Corridor Abdijan-Lagos, la mégapole sans fin

De Abidjan à Lagos s’étend une zone littorale de 1000 km dont l’urbanisation est peut-être la plus rapide au monde. A l’avenir, cette mégalopole, à cheval sur plusieurs pays à la démographie galopante, pourrait bien passer du rêve au cauchemar selon sa capacité à faire de la ville vite et bien.

Abidjan 2035

Cela faisait 10 ans qu’Aya n’avait pas pris la route du littoral pour aller voir ses cousins à Lagos. A peine après avoir posé un pas dans la gare routière internationale d’Adjamé, elle sent ses souvenirs s’éloigner. La bâtisse, flambant neuve, exhibe une dizaine de cars à double étage, climatisés et rutilants. Ce sont ceux des nouvelles compagnies de transport qui ont fleuri avec la nouvelle autoroute. Plus de 1000 kilomètres d’asphalte relient désormais les quartiers nord d’Abidjan à Lagos. Avec le ronron du moteur, Aya se remémore les sentiers en terre battue de l’époque, des paysages côtiers et des étals de bord de route. Tout cela a disparu au profit des centres commerciaux et des projets immobiliers qui poussent comme des champignons. Expédié en quelques heures, le voyage ne s’arrête même plus pour les policiers corrompus, les douanes ou les péages, qui désormais relèvent automatiquement les plaques d’immatriculation. En réalité, ces 1000 kilomètres qui séparent Abidjan et Lagos ne sont pas un trajet entre deux villes. Ils font partie intégrante des deux villes, qui ne forment plus qu’une seule et grande mégalopole.

L’autoroute de l’artificialisation

Il existe en effet un projet d’autoroute de plus de 1000 kilomètres qui doit relier Abidjan, en Côte d’Ivoire, à Lagos, au Nigeria, en passant par le Ghana, le Togo et le Bénin. C’est un projet attendu depuis une dizaine d’années, pour lequel la Banque Africaine de Développement vient de débloquer 15,6 milliards de dollars. Ralenti par la faible culture de la coopération entre les cinq pays concernés, ce projet ambitieux devrait faire exploser les échanges et l’attractivité d’une région déjà parmi les plus dynamiques de toute l’Afrique.

Car depuis quelques années, cette bande littorale à cheval sur plusieurs pays vit une croissance hors norme. De 40 millions d’habitants aujourd’hui, elle devrait passer à 51 millions en 2035 et peut-être à un demi-milliard d’ici 2100… rien que sur cette ligne côtière qui mesure la hauteur de la France. Si les choses se poursuivent en l’état, ce boom démographique annonce une urbanisation particulièrement chaotique.

Carte du corridor Abidjan-Lagos et des temps de trajet – Alice Hertzog

Mégapole de demain

Le succès de la zone s’explique par la proximité sur cette bande de plusieurs métropoles de plus d’un million d’habitants, qui attirent des jeunes africains des quatre coins du continent. Stimulant l’immobilier, absorbant peu à peu les villes et villages voisins, elles contribuent à une urbanisation non planifiée et à un étalement urbain massif. Ainsi, bien avant l’arrivée de l’autoroute, le littoral commençait déjà à ressembler à une longue mégapole ininterrompue. C’est en tous cas le récit du journaliste Howard W French pour le Guardian, comme celui de la chercheuse Alice Hertzog, autrice d’une thèse sur l’urbanisation de la région.

Passée de 60 000 habitants en 1960 à plus de 15 millions aujourd’hui et peut-être 25 millions en 2035, Lagos donne à voir le champ des possibles qui se joue sur ce trait de côte. Centre économique, financier et culturel majeur, il n’en est pas moins marquée par les inégalités, congestionné par le déficit d’infrastructures de transport et exposé à la montée des eaux. La question est désormais de savoir quels efforts seront engagés pour planifier la croissance de la mégapole Abidjan-Lagos.

Civic Tower à Lagos au Nigeria – Nupo Deyon Daniel-Wikipédia