Les couleurs dans la ville
Morose, terne, grise. Bien souvent, quand on imagine une ville les couleurs s’estompent pour faire place à un univers uniforme marqué par le règne du béton et du bitume. Pourtant, à l’origine, la ville n’est pas décolorée, au contraire elle est chatoyante, voire criarde, loin de l’image lisse et blanche que l’on se fait, par exemple, de la cité grecque. Après l’avoir longtemps bannie, aujourd’hui les villes cherchent à réintroduire cette couleur et le paysage urbain tend à se diversifier. Alors quel est l’intérêt des couleurs dans la ville ? Comment les valoriser et les utiliser ?
Un gage de bien-être
Il n’y a qu’à étudier les expressions populaires pour s’en apercevoir : la couleur est synonyme de gaieté. En effet, on voit la vie en rose tandis qu’on broie du noir. La perception des couleurs relève du ressenti, elle impacte nos émotions. Aujourd’hui, on envisage même de guérir de certains maux grâce à la couleur (chromothérapie). Ce n’est donc pas un hasard si, au-delà de l’apport et de l’intérêt écologique, une ville idéale est, pour la majeure partie des citadins européens, une ville verte. Aujourd’hui, de nombreuses métropoles cherchent donc à réintroduire la couleur, en multipliant les espaces verts, mais aussi en façades. C’est le cas par exemple de la métropole nantaise où l’île de Trentemoult située sur la commune de Rezé constitue un havre paisible et chamarré. Les habitants, majoritairement des artistes et artisans, tentent de renouer avec la tradition de cet ancien village de pêcheurs qui se servaient des restes de peintures de leurs bateaux pour leurs maisons. Le quartier est depuis prisé pour sa qualité de vie.
Un marqueur identitaire et patrimonial
Nos villes ne sont pas toutes connues pour être grises. Certaines affichent même la couleur comme un étendard patrimonial. On pense bien sûr à Toulouse la ville rose, ou plus loin de chez nous à Jodhpur la ville bleue. D’autres cités attirent non pas pour leur caractère unicolore mais pour leur panachage comme Burano, les charmants villages des Cinque Terre en Italie, ou le quartier de la Boca à Buenos Aires. Mais les couleurs ne sont pas que l’apanage des pays du sud : le Groenland ou le Danemark ont eux-aussi leurs cités colorées. Seulement, il ne faut pas confondre coloré et bariolé. Car si la couleur dans les cas précédents attire les foules et contribue au charme de la ville, le trop de couleurs peut aussi saturer l’espace urbain. Si l’on prend l’exemple de Times Square à New York, les nombreuses couleurs peuvent êtres synonymes de stress, de dysharmonie ou d’agressivité. La couleur n’est donc pas un outil universel et sa perception dépend de nombreux facteurs. Alors comment envisager la couleur comme un allié et lui attribuer d’autres fonctions qu’esthétiques et qualitatives ?
Pour une lecture sensible de la ville
Renouveler l’approche que l’on a de la couleur en ville, c’est l’objectif que s’est donnée Manon Delage, étudiante en deuxième année de cycle Master Ville durable à L’École de design Nantes Atlantique, pour son Projet de Fin d’Études. Pour elle, les couleurs ne sont pas que décoratives, elles peuvent aussi servir de points de repères, de guides dans l’espace. Elle s’est ainsi demandée comment utiliser les couleurs pour générer une lecture sensible de l’espace urbain. Pour Manon « La couleur est un repère et nous avons besoin de repères dans la ville. Elles soulignent, habillent, dirigent, alertent, influencent nos perceptions et rythment l’espace urbain ». Et parmi les usagers de la ville, elle s’est plus particulièrement intéressée aux personnes atteintes de déficience visuelle ou de cécité : « le designer se doit de traduire l’espace de manière accessible et innovante. J’ai donc tenté de proposer un nouveau langage pour lire la ville et de donner des outils de compréhension communs ». Elle a ainsi créé 3 concepts, dont Mur-Murs qui cherche à donner des outils de repères en traduisant la couleur : « L’ouïe est le sens le plus utilisé par les déficients visuels pour se repérer et capter les informations dans leurs déplacements quotidiens en ville. Pour cela mon concept propose un parcours sonore dans lequel les murs colorés murmurent des sons en fonction de la longueur d’onde et la fréquence de la couleur ». Ainsi, pas besoin d’ajouter de la couleur mais plutôt sublimer celle qui est déjà présente et la doter d’une fonction supplémentaire.
Par Zélia Darnault, enseignante à L’École de design Nantes Atlantique