Couchsurfing, le royaume de l’hospitalité
L’essor du couchsurfing n’est plus à prouver dans les grandes villes du monde. Cette pratique qui consiste à loger gratuitement chez l’habitant a développé une communauté de fidèles, soudés et solidaires. De nombreux voyageurs découvrent ainsi la ville au plus proche de ses habitants et hors des circuits touristiques. Rencontre avec des couchsurfers stars qui accueillent des dizaines de personnes par mois.
Pascal ouvre la porte avec un économe et une carotte dans les mains et le sourire aux lèvres. Il me souhaite la bienvenue et m’indique le chemin entre ses étagères chargées de livres. Tess attend dans le canapé, elle se lève et me salue en anglais avec un accent écossais. Je tends la bouteille que j’ai apporté et la discussion s’engage, d’abord à tâtons, tout en prudences et en politesses puis plus franchement. Le doute qui a pris l’ascenseur avec moi jusqu’au quatrième étage s’est dissipé, je peux profiter de la soirée.
Le code de l’hospitalité
Il faut un certain talent pour mettre ses invités à l’aise chez soi, il en faut davantage lorsque ce sont des inconnus. Depuis bientôt 10 ans qu’il pratique le couchsurfing, Pascal a probablement eu le temps de perfectionner ses techniques. La soixantaine, lunettes et cheveux courts grisonnants, il est pieds nus et en tenue décontractée. Il prête un lit à Tess pendant les deux jours qu’elle passe à Paris. Ils ne se connaissaient pas avant et se sont contactés naturellement sur le site Couchsurfing, le réseau d’hospitalité qui permet à des voyageurs de dormir chez l’habitant de façon non marchande.
« Je ne sélectionne pas vraiment les profils, soit c’est libre, soit ça ne l’est pas. Je pourrais être tenté de trier les demandes mais j’ai envie de me laisser surprendre par les gens qui viennent chez moi. » Pascal est un peu une star de l’hospitalité. Lui qui fait partie des profils les plus recommandés de Paris reçoit parfois plus de vingt messages en une journée, vingt demandes d’hébergement plus ou moins étayée et auxquelles il s’efforce de répondre.
La rencontre avant tout
« Je ne suis pas sur Couchsurfing parce que je me sens seul et que j’ai besoin de voir des gens, non. Je trouve un véritable plaisir à pratiquer l’hospitalité, je vois ça comme une philosophie de vie : ouvrir ma porte aux étrangers, partager le repas… Il y a quelque chose de biblique là-dedans. » Pascal fait partie de ceux qui sont investis personnellement dans la plateforme et qui y retrouvent une certaine vision du monde, guidée par des valeurs de simplicité, de générosité, de respect et d’écoute.
« Je n’ai pas fait de statistique, mais à la louche je pense que 90% des rencontres sont significatives pour moi », confie-t-il. En effet, la pratique lui offre d’une part une fenêtre ouverte sur le monde et ses cultures, mais aussi un espace de discussion sensible et bienveillant. Car ces rencontres à la fois intimes et éphémères entretiennent une certaine intensité et se prêtent plus facilement à la confession qu’un contexte social classique. Pour Tess, les rencontres faites par le couchsurfing ont même une fonction thérapeutique. Elle, qui explique avoir dû choisir entre sa sexualité et la carrière de ses rêves, à panser ses plaies en rencontrant notamment la communauté lesbienne de Couchsurfing.
Tourisme de l’expérience unique
Tous n’alimentent pas forcément cette utopie un peu romantique du partage. Dans sa colocation à Berlin, Félix est le seul à recevoir des couchsurfers. L’arrangement est accepté des autres locataires et ne pose pas de problème tant que les couchsurfers sont respectueux. Ils dorment donc tous (jusqu’à trois ou quatre en même temps) dans le confort relatif de la chambre de Félix. Est-ce que les couchsurfers s’en accommodent bien ? « Oui, tant que je suis transparent et que j’annonce la couleur dès le début. C’est une relation de confiance… Mais l’aspect aléatoire et le goût du risque jouent aussi dans leur décision. En voyageant comme ça, ils cherchent aussi une expérience unique et mémorable. »
Comme Pascal, Félix a rejoint le site il y a une dizaine d’années et la cyber hospitalité est devenue une seconde nature. En pleine reconversion, il a laissé de côté sa carrière dans le cinéma pour reprendre des études de psychologie. Quand on lui demande si le couchsurfing fait partie d’une expérience psychologique à grande échelle, il plisse les yeux et fait mine de se caresser la barbe d’un air impénétrable, avant d’éclater de rire. « J’ai chopé le virus il y a une douzaine d’années. Mes amis, ma copine, mes collocs… tout le monde s’y est habitué. Je vis comme ça maintenant. »
Opportunisme et dérives
Mais tout n’est pas rose non plus : Couchsurfing n’est plus comme avant. Lancée en 2004, la plateforme à but non lucratif devient une entreprise en 2011. Le design change imperceptiblement, mais suffisamment pour ternir l’expérience selon les adeptes de la première heure. Avec son succès croissant (entre 4 et 6 millions d’utilisateurs selon les sources) viennent les opportunistes, prêts à tout pour économiser une nuit d’hôtel. D’autres confondent simplement Couchsurfing et Tinder, célèbre application de rencontres. En conséquence, les femmes sont moins nombreuses et plus prudentes sur le site.
Les mauvaises expériences existent, mais les hôtes ayant reçu des centaines de personnes chez eux les comptent sur les doigts d’une seule main. « Ce n’est pas très grave si le courant ne passe pas et si la personne va trop loin il faut poser clairement les limites, résume Pascal. À propos, il y a un dicton, une sorte de règle tacite : « le couchsurfing c’est comme le poisson, après trois jours ça sent pas bon » ». Pour préserver l’intimité et les relations saines, mieux vaut limiter l’accueil d’une personne à trois jours donc. Les couchsurfers partagent certes une certaine ouverture d’esprit et le goût pour l’aventure mais l’hospitalité et l’hébergement gratuit a ses limites.