Comment faciliter l’accès au logement en ville ?
Entre prix d’achat de plus en plus exorbitants, exigence croissante des propriétaires et ultra réactivité du marché, trouver un logement dans les centres urbains denses, peut se transformer en véritable parcours du combattant pour de nombreuses personnes en quête d’un nouveau chez-soi. Parallèlement, la vacance de logements est un fléau dans de nombreuses villes. Mais alors, pourquoi est-il si compliqué de se loger en ville ? Décryptage des enjeux de l’immobilier urbain.
Les problématiques liées au logement représentent un enjeu prioritaire pour les territoires et plus particulièrement pour les villes denses. La récente période des municipales a mobilisé les politiciens sur ce sujet, notamment sur la hausse, continue et non proportionnelle aux revenus des habitants, des prix de l’immobilier dans plusieurs métropoles. L’offre et la qualité des logements entraînent des dynamiques très diverses au cœur des territoires. En effet, entre développement économique, attractivité touristique, esthétisme architectural ou paysager, identité historique et patrimoine, l’habitat est un facteur clé du rayonnement d’une ville. C’est un critère d’arrivée comme de départ d’un territoire pour les citoyens, de croissance comme de décroissance économique pour le secteur privé et aussi d’attractivité et de rayonnement à diverses échelles pour le secteur public.
Les problématiques économiques
Bordeaux, Lyon, Paris, mais aussi Toulouse, Rennes ou Nantes, le constat est le même : les prix de l’immobilier ne cessent d’augmenter depuis une dizaine d’années dans les grandes villes françaises. Les propriétaires comme les locataires assistent, dans le parc immobilier neuf et dans l’ancien, à des prix de moins en moins abordables et à un marché de plus en plus tendu. Mais la France n’est pas le seul pays à subir cette pression immobilière et foncière. D’autres pays européens comme l’Allemagne, la Suède ou le Luxembourg la subissent également.
Pour les villes, au delà du problème en lui-même, il s’agit en réalité d’un véritable fléau économique, social et environnemental. Les raisons sont simples. La croissance continue des prix de l’immobilier entraîne d’abord une spéculation foncière et immobilière qui impacte directement le parc de logements existant d’une ville ainsi que les futures opérations immobilières. Et en plus de limiter l’accès au logement pour de nombreuses personnes qui sont alors contraintes de quitter la ville, cela représente un potentiel risque de crise financière, communément appelée bulle dans le jargon immobilier. Enfin cela peut également accentuer le phénomène d’étalement urbain. Le marché étant saturé en ville, les territoires s’urbanisent et se développent en périphérie et densifient progressivement les espaces ruraux.
Pour remédier à cela et agir à son échelle sur le développement du parc immobilier neuf, le secteur public a réglementé la construction de projets urbains comprenant de l’habitat, et ce de diverses manières.
En partenariat avec le secteur de la promotion immobilière et des établissements bancaires, le secteur public a mis au point le dispositif d’accession abordable à prix maitrisé afin d’accompagner les ménages aux revenus modestes dans leur accession à la propriété. Ainsi, la collectivité peut proposer une réduction du prix du terrain sur lequel les promoteurs vont construire un projet urbain. Cette baisse du prix du foncier a pour conséquence de se répercuter sur les prix de vente des logements et permet aux particuliers de bénéficier d’un prix de sortie généralement inférieur à ceux pratiqués sur le marché immobilier local.
Pour contribuer encore un peu plus à l’égalité des chances réelle quant à l’accès au logement et ainsi lutter contre la hausse constante des prix de l’immobilier et du foncier, le secteur public et les acteurs de la fabrique urbaine agissent également sur les logements à destination locative. Notamment depuis la loi Solidarité et Renouvellement Urbain, les projets urbains d’une taille significative ont pour obligation de prévoir une part minimum de 30% de logements locatifs sociaux. Un dispositif qui tend à porter ses fruits : la France compte aujourd’hui près de 4,7 millions de logements sociaux, ce qui devrait permettre, à termes, de recréer une mixité et une cohésion sociales en ville, par la diversité de l’offre de logements.
Une autre solution innovante se développe progressivement en France dans le but de répondre aux besoins locatifs en secteur tendu, c’est l’usufruit locatif, développé par l’opérateur immobilier Perl. L’idée consiste à partager une propriété en deux personnes distinctes : l’usufruitier et le nu-propriétaire. L’usufruitier, un bailleur social par exemple, bénéficie du logement pendant un temps défini et peut ainsi exploiter les logements sociaux à des prix avantageux, jusqu’à ce que le nu-propriétaire reprenne la pleine possession de la propriété. Ce dispositif apporte un certain renouveau dans les logements locatifs sociaux, ce qui permet à de nouveaux acteurs de participer à cette dynamique et affirme bien une tendance croissante pour les solutions solidaires dans les problématiques liées à l’habitat.
L’état actuel du stock de logements : un autre défi à relever
La question économique étant énoncée, il s’agit à présent de comprendre quelques autres caractéristiques de nos villes qui entraînent cette pénurie, du moins cette difficulté d’accès au logement. La majorité des grandes villes se confronte aujourd’hui à une problématique de saturation des logements, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent accueillir de nouveaux habitants sans construire de nouveaux projets urbains et accentuer l’urbanisation.
Pourtant, cela ne signifie pas que la totalité des logements sur un territoire est occupée, bien au contraire. Comme pour les commerces qui laissent leurs façades vides et inoccupées en rez-de-chaussée des rues, le parc de logements d’une ville contient également un certain taux de vacance. Et ceci peut avoir des conséquences assez néfastes pour un territoire. L’Europe compte près de 11 millions de logements vacants et la France enregistre un taux de 8,4% de son parc de logements vacant, pourcentage qui varie du simple au double en fonction des villes.
Les explications sont multiples (multi-accession, habitat insalubre, développement de plateformes de locations temporaires comme AirBnb) et les conséquences peuvent s’avérer sérieuses pour les territoires (aléas économiques, manque d’attractivité, étalement urbain), comme pour les citoyens et citoyennes, qui ont de plus en plus de difficultés à se loger convenablement en ville, ou à se loger tout court.
Pour répondre à ce défi, de nombreux acteurs se mobilisent quotidiennement et agissent pour apporter des solutions concrètes et efficaces aux difficultés que rencontrent certains à se loger. Le secteur public, dans un premier temps, développe des politiques publiques pour lutter contre l’habitat insalubre et les marchands de sommeil, afin de garantir à chacun l’accès à un logement sain et adapté aux besoins.
D’autres agissent à travers des actions d’innovation sociale et apportent de nouvelles solutions, comme la métropole de Strasbourg qui sort chaque année 100 logements de la vacance, notamment par l’intermédiation sociale. Dans de nombreux territoires, les acteurs privés commes les acteurs associatifs et particuliers multiplient également des projets de co-living. Le concept est simple et similaire à la colocation : réinventer un mode de cohabitation dans lequel chacun peut bénéficier de pièces privées et de pièces partagées avec d’autres habitants. Cette démarche prend une telle ampleur que le marché immobilier commence à s’y intéresser et développer des résidences entières fonctionnant en co-living…
Des villes et des vies qui évoluent
L’accès au logement ce n’est pas seulement une question de saturation, de vacance, de manque ou de trop plein d’offres, c’est aussi la corrélation entre l’offre et la demande. Autrement dit, construire des logements qui soient adaptés à la demande, qui puissent correspondre à la grande diversité de personnes et de foyers qui habitent en ville, ce qui représente un dernier grand défi pour les territoires.
Or en fonction du vieillissement de la population, de la part d’étudiants, du nombre de personnes par ménage et des revenus des habitants… l’offre doit naturellement s’adapter ! Par ailleurs, la société évolue et avec elle les modes de vie, de consommation et de construction. Parfois la difficulté d’accéder à un logement n’est pas la conséquence d’un marché saturé mais elle est plutôt liée à la recherche d’un logement qui réponde à des enjeux et des besoins spécifiques. Les personnes âgées sont naturellement davantage intéressées par un habitat en rez-de-chaussée, ou un appartement d’immeuble disposant d’un ascenseur. Les familles nombreuses quant à elles nécessitent un certain nombre de pièces au sein de leur logement.
Et c’est là tout l’enjeu de l’innovation architecturale et sociale : créer des logements adaptés et adaptables dans le temps selon les besoins des occupants. Innover dans les formes d’habitat c’est répondre à la problématique de l’accès au logement en ville par un autre biais que celui du seul prisme économique. L’objectif est d’intégrer le cycle de vie du bâtiment au même titre que le parcours de vie d’une personne. Soit construire des logements réversibles, modulables, qui puissent évoluer avec les habitants.
L’innovation sociale et architecturale c’est enfin replacer l’habitant au cœur du processus de la fabrique urbaine, l’intégrer dans la réflexion et dans la construction de son logement. C’est notamment l’idée de l’habitat participatif : devenir acteur du développement de son lieu de vie et mettre le collectif au centre du projet. Des acteurs comme Ô fil des voisins, Ellyx ou encore Agilcare Construction, mais aussi des collectifs de citoyens se mobilisent ainsi pour réinventer les modèles d’habitat et intégrer une vision collaborative, collective et durable dans le secteur de la construction. Partout en France, divers projets ont émergé et permis à des habitants soucieux de vivre dans un habitat sur-mesure et partagé, de travailler en étroite collaboration avec les architectes et même de construire eux-mêmes leur logement !
Comprendre et répondre aux défis liés à l’accès au logement, c’est donc questionner les modes de vie et d’habiter, pour mieux les adapter au contexte actuel. C’est travailler collectivement, co-innover et penser la construction et la réhabilitation des logements pour et avec ceux qui les habitent. Ainsi, malgré un marché tendu, des solutions peuvent émerger et participer à faciliter l’accès au logement ! Encore faut-il bien vouloir diriger l’innovation vers un principe de ville accessible à tous…