyen-âge, les habitantes et habitants de villages étaient avertis par les sons de cloches des églises de l’arrivée de la nuit et de la nécessité de couvrir leur feu afin de limiter la propagation d’incendies au sein des maisons faites de bois. L’expression a ensuite évolué pour avoir le sens que nous connaissons aujourd’hui.
Entre le Moyen-âge et l’année 2020, des périodes de couvre-feu ont fortement marqué l’histoire de la France et la vie de ses citadines et citadins. Intervenant dans des climats extrêmement anxiogènes, ces situations se sont succédées jusqu’à récemment, impliquant une exclusion de certaines populations et une application partielle sur des territoires définis. Celle de la seconde guerre mondiale et de l’occupation allemande pendant laquelle les mesures restrictives se sont concentrées sur les juifs en 1942. Celle de la guerre d’Algérie également, pendant laquelle un couvre-feu est établi à Paris en 1962, aux seuls “français musulmans d’Algérie”. Celle durant les émeutes des banlieues françaises de 2005, en réaction à la mort de deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, menant à l’instauration d’un couvre-feu dans 21 communes françaises. Tout comme les mesures gouvernementales prises en 2015 suite aux attentats du 13 novembre, le couvre-feu ne concernait, dans certaines communes, que les personnes mineures.
C’est donc la première fois, qu’en France, cette mesure est instaurée à l’échelle nationale, dans un contexte de crise sanitaire et à destination de toutes les catégories de la population, pour une raison dépassant celle de l’ordre public au sens sécuritaire. Pour autant, la pratique conserve un caractère naturellement négatif, lié à ses précédentes applications, notamment discriminatoires, dans l’histoire du pays. Mais alors, outre un passé dérangeant, quels sont les liens entre la ville et le couvre-feu ? Et comment continuer à activer nos espaces urbains malgré cette période inédite ?
Le couvre-feu : quelles conséquences sur l’investissement et la vie des espaces urbains ?
Tout d’abord, il est intéressant de revenir à nouveau en arrière, pour comprendre les racines d’un urbanisme qui s’adapte à l’émergence d’épidémies et de crises sanitaires : le XIXème siècle et l’urbanisme hygiéniste. À l’époque, c’est l’organisation spatiale même des territoires qui facilite la propagation d’épidémies. En effet, la saleté et l’insalubrité de l’espace public ainsi que la forte concentration urbaine entraînent de réels problèmes sanitaires. Le service public, mais aussi des spécialistes de la santé et de l’architecture commencent de ce fait à imaginer des villes plus saines, plus aérées, plus vertes afin d’éviter la propagation de toute pestilence urbaine. Il s’agit alors de mesures préventives permettant de proposer un climat hygiéniste, permettant de réduire le risque d’apparition et de propagation de maladies sur le long terme. Les paysages urbains se transforment progressivement en cités-jardins et les constructions hospitalières se modernisent.
Aujourd’hui, face à la covid-19, c’est une autre logique qui se met en place dans l’immédiateté. L’intervention sur l’organisation de la ville laisse place au développement de nouvelles mesures, dont l’objectif est de concentrer nos efforts sur la limitation d’interactions sociales. Quotidiennement, les individus circulent à un échelon parfois régional, voire même plus vaste, impliquant divers lieux tout au long de leur parcours. Face à cette société de plus en plus connectée, la réponse proposée réside dans la réduction des possibilités de nous rencontrer et de nous mouvoir.
Contrairement aux périodes de confinement que nous avons vécues, l’instauration d’un couvre-feu n’engendre pas une exclusion spatiale mais bien temporelle dans la ville. Et cette nouvelle temporalité est principalement rythmée par les temps de travail. Métro, boulot, dodo : le temps et le quotidien tendent à s’uniformiser pour les citadines et citadins qui ne sont pas mobilisés dans les hôpitaux ou dans les commerces dits de première nécessité.
Cette situation entraîne également une vision très consommatrice de la ville, du moins pendant la journée. Cette mesure sanitaire s’inscrit de ce fait dans une démarche économique qui limite grandement les temporalités de l’intime et du privé. L’investissement de l’espace public se transforme, par l’évolution du trafic piéton et automobile, par l’absence d’animations et de festivités urbaines, de liens et d’interactions sociales. Mais finalement, que reproche-t-on à la vie urbaine nocturne ? Pour quelle raison la circulation du virus s’intensifierait-elle davantage la nuit plutôt que le jour ?
Le jour, la nuit : quelles dynamiques urbaines ?
Le constat est assez simple : la nuit favoriserait les rassemblements privés et activités clandestines. La journée est associée au temps de travail tandis que la nuit au temps festif, au moment propice des promiscuités urbaines. De ce fait, la vie urbaine nocturne peut alors paraître hostile car souvent perçue comme un moment de lâcher prise, parfois associé à une perte de vigilance, pendant lequel les citadines et citadins sortent quelque peu d’un cadre social classique. D’ailleurs, certains territoires comme la Guyane appliquent, depuis la fin du premier confinement, un couvre-feu aux horaires aménagés suivant l’évolution de l’épidémie.
Aussi, cette contrainte a naturellement impacté l’investissement journalier de l’espace public. Pendant cette période de couvre-feu et de potentiel futur reconfinement, nous avons assisté au développement de nouvelles pratiques urbaines, du moins de pratiques qu’on a peu l’habitude de voir en cette saison automnale. Il n’était en effet pas rare à la fin du mois d’octobre de voir les espaces publics, les parcs, les squares se remplir pendant les pauses déjeuner ou les sorties d’école pour profiter d’un moment à l’extérieur qui se fait de plus en plus rare. De plus, nous avons pu constater en ville une évolution des rythmes urbains journaliers. Les bars et restaurants ainsi qu’un bon nombre de commerces de proximité ont adapté leurs horaires à ceux du couvre-feu. Certains employeurs ont également permis l’aménagement des horaires de travail de leurs employés, afin de leur laisser un temps libre pour investir nos espaces urbains tant qu’il faisait encore jour.
Tout comme la journée, l’investissement nocturne des espaces publics s’est également transformé. Un certain silence dans nos rues, qui avait marqué le premier confinement, est revenu. La fermeture des bars et des restaurants, l’interdiction de tout rassemblement collectif et l’absence de personnes à l’extérieur, hormis les personnes en situation de précarité, a peut-être tout compte fait rendu son caractère mystique à la nuit. Comme le dit bien Anaïs Kien dans sa chronique pour France Culture
Aujourd’hui, nous ne savons pas quelle prochaine mesure sera prise pour limiter la propagation du virus, nous ne savons pas non plus quels futurs impacts cette épidémie aura sur nos vies urbaines, mais nous pouvons compter sur notre résilience face aux crises et notre aptitude à trouver collectivement des solutions durables pour construire ensemble le monde de demain. En attendant, comme le dit très bien la journaliste Anaïs Kien,
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