Boire l’eau de la mer

5 Mar 2025 | Lecture 4 min

D’ici 2050, les scientifiques estiment que la raréfaction de l’eau douce (2,5 % sur terre dont 0,7 % réellement accessible[1]) continuera à s’accélérer. En parallèle, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), nos besoins en eau augmenteront de 50 %. Quel sera alors notre accès futur à l’eau potable, élément indispensable à notre survie ? Existe-t-il actuellement une alternative simple, durable, et écosensible à l’eau du robinet ? Paloma Planche, designer en 5e année de design produit au City Design Lab de L’École de design Nantes Atlantique, s’est penchée sur la question. Elle a conceptualisé un dispositif de production d’eau potable qui révolutionnerait notre accès à l’eau en  cas de pénurie : Modulo. Petit, nomade, adaptable et  performant, ce dessalinisateur permettrait de produire de l’eau potable en toutes circonstances. Une lueur d’espoir face à l’horizon très limité des ressources durables ?

Cap vers l’eau de mer potable

Une Terre assoiffée bordée d’un immense réservoir océanique

Sur notre planète, le cycle naturel de l’eau se grippe et se dérègle en raison du réchauffement climatique : les régions humides deviennent encore plus moites et les régions sèches s’assèchent davantage. En France, ces dernières années, nous constatons l’arrivée d’épisodes de sécheresses extrêmes dès le début de la saison hivernale. Les pluies quant à elles, ne suffisent plus à recharger les  nappes phréatiques. Paradoxe suprême de cet état de fait : notre couverture océanique représente aujourd’hui 97,5 % des ressources en eau sur la planète.

Exemples :

●      en avril 2023, quatre villages des Pyrénées-Orientales ont été privés d’eau potable. Cette région qui subit un stress hydrique depuis 7 ans déjà, voyait alors ses nappes phréatiques quasiment vides (à 30 cm du fond).

●      en août 2022, la France a transpiré sous un été très chaud : 117 communes ne disposaient plus d’eau potable.

Source ©ONU, 2017

Source ©ONU, 2017

L’accès à l’eau potable est un droit fondamental reconnu par l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 2010. Rappelons qu’aujourd’hui encore, 1/4 de la population n’a toujours pas accès à l’eau potable.**

 Au-delà des sécheresses et des pénuries d’eau, le dérèglement climatique accélère et intensifie des phénomènes météorologiques extrêmes :  tempêtes et inondations, par exemple. Or ces tempêtes, comme la tempête Ciaran en décembre 2023, ont provoqué d’importantes pénuries d’eau puisqu’elles ont empêché les usines de capter et de potabiliser l’eau. Ces incidents tendent à se multiplier et à s’intensifier. Toutes les populations ont dû être approvisionnées par des bouteilles d’eau.

Le projet Modulo, lui, n’a qu’un seul véritable objectif en ligne de mire : rendre la population autonome en approvisionnement d’eau douce quelle que soit sa disponibilité.

Le dispositif Modulo ©Paloma Planche, City Design Lab

Le dispositif Modulo ©Paloma Planche, City Design Lab

Vent mauvais pour les dessalinisateurs actuels

Aujourd’hui, le dessalement traditionnel de l’eau de mer est sujet à controverses puisqu’il s’appuie sur le procédé d’osmose inverse, un procédé très énergivore qui produit beaucoup d’eau de rejet : de la saumure, très concentrée en sel. Cette saumure dont la concentration dépasse celle de la mer, est relâchée directement sur le littoral et abîme la faune et la flore marine. Ce dessalement traditionnel possède donc un double impact négatif : il est à la fois énergivore et néfaste pour l’écosystème marin.

Le dispositif Modulo ©Paloma Planche, City Design Lab

Le dispositif Modulo ©Paloma Planche, City Design Lab

De son côté, Modulo désalinise de l’eau de mer par une technique simple et ancestrale : l’évaporation. L’eau portée à ébullition se sépare du sel qui reste au fond du module, puis on la récupère : elle est prête à consommer.

Chaque personne dont l’accès à l’eau douce est complexe ou incertain pourra, grâce à Modulo, maîtriser sa production d’eau à partir d’eau de mer. Cette solution pourrait offrir une alternative durable et simple à moindre coût, tout en respectant l’environnement.

« Avec ce projet, nous avons l’opportunité de transformer l’eau de mer en une ressource vitale pour tous, indépendamment des pénuries. » Paloma Planche, designer du City Design Lab de l’Ecole de design Nantes Atlantique 

Modulo : le projet qui coule de source

La simplicité du Low-tech

Modulo a pour mission de rendre chacun.e autonome en eau de boisson. Il faut savoir que pour bien fonctionner, notre corps a besoin de  2 litres d’eau par jour.

Avec Modulo, les populations qui affronteront des pénuries d’eau ou  une contamination de celle-ci possèderont un outil qui leur évitera de dépendre d’infrastructures extérieures. À la clé, des besoins vitaux physiologiques assurés (hydratation) et plus de sérénité face à la perspective de manquer d’eau.

À mille lieues de gigantesques usines de dessalement, Modulo innove en proposant une nouvelle méthode de transformation de l’eau toute simple. Grâce à l’imbrication de modules qui fonctionnent et acheminent l’eau entre eux, Modulo traite l’eau à 3 différentes étapes de sa désalinisation :

  1. la préfiltration,
  2. la distillation/évaporation,
  3. la condensation.

L’idée est de proposer un dispositif low-tech d’une taille maximale de 2 mètres, qui s’affranchit de tout élément électrique et qui fonctionne de manière autonome en faisant s’écouler l’eau par gravité. L’énergie utilisée pour l’évaporation sera soit thermique, soit solaire, selon le  résultat qui sera affiché par les calculs de rendements.

Le dispositif Modulo ©Paloma Planche, City Design Lab

Le dispositif Modulo ©Paloma Planche, City Design Lab

Transformer l’or bleu en ressource : l’exemple de la famille Lépine

Pour mieux comprendre les enjeux liés à l’eau potable, la designer s’est rendue sur l’île de Groix. Cette île a connu récemment deux évènements majeurs  liés au manque d’eau potable. Tout d’abord, la sécheresse de 2022 a réduit la quantité d’eau potable disponible pour chaque Groisillon. Face à l’urgence, Lorient Agglomération a donc implanté une usine de dessalement provisoire semi-flottante et fonctionnant à l’osmose inverse.

Trois mois plus tard, l’intensité des vagues est devenue telle qu’elle a menacé d’arracher une partie de l’usine. Par conséquent, celle-ci a été démontée. Cette solution a sauvé l’été des îliens bien qu’aucun rapport n’ait été publié concernant les dégradations occasionnées par l’usine sur le littoral. Le deuxième épisode s’est déroulé lors de l’été 2023. L’eau potable contaminée a rendu impossible sa consommation durant 6 jours. Au total, 20 000 bouteilles d’eau en plastique ont été acheminées du continent pour pallier ce manque.

« Face à ces deux aléas, je me suis demandé s’il était possible d’échapper à ces crises de l’eau en étant indépendant du système. C’est là que j’ai rencontré la famille Lépine qui a construit sa maison autonome en eau et en électricité.

Leur idée de départ ? Tester la vie en autonomie par eux-mêmes. Cela fait maintenant sept ans que la famille Lépine a adopté ce mode de vie qui fonctionne, entre autres, à raison de douches de 6 litres là où un français moyen en consomme 60 litres. Pour  cela, ils ont mis au point un système de cycle parfait basé sur la récolte et l’évaporation d’eau de pluie. »

La Famille Lépine ©Paloma Planche, City Design Lab

La Famille Lépine ©Paloma Planche, City Design Lab

Ce qui a fait émerger la vague Modulo relève du même état d’esprit : devenir maître de sa production et de consommation d’eau. Repenser la notion de dessalement. Car si vous faites le bilan : à la fin de votre journée, vous aurez bu à peu près 1,5 litre d’eau, consommé 60 litres d’eau pour votre douche, 9 litres d’eau pour chaque chasse d’eau, 26 litres d’eau pour votre vaisselle, 20 litres d’eau pour votre machine à laver et 10 litres d’eau pour arroser vos plantes. Ces 150 litres d’eau qui s’échappent de vos robinets proviennent des nappes phréatiques (62 %) et des réserves d’eau douce (38 %). Or, face à la raréfaction de l’eau douce, Modulo offre l’espoir d’une réponse nouvelle : une solution pratique et nomade pour les particuliers et une réponse rapide en cas de crise pour les collectivités et ONG. L’horizon Modulo est vaste, mais pour que ce dessalinisateur low-tech s’incarne et serve le plus grand nombre, des équipiers (ingénieurs, partenaires techniques et financiers) sont attendus sur le pont.

*https://blog.helios.do/ressources-hydriques-quels-enjeux-dici-a-2050#:~:text=En%20effet%2C%20on%20parle%20de,0.7%20%25%20est%20accessible%20en%20surface

**selon les Nations Unies, https://www.un.org/fr/desa/new-un-water-development-report

L'École de design Nantes Atlantique
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