Comment reconstruire ce qui a été détruit ?

Paris is burning
23 Avr 2019

L’incendie et la destruction d’une partie de la cathédrale Notre-Dame de Paris ont choqué le monde. Voir un trésor d’architecture gothique partir en flammes sans que personne ne puisse rien y faire avait quelque chose de désespérant. Mais l’émotion passée, il faut se poser la question de l’après. Car Emmanuel Macron comme de nombreuses autres personnalités publiques l’ont martelé : la cathédrale sera reconstruite. Se pose alors la question du comment : doit-on reproduire à l’identique, ou intégrer des éléments plus contemporains ?

Paris is burning

Paris is burning – Crédits Olivier Mabelly sur Flickr

Notre-Dame de Paris, une oeuvre composite

Cathédrale commandée et commencée dans la deuxième moitié du XIIe siècle, sa première construction prend fin un peu moins de deux siècles plus tard, en 1363. Les explications de ce temps long sont multiples. Il y a évidemment le défi technique et scientifique que représente l’édification d’un tel monument en plein Moyen Âge. Mais il faut aussi prendre en compte le fait que, durant cette construction, les plans du chantier ont évolué. Chaque génération a fait des modifications afin d’ajouter ou retirer des éléments pour rendre la construction plus dans l’air de son temps. Dès le départ, donc, Notre-Dame est n’est pas la Notre-Dame originelle[1], comme elle a été pensée par l’évêque Maurice de Sully et les architectes qui l’entourent en 1163.

Au fil du temps, le bâtiment évolue, à l’intérieur[2] comme à l’extérieur. Comme le dit si bien Victor Hugo dans le premier chapitre du Livre Troisième de Notre-Dame de Paris (1831), “le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument” de nombreuses dégradations. Le texte de Hugo est un appel du pied pour que les pouvoirs publics se mobilisent afin de préserver la cathédrale. Il sera rapidement entendu, puisque dans les années 1840 d’importants travaux de restauration, conduits notamment par Eugène Viollet-le-Duc, sont entrepris. Face à l’ampleur de la tâche, l’architecte a deux propositions : restaurer ce qui est documenté et donc reproductible, ou changer des éléments pour rétablir une cathédrale de “tradition médiévale”. De fait, il optera pour une combinaison des deux. Ainsi, la flèche qui s’est écroulée tragiquement le 15 avril dernier est celle qu’a conçu Viollet-de-Duc, qui considérait l’originale[3] comme pas assez flamboyante. La cathédrale de Viollet-le-Duc est toute empreinte du médiévalisme romantique. Elle est un pastiche puisant tant dans l’oeuvre de Hugo que dans les interprétations historiques de l’époque. La fameuse stryge, cette gargouille pensive, depuis longtemps symbole de la cathédrale, est une invention de l’architecte ! Cela signifie-t-il que ces restaurations rendent l’édifice moins authentique ? Pas forcément.

Notre-Dame de Paris, du haut de ses 850 ans, est tant un monument médiéval que du XIXe siècle. Dès lors, que veulent les tenant·e·s d’une reconstruction à l’identique ? Un rétablissement de ce qui a été fini en 1363 ? Ou un retour à la mise à jour de Viollet-le-Duc ? Qu’est-ce qui détermine ce qui est authentique ? Cette question traverse tous les grands chantiers de reconstruction consécutifs à des destructions similaires.

Reproduire à l’identique pour préserver des techniques

Le premier réflexe semble la reconstruction à l’identique, suivant “l’original”. C’est ce qui a été fait à de nombreuses reprises, notamment dans le cas du Stari Most, ce pont qui enjambe la Neretva, à Mostar, en Bosnie-Herzégovine, et du Sungnyemun, à Séoul, en Corée du Sud.

L’héritage culturel reconstruit

L’héritage culturel reconstruit – Crédits Jrwooley6 sur Flickr

Dans le premier cas, il s’agit d’un pont dont la première construction remonte au XVIe siècle. Exemple même de l’architecture musulmane des Balkans, il a été initialement édifié alors que les Ottomans régnaient dans la région. Pendant plus de trois siècles, Stari Most relie la vieille ville aux quartiers de Bjelusine et Brankovac. Mais en 1993, alors que la guerre de Bosnie-Herzégovine fait rage, les forces croates font sauter le pont, au prétexte qu’il s’agissait d’un point d’accès stratégique[4]. Dès la fin de la guerre, en 1995, l’UNESCO commence à réunir des fonds pour la reconstruction de Stari Most. Elle commence en 2001, pour s’achever trois ans plus tard. Pour l’occasion, des ouvriers et ingénieurs turcs sont envoyés en Bosnie-Herzégovine, puisque le savoir architectural ottoman a toujours appartenu à un pouvoir centralisé autour de la Turquie actuelle – et n’ayant donc pas (ou peu) subsisté dans les Balkans.

Quant au Sungnyemun (ou Namdaemun comme il est communément appelé par le public), il s’agit d’un portail édifié à la fin du XIVe siècle, alors que la longue dynastie des Joseon commence tout juste. Il s’agissait alors d’une des huit portes qui entourent la nouvelle capitale coréenne de l’époque, chaque porte étant reliée à ses voisines grâce à un épais mur[5]. Ayant connu de multiples rénovations (notamment après les bombardements de la guerre de Corée), il s’agit, jusqu’en 2008, du plus vieil édifice en bois de Séoul. Mais en 2008, un pyromane met le feu au bâtiment, qui brûle pendant plusieurs heures avant que les pompiers ne parviennent à contenir et éteindre l’incendie. Les travaux de restauration commencent en 2010 et durent trois ans. Pour ce faire, les ouvriers et architectes se sont basés sur des plans très précis[6], ainsi que sur des photographies datant d’avant certaines restaurations, l’idée étant de retrouver les motifs, peintures et gravures originales de l’ère Joseon.

La renaissance d’un trésor national

La renaissance d’un trésor national – Crédits Samuel Yoo sur Flickr

Dans ces deux cas, la restauration se fait littéralement dans un objectif patrimonial. La reproduction à l’identique sert à préserver des techniques, quasiment oubliées dans certains cas, ou à retrouver des décorations originales qui ont pu être cachées par des restaurations ultérieures. Dans le cas de Notre-Dame de Paris, cela pourrait donc vouloir dire reconstruire l’incroyable charpente du XIIe siècle, mais aussi peindre les sculptures qui ornent la façade de la cathédrale, ou changer les statues de la galeries des rois et mettre à la place les têtes qui sont actuellement exposées dans le lapidaire du musée de Cluny. En somme, de faire fi des restaurations apportées par Viollet-le-Duc et d’effacer une partie de l’histoire plus récente du monument.

Intégrer une part de modernité

Mais des compromis peuvent être trouvés. Parce qu’une reconstruction à l’identique n’est pas possible (faute de sources fiables, par exemple), parce que l’oeuvre est trop composite, ou parce que les questions de sécurité l’emportent sur la reproduction de techniques historiques. Les personnes en charge des restaurations doivent forcément adapter leurs travaux.

La cathédrale Notre-Dame de Reims est certainement l’exemple le plus connu chez nous. Construite aux XIIIe et XIVe siècles, chef d’oeuvre de l’architecture dite gothique, elle est un lieu symbolique pendant tout l’Ancien Régime, puisque c’est là où les rois de France se font sacrer. L’édifice connaît plusieurs restaurations (notamment après un incendie au XVe siècle, et au XIXe siècle, avec ici aussi Viollet-le-Duc en chef d’orchestre), mais sa structure “d’origine”[7] reste la même. La cathédrale de Reims a effectivement un rôle symbolique et politique fort pour que des voix s’élèvent contre toute tentative de “dénaturation” et conserve son allure du XIVe siècle.

La flamboyante

La flamboyante – Crédits brian_ytsu sur Flickr

La destruction de la cathédrale viendra avec les bombardements de la Première Guerre mondiale en 1914. De nombreux vitraux et statues sont détruits, la toiture brûle, des sections entières de la nef partent en poussière. Des reproductions de ces ruines seront utilisées pendant le conflit par l’Etat-major français pour attiser le sentiment national et accuser les adversaires allemands de barbarie.

Les travaux de restauration commencent au lendemain de la guerre, dès 1919. Ils vont se faire par tranches, chaque section détruite faisant l’objet d’une série de travaux et de rénovations étalées dans le temps. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui, alors même que la cathédrale semble intacte et qu’elle accueille du public depuis 1938 (quand l’essentiel des travaux ont été terminés), cette cathédrale est toujours considérée comme étant en travaux.

Mais là où Notre-Dame de Reims se distingue, c’est aussi par l’intégration d’éléments plus modernes. Alors, certes, on a re-sculpté les nombreuses statues (au premier rang desquelles il y a l’ange au sourire) qui ornaient l’intérieur et l’extérieur du bâtiment. Mais on a aussi fait des ajouts contemporains. L’ancienne charpente en chêne, partie en fumée sous les bombes, a été remplacée par une charpente en béton[8], plus légère, plus résistante et ignifugée. Et certains vitraux ont été commandés à des artistes contemporains[9], notamment Marc Chagall, qui avait déjà repeint la coupole de l’opéra Garnier. Si ces choix ont pu être à l’origine de controverses au moment de leurs décisions, ils se sont depuis parfaitement intégrés à l’édifice dans son ensemble, créant une continuité avec sa longue histoire. La cathédrale de Reims accueille aujourd’hui plus d’un million de visiteurs chaque année.

Actuellement, cette question d’associer techniques traditionnelles et contemporaines est au cœur des premières discussions sur la restauration de Notre-Dame de Paris. Quelle flèche édifier au-dessus de la nef ? Quel type de charpente employer ? Cette nouvelle querelle entre anciens et modernes risque de durer encore longtemps.

Reconstruire différemment

Enfin, dans certains cas, il faut tout refaire à neuf. Ces cas extrêmes de reconstruction ont souvent lieu lorsqu’il ne reste quasiment rien du bâtiment original. C’est ce qu’il s’est passé avec la cathédrale Saint-Paul de Londres et le World Trade Center à New York.

Crédits Loco Steve sur Flickr

Crédits Loco Steve sur Flickr

Comme de nombreuses cathédrales – et nous en avons mentionné un certain nombre dans cet article – Saint-Paul (ou plutôt son site de construction) a connu une multitude d’incarnations au fil des siècles[10]. Le fait est que le Saint-Paul d’aujourd’hui a au moins eu quatre prédécesseurs, qui ont tous brûlé. La quatrième version de l’édifice, aussi appelé “Vieux Saint-Paul” date du XIe siècle, mais brûla lors du grand incendie de Londres de 1666. Christopher Wren, l’architecte de la cathédrale que nous connaissons actuellement, devait initialement effectuer des travaux de restauration[11]. L’incendie lui donne un canevas vierge avec lequel il va pouvoir laisser libre cours à ses ambitions, et répondre aux souhaits du clergé anglican qui, suite à la catastrophe de 1666, veut voir s’élever dans la capitale britannique “de bonnes églises chrétiennes”. Les ruines sont déblayées à grands renforts d’explosifs, et en lieu et place de la cathédrale gothique vient s’élever un imposant édifice baroque. Au lieu d’une flèche, c’est un dôme qui surmonte le monument. Les arcs boutants ont laissé la place aux arches et aux colonnes. Si certains s’offusquent au moment de la consécration de la cathédrale (quelques 31 ans après l’incendie) – ils y voient un bâtiment trop “non-anglais” -, d’autres louent cette célébration grandiose de l’Eglise d’Angleterre.

Le World Trade Center est un cas à part dans la liste de monuments cités jusqu’ici, dans la mesure où sa première incarnation est bien plus récente (sa construction s’est terminée entre 1970 et 1973). De ce fait, la question de la patrimonialisation peut être posée. Cependant, et alors même que leur histoire est quasi-inexistante, les tours jumelles sont tout de suite devenues un monument emblématique. La raison est simple : le World Trade Center a été, un temps, le plus haut gratte-ciel du monde. Se découpant dans l’horizon new-yorkais, il est devenu aussi iconique que l’Empire State Building, la Statue de la Liberté ou le pont de Brooklyn. Evidemment, les attentats du 11 septembre 2001 vont les faire davantage rentrer dans la postérité[12]. Quand, après 8 mois de travaux de déblayage, la question de la reconstruction s’est posée, de nouveaux paramètres ont dû être pris en compte. Car, initialement compris comme un centre économique et financier international, le terme “World Trade Center” est également devenu synonyme de liberté, de martyr et d’américanisme. D’un point de vue architectural, le nouveau World Trade Center (2006-2013) est assez peu intéressant, invoquant un design et des matériaux (le verre et l’acier) très début de millénaire. C’est surtout dans les aspects symboliques que le “One World Trade Center” mérite le coup d’œil. Il y a d’abord sa hauteur (c’est la plus haute tour d’Amérique du Nord à l’heure où nous écrivons ces lignes) de 1776 pieds, en rappel de l’année pendant laquelle les Treize Colonies ont déclaré leur indépendance. Le complexe comprend également un mémorial aux victimes des attentats. Si le bâtiment est d’abord conçu comme fonctionnel (il accueille des activités tertiaires, comme les tours jumelles avant les attentats), il remplit désormais également un rôle de lieu de mémoire.

Freedom Tower

“Freedom Tower” Crédits Phil Dolby sur Flickr

Il n’y a donc pas de réponse finie à la question de la restauration de monuments détruits. Chaque proposition a ses avantages et ses inconvénients, allant de la rapidité de reconstruction à la préservation des techniques. En outre, notre article ne concerne que des bâtiments relativement récents. La question pourrait se poser pour des constructions antiques, comme le site de Palmyre en Syrie, partiellement détruit par l’Etat islamique en 2016 et 2017, ou encore les Bouddhas de Bamiyan, pulvérisés par les talibans en 2001. Dans ces cas-là, la destruction porte également en elle une part d’Histoire. La restauration de Notre-Dame de Paris devra nécessairement se faire en prenant en compte tous ces paramètres.

[1] Et on ne parle pas de la basilique mérovingienne dédiée à Saint-Etienne, qui s’élevait auparavant sur le site de Notre-Dame, ni du temple – possiblement dédié à Jupiter – qui se dressait sur le site de la basilique…

[2] Louis XIII et Louis XIV commandent de nouvelles statues. Une partie des tympans est même dégradée pour faire rentrer certaines statues. Dans le courant du XVIIIe siècle, les chanoines officiant dans la cathédrale font démonter les vitraux pour les remplacer par des vitres en verre blanc, afin de faire entrer plus de lumière !

[3] La flèche médiévale, très dégradée, a été démontée pendant la Révolution.

[4] Les historiens sont nombreux à remettre en cause cette importance stratégique, et voient dans la destruction du pont un acte délibéré de guerre culturelle.

[5] Comme de nombreuses défenses périurbaines, ce mur avait un double objectif : la défense de la cité – notamment contre les tigres de Sibérie – et le contrôle des allées et venues, à des fins de taxation des marchandises.

[6] Tracés en 2006 suite à une opération d’entretien de grande envergure, ce document de 182 pages avait pour objectif premier d’avoir une source dans l’éventualité où une catastrophe arrivait au bâtiment.

[7] Le bâtiment du XIIIe siècle s’élève sur le site d’anciens bains gallo-romains, occupé ensuite par une basilique mérovingienne, transformée en cathédrale par les Carolingiens. Elle brûle en 1210.

[8] Avant elle, la charpente de la cathédrale de Chartres, qui elle aussi a connu un incendie, au XIXe siècle, a été remplacée par des matériaux plus durables. De l’acier, en l’occurrence.

[9] Aujourd’hui encore la cathédrale commande et/ou reçoit des vitraux conçus au XXIe siècle. Les plus récents datent de 2011, et sont réalisés par l’artiste allemand Imi Knoebel.

[10] De site druidique, l’espace a ensuite été consacré à Diane lors de la romanisation, avant que les Angles et les Saxons y élèvent des églises chrétiennes.

[11] Et ce alors même que Wren veut dès avant l’incendie faire détruire la quatrième cathédrale pour construire un monument plus moderne.

[12] Nous vous épargnons les conséquences géopolitiques qu’ont eu ces attentats, puisqu’aujourd’hui encore, d’une certaine façon, les effets de la “War on Terror” menée par George W. Bush se font encore sentir.

{pop-up} urbain
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Vos réactions

Milpont
27 avril 2019

Article interessant …néanmoins vous oubliez le principal …c est un lieu qui a été imaginé,conçu et construit par des chrétiens ( les catholiques ) ….pour des chrétiens…et sa beauté transcendante est dû à cette foi …. c est donc avec eux que la décision doit être prise pour que cela reste un lieu de prière…si vous enlevez la dimension spirituelle du lieu ce ne sont que quelques vieilles jolies pierres Alors que les reactions du monde entier et pas que chrétiennes , soulignaient la beauté de ce bâtiment par la dimension spirituelle qui en ressortait !!!!!!@! ….
Imaginerait -on de reconstruire , si elle avait été
Incendié, la grande Mosquée de Rabat ou la plus vieilles synagogue de Paris …sans essayer de garder la spiritualite des lieux…sans demander avant tout leur avis aux croyants concernés….Non bien sûr…!

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