Budget sensible au genre: solution pour une ville plus inclusive ?

© Mathieu Stern sur Unsplash
30 Mar 2022 | Lecture 3 min

Le “Budget genré” ou “budget sensible au genre (BSG)” est une nouvelle pratique visant à réduire les inégalités femmes-hommes dans la conception de projets ou d’amélioration du territoire. Celui-ci à la particularité d’intégrer le genre comme un élément essentiel dans la répartition budgétaire en amont de tout projet urbain.

Mais concrètement, comment le BSG peut avoir un impact sur la manière de concevoir la ville ? Sommes-nous en train de nous diriger vers des villes plus inclusives, plus équitables entre les femmes et les hommes ?

Le budget sensible au genre : une nouvelle approche de conception de la ville

Quand on aborde le sujet des inégalités entre femmes et hommes, on pense généralement aux différences salariales, à la trop faible représentation féminine dans la sphère politique, publique et économique, ou encore à l’accès à l’éducation qui reste plus difficile pour les femmes que pour les hommes dans certains pays. Cependant, un dernier champ semble encore en retrait de cette dynamique en France : celui du budget.

En 2021, la ville de Lyon a annoncé le développement d’une démarche de Budget Sensible au Genre (BSG) pour l’élaboration de son budget 2022. Le BSG est une notion qui fait de plus en plus parler d’elle dans les médias, mais alors concrètement de quoi s’agit-il ? “La budgétisation sensible au genre consiste à appliquer l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes au volet financier des politiques publiques. Intégrer une démarche de budgétisation sensible au genre conduit à se demander si la collecte (impôts, taxes, paiement du service etc.) et la distribution des ressources financières (subventions aux associations, investissements dans des équipements, fonctionnement des services etc.) renforcent ou diminuent les inégalités entre les sexes. Au regard des résultats, il s’agit alors de proposer des ajustements et des modifications budgétaires pour mieux garantir l’égalité.” Le BSG vise alors à intégrer la perspective de genre dans tout le cycle budgétaire pour analyser l’impact différencié des dépenses et des recettes dans les budgets publics réalisés pour les femmes et pour les hommes.

Cette approche a été introduite pour la première fois en France par le Conseil de l’Europe en 2005. Dans de nombreux autres pays, l’application d’un budget genré a déjà été initiée depuis plusieurs années. C’est en Australie, en 1984 que le premier BSG au monde est mis en place. À partir de 1989, le Royaume-Uni prend le relais avec le Women’s Budget Group (WBG) qui étudie l’impact des impôts et transferts budgétaires sur l’égalité entre les sexes. Au Canada, la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté est à l’origine en 1993 d’une initiative visant l’intégration d’une perspective de genre dans le domaine budgétaire. Il faudra attendre 1995 et la quatrième conférence mondiale sur les femmes des Nations-Unies à Pékin pour que l’intégration de la dimension de genre dans le processus budgétaire fasse l’objet d’une reconnaissance internationale. Aujourd’hui, plus de 100 pays ont adopté, à des degrés divers, un budget selon le genre. Une enquête a été menée par l’OCDE en 2016, montrant que près de la moitié des pays de l’OCDE ont introduit le BSG. En Autriche, il en est même devenu une obligation constitutionnelle, à tous les niveaux, du gouvernement aux collectivités locales en passant par les Länder, et ce depuis 2008.

©Makus Winkler sur Unsplash

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En quoi le BSG permet-il de répondre à ces inégalités  ?

On cherche depuis de nombreuses années à réduire ces inégalités de genre en ville qui peuvent se traduire de plusieurs manières : la circulation dans l’espace public, l’occupation de l’espace, la pratique du sport, le sentiment de sécurité ou même encore la signalétique ou iconographie.  Même si les actions, lois ou réglementations menées ont permis de les diminuer, on est encore loin de pouvoir parler d’égalité sur l’ensemble de ces domaines. Il paraît alors évident qu’il est nécessaire de gérer ce problème sous un autre angle de vue.

Ainsi, dans la mesure où le budget est l’un des principaux outils techniques d’une politique, d’une stratégie ou d’un projet mis en place par une collectivité, l’articulation des finances publiques avec le genre semble donc être déterminant pour passer d’une égalité des droits « de fait » à une égalité réellement mise en œuvre. Car un budget n’est jamais “neutre”, il reflète des choix politiques, sociaux, économiques, ou encore écologiques… Les orientations budgétaires ont alors des impacts sur la population et sur les inégalités. La création d’une mesure permettant la recherche d’une plus grande égalité par le développement d’un budget genré, attire alors l’attention sur le fait que la parité femmes-hommes n’est pas qu’une question sociale, mais également une composante des politiques macroéconomiques.

Actuellement, nous commençons à avoir des premiers retours sur la mise en application du BSG. Selon le rapport consacré au budget genré de janvier 2019 publié par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), une étude menée en Gironde a montré que 75 % des budgets de loisirs bénéficient aux hommes.

Pour donner un autre exemple concret, le Maroc s’est montré très engagé dans l’institutionnalisation de l’approche genre, en faisant de l’égalité entre les sexes l’un des piliers de sa constitution. En 2020, un premier rapport a été rendu afin d’analyser l’efficacité du BSG sur leur territoire. Celui-ci a permis d’aboutir à la conclusion que l’égalité femmes-hommes contribue de manière importante au développement économique : l’étude a en effet mis en exergue le rôle important de l’égalité de genre en matière de dynamisation de la croissance économique et de consolidation de la stabilité sociale. En effet, l’égalité de genre, et notamment l’autonomisation économique des femmes, est susceptible de contribuer au renforcement de l’activité économique d’un pays.

La parité permettrait également l’accroissement du bien-être des citoyens : “Il est indéniable que la croissance inclusive est une condition préalable au développement durable. Les pays où la répartition des revenus est la plus équitable ont atteint les niveaux les plus élevés de développement et de bien-être”, a indiqué M. Twamuhabwa, conseiller au Ministère des Finances de la République d’Ouganda, lors des échanges d’expériences entre le Maroc et les pays africains en matière de BSG. Les travaux du FMI sur l’égalité des genres dans la société démontrent que l’élimination des disparités femmes-hommes pourrait entraîner des augmentations considérables du PIB allant jusqu’à 35% en moyenne.

Quel avenir pour cette nouvelle approche en France ?

On constate alors que le BSG se développe considérablement dans de nombreux pays. En France, nous avons bien du retard sur ces problématiques. Pourtant, cette notion apparaît en 2005 dans le Conseil de l’Europe. De grandes organisations internationales telles que l’OCDE ou le FMI encouragent également les Etats et villes à adopter cette vision différente de la dépense publique. Une loi fondamentale pour l’égalité réelle entre femmes et hommes a aussi intégré l’idée du budget dans l’article 61, imposant que “toutes les collectivités de plus de 20 000 habitant(e)s doivent présenter devant l’organe délibérant, préalablement au débat sur le projet de budget, un rapport sur la situation en matière d’égalité femmes-hommes.

Néanmoins, c’est seulement 16 ans plus tard, en 2021, que le BSG a été pour la première fois mis en place en France. Ce sont en effet les municipalités des villes de Lyon et Rennes qui sont les premières à proposer un budget genré dans son intégralité. Car si d’autres villes comme Brest, Bordeaux, Ivry-sur-Seine ou encore Grenoble ont adopté une approche genrée dans les secteurs de la culture, des loisirs ou du sport, aucune ne l’a encore initiée dans sa totalité.

Mais alors pourquoi ce retard en France ? Le BSG semble être un outil encore assez méconnu. De plus, lorsque la ville de Lyon a déclaré développer cette démarche, les budgets genrés ont fait l’objet de nombreuses contestations faisant passer cette approche, notamment dans les médias, comme étant “une lubie verte” des maires écologistes. D’après Geneviève Letourneux, conseillère municipale déléguée aux Droits des femmes et à la lutte contre les discriminations, à Rennes il y a encore des représentations anxiogènes, […] l’impression que c’est un outil punitif« . On peut en déduire qu’il y a un véritable manque de communication des pouvoirs publics en France sur les BSG et, de manière générale, sur les démarches et réglementations émergentes.

Il y a un réel besoin aujourd’hui de mettre en marche une pédagogie sur l’égalité femme-homme dans la société afin de développer une culture plus égalitaire.

Au-delà de ces problématiques, notamment de prise en conscience, la mise en place du BSG exige un travail de plusieurs années : évaluation de l’ensemble des actions financées par la municipalité, définition d’indicateurs et des objectifs, création de toute une méthodologie et d’outils… Cela afin de pouvoir apprécier si l’investissement public bénéficie proportionnellement autant à des femmes qu’à des hommes, pour ensuite avoir matière à déterminer les améliorations possibles.

En mars 2021, c’est donc la ville de Lyon qui s’est lancée dans l’expérimentation du BSG dans l’espoir de parvenir à démocratiser une culture plus égalitaire en France. Un an après son lancement, les recherches menées ont permis de produire un guide d’élaboration pour le budget genré de 2022. Les premières actions ont donc été communiquées et vont d’abord concerner le sport et l’éducation. Parmi les annonces, des mesures très ciblées ont été évoquées par le maire de Lyon, notamment son engagement à acheter autant de places de football pour l’Olympique lyonnais de l’équipe féminine que pour les rencontres de l’équipe masculine. Il souhaite également revoir l’aménagement des cours d’école en favorisant la multiplication d’espaces potagers et en déplaçant ou supprimant les terrains de football souvent situés au centre des cours “…pour éviter que l’espace ne soit accaparé par les garçons qui jouent au foot tandis que les filles, reléguées sur les côtés, ont des activités plus statiques.”

Aux adaptations budgétaires s’ajoutent également des décisions plus symboliques. Une enquête réalisée en 2014 par l’ONG Soroptimist, dévoile que sur 63 500 rues françaises, seules 2 % portent le nom d’une femme. La mairie de Lyon ayant fait le même constat, a décidé d’augmenter significativement la part des rues, boulevards, impasses et espaces publics qui exposent des noms de femmes dans le cadre de la mise en place de son BSG. Une démarche qui prendra du temps pour obtenir la parité dans ce domaine car actuellement seuls “12 % des odonymes portent un nom féminin entre Rhône et Saône.”

© Robert Bye sur Unsplash

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Alors, quel impact le BSG va-t-il avoir sur les villes de demain ?

Ce qui semble certain, c’est que le budget et les finances publiques jouent un rôle essentiel dans la manière dont une ville va se concevoir. Il est de plus en plus évident que cette étape de budgétisation, selon la manière dont elle est réalisée, permet de produire une ville plus ou moins inclusive et égalitaire.

Le BSG, notamment par sa phase d’évaluation, permet de faire ressortir les problématiques de genre en ville et de son niveau d’intégrité dans le budget des pouvoirs publics, donnant ainsi la capacité d’agir pour favoriser des actions concrètes dans l’aménagement des territoires.

Cette répartition plus égalitaire du financement public semble par ailleurs être un levier de développement économique des villes, mais peut également contribuer à la conception de villes appropriables par toutes et tous, et ainsi créer des espaces urbains favorisant un bien-être général.

Pour résumer, laisser libre cours à l’élaboration de nouvelles formes de budgétisation pour le financement des villes pourrait non seulement nous guider dans la manière de fabriquer des villes davantage en phase avec les besoins de nos sociétés recherchant une plus grande équité et égalité, mais aussi nous inciter à étendre cette démarche grandissante afin de répondre à d’autres problématiques sociétales. Ainsi, pour demain, ne faudrait-il pas envisager de généraliser les budgets sensibles sur l’ensemble des maux de la ville tels que la pauvreté, les familles, les difficultés rencontrées dans les quartiers populaires… oubliés dans ce processus d’amélioration de conception de nos territoires ?

LDV Studio Urbain
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