Comment penser la ville déconfinée ? Inspirations singapouriennes.

photo où des singapouriens sont assis au bord de la mer
24 Avr 2020 | Lecture 4 minutes

A travers la learning expedition de deux étudiants de Sciences Po et d’HEC, nous partons à la découverte des villes intelligentes. Tout au long de leur voyage, les deux explorateurs d’Across The Blocks expérimentent les nouveaux usages de la ville connectée, et nous partagent leurs résultats. Après un mois à Singapour en pleine crise du Covid-19, ils reviennent sur les points forts de la cité-Etat dans la gestion du virus, souvent citée comme référence par les médias français.

Pour penser le déconfinement de nos villes, il faut regarder ailleurs. Et notamment du côté de Singapour : à l’heure où la France était à l’arrêt, la cité-Etat est longtemps parvenue à contenir l’épidémie, en permettant à ses habitants d’y vivre une vie quasi « normale ». Aujourd’hui, l’expérience singapourienne doit nous inspirer, et nous aider à adapter l’espace urbain à la « vie avec » le virus.

Si les modalités en restent floues, il y a bien une certitude sur le déconfinement en France : il ne signera pas la fin de la menace. Même si nous pourrons sortir de chez nous, nous devrons apprendre à cohabiter avec le virus, à en minimiser la propagation, à changer notre rapport à l’espace public. C’est ce qu’il s’est passé à Singapour : confrontée à l’épidémie dès la fin janvier, la ville s’est transformée pour en ralentir la progression. Comment ? En redéfinissant le partage de l’espace urbain, en y déployant des outils digitaux, et en encourageant de nouveaux comportements citadins. Certes, cela n’a pas été suffisant, et Singapour a annoncé le 3 avril la mise en place du fameux « circuit breaker », un confinement partiel destiné à « court-circuiter » la propagation du virus. Mais à l’heure où les villes françaises préparent leur sortie de crise, une promenade dans les rues du Singapour version Covid peut nous aider à l’imaginer.

 

photo où des singapouriens sont assis au bord de la mer

Des singapouriens se reposent sur les berges de Marina Bay en respectant le safe distancing

 

Avec le safe distancing, la lutte contre le Covid restructure l’espace urbain

Le premier élément qui frappe dans le Singapour pré-confinement, c’est l’omniprésence des marqueurs de safe distancing dans l’espace urbain. Bancs publics à moitié condamnés, restaurants ne servant qu’une table sur deux, marquage au sol au supermarché pour garder un mètre d’écart entre les clients… Partout, l’espace public est marqué, emprunté, amputé. L’idée ? Éloigner les gens au maximum, minimiser leurs interactions, et donc la transmission du virus.

À Singapour, le safe distancing se matérialise partout…

 

photographie d un amphitheatre avec des croix pour matérialiser le social distancing

Dans les lieux de rassemblement…

 

photographie de banc avec des croix pour matérialiser le social distancing

Sur le mobilier urbain…

 

Dans la file d’attente du supermarché…

 

Dans les cafés, restaurants, etc.

Ces marqueurs physiques fonctionnent bien, et pour deux raisons. Déjà, ils obligent les usagers de l’espace public à s’éloigner les uns des autres, ce qui diminue mécaniquement leurs interactions. Mais surtout, au même titre que les masques et les gels hydroalcooliques, disponibles partout, ils agissent comme une piqûre de rappel quasi-permanente : la ville s’habille d’un costume d’urgence pour rappeler à ses habitants, sans cesse, la nécessité de se protéger.

 

Déployés partout, les outils digitaux au service du contact tracing dans la ville

La ville déconfinée est aussi digitale. C’est le cas à Singapour, où des outils numériques plus ou moins élaborés permettent d’informer la population, tracker les malades, surveiller les comportements. Évidemment, il y a « Trace Together », la fameuse application qui utilise les données Bluetooth des smartphones pour suivre les interactions entre citadins, et dont le gouvernement français souhaite s’inspirer. Mais malgré toutes ses promesses, cette application n’a pas (encore ?) joué de rôle déterminant dans la lutte contre le virus : lancée il y a à peine un mois, elle n’a pour l’instant été téléchargée que par un cinquième de la population… Et ne fonctionne que lorsque ses utilisateurs pensent bien à activer leur Bluetooth.

Un exemple de formulaire à remplir à l’entrée d’un lieu public à Singapour (Source : NDI-Api)

 

En fait, le contact tracing méticuleux de la cité-Etat repose sur des outils technologiques moins élaborés, mais tout aussi efficaces : les formulaires en ligne. Avant le confinement, à l’entrée de n’importe quel lieu public de la ville, les visiteurs étaient systématiquement obligés de scanner un QR code et de remplir un formulaire avec des informations basiques (identification, contact…). Si une personne ayant fréquenté l’endroit était testée positive, les autorités pouvaient alors retrouver facilement toutes les personnes présentes au même endroit au même moment. Bars, restaurants, musées, boutiques, taxis… Simples d’utilisation et moins intrusifs que les apps de tracing, ces formulaires étaient partout, et ont permis une identification rapide et efficace des premiers clusters de la ville.

 

Dans la ville déconfinée, les espaces publics rationnés ?  

Finalement, alliant safe distancing et contact tracing, le modèle singapourien invite les habitants de la cité-Etat à revoir temporairement leur rapport à l’espace public, dans l’optique de mieux vivre avec le virus. À l’aéroport, à l’entrée des malls et des musées, des caméras thermiques contrôlent la température des passants, donnant naissance à de véritables checkpoints, infranchissables pour ceux qui ont de la fièvre. Ouverts mais réglementés, les lieux publics deviennent ainsi des espaces rationnés, les Singapouriens sont invités à vérifier la fréquentation des parcs et des centres commerciaux avant de s’y rendre, via des portails digitaux alimentés en continu par des drones et des capteurs. Et évidemment, en cas d’affluence, il est recommandé de passer son chemin.

Avec ses forces et ses faiblesses, l’expérience singapourienne offre donc des pistes pour penser la ville déconfinée, libre mais surveillée. Cela doit nous faire réfléchir au défi qui attend les villes françaises : esquisser un nouveau mode de partage de l’espace urbain, permettant de se retrouver à plusieurs… Tout en gardant ses distances.

 

 

Across The Blocks
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