Bricolages urbains : détournements de ville
Le “bricolage” de l’espace urbain ne date pas d’hier. Néanmoins, son retour en force ces derniers mois témoigne d’un changement de perception sur ces détournements aussi créatifs que légers et surtout vertueux.
Une ville à façonner
Les “bricolages urbains”, comme les a baptisé Emile Hooge dans la revue M3, se définissent d’abord par un changement de posture de leur concepteurs. “Ce sont les œuvres d’amateurs qui ont abandonné leur posture d’usagers consommant la ville, pour devenir des bricoleurs urbains fabriquant leur propre environnement, celui dont ils ont besoin ou envie.” Une application à la ville du fameux principe DIY, Do It Yourself (“fais-le toi même”).
Les nombreux exemples qu’il a recueilli sur son tumblr dédié traduisent à merveille cet “amateurisme éclairé” : les bricolages urbains viennent se greffer à l’existant – mobilier, arbres, quais de métro, façades et même poubelles, etc. – pour enrichir les fonctions traditionnelles de la ville d’une nouvelle couche de services. Comme le précise Emile Hooge, ceux-ci correspondent forcément aux besoins de ceux qui les ajoutent et les installent. Pour autant, ils peuvent profiter à tous, et c’est bien là leur première vertu.
Heurs et malheurs du bricolage
Attention néanmoins, ces bricolages urbains ont un versant moins positif. La question se pose en effet de leur intégration dans les gouvernances si bien codifiées d’un territoire. Comment être certain que tel ou tel “greffon” n’est pas dangereux pour les enfants, par exemple ? Comment s’assurer qu’il ne contrevient pas à des usages existants, ou qu’il ne va pas irriter tels ou tels habitués du lieu ?
La question est épineuse, tant l’espace urbain peut être source de conflits. L’un des principes fondateurs de nos sociétés repose sur la difficile préservation des équilibres dans l’espace public. En se l’appropriant – et souvent pour des raisons éminemment louables -, les bricoleurs urbains prennent le risque de chambouler ce fragile équilibre. Mais comme nous allons le voir, le jeu en vaut largement la chandelle.
Braconniers généreux
Ce rôle de “chamboule-tout” est d’ailleurs assumé par une partie de ces bricoleurs, qui se définissent avant tout comme “hackers” ou même “hacktivistes” de la ville, à l’instar de Florian Rivière et de ses compères à travers le monde.
Le mot est fort. Dans l’imaginaire collectif, et bien que cela soit une erreur de perception, les hackers sont souvent perçus comme des “pirates” informatiques. En ce sens, les “hackers urbains” se rapprochent du concept de “braconnage” théorisé par Michel de Certeau et confirmé par Emile Hooge.
Le collectif Fabrique Hacktion, à l’origine un projet étudiant, l’avait très bien montré en imaginant divers “parasites urbains” dont certains venaient directement détourner le mobilier mis en place par les opérateurs de mobilité (signalétique RATP ou guichets SNCF), voire même en incitant au partage de tickets dans le métro berlinois. Des initiatives qui, on peut le comprendre, peuvent gêner les acteurs concernés.
Services à la personne
Mais en réalité, lesdits opérateurs devront apprendre à faire avec. D’abord parce qu’il est impossible d’interdire les bricolages : les utilisateurs d’un lieu, et c’est une formidable qualité, trouveront toujours un moyen de contourner les bâtons qu’on peut mettre dans leurs roues. Ensuite et surtout parce que le “bricolage urbain” a le vent en poupe, et qu’il serait bien idiot de s’en passer.
Un nombre croissant de municipalités et d’acteurs privés l’ont d’ailleurs bien compris, faisant appel de manière plus ou moins institutionnalisée à ces brico-braconneurs pour réinventer leurs espaces publics et les services qu’on y trouve. Qu’on l’appelle “place-hacking”, “pop-up planning” ou “tactical urbanism”, les méthodologies convergent vers une intégration croissante des bricoleurs dans les gouvernances de la ville. Et c’est une excellente nouvelle pour la ville… en faisant bien attention à préserver l’homogénéité des usages dans l’espace public. Une ville à faire “soi-même”, d’accord ; mais à condition de la faire pour tous et avec tous.