Bogotà, portrait d’une durabilité colombienne

Point de vue de Monserrate sur Bogotá ©️ Claus Pacheco via Unsplash
28 Sep 2020 | Lecture 5 minutes

La transformation des villes en vue de s’adapter aux enjeux écologiques actuels se poursuit dans de nombreux pays européens, mais également en Amérique Latine. C’est notamment dans cette optique que les politiques publiques de Bogotá ont transformé la ville, devenant ces dernières années l’une des références réussies de la transition à l’échelle mondiale.

Rénovation et pacification des espaces publics, création de parcs urbains et nouvelle organisation de la mobilité en ville, les grands travaux entrepris ont métamorphosé la capitale colombienne. Aujourd’hui, peut-on dire que Bogotá est le reflet d’un nouvel élan urbanistique et écologique des villes latino-américaines ?

Le passé historique de la ville : de la contrainte à l’opportunité pour un renouveau urbain

L’actuelle configuration urbaine de la capitale colombienne n’a pas toujours été la même. Elle a en réalité considérablement muté depuis deux décennies. Découverte pendant l’expédition du conquistador Gonzalo Jiménez de Quesada en 1538, et élevée au rang de ville par Charles Quint en 1540, la cité fut d’abord baptisée Santa Fe de Bogotá. Après l’indépendance définitive du territoire en 1819, Bogotá devient la capitale de la Grande-Colombie en 1821 mais son véritable essor ne se produisit qu’à partir des années 1940, avec l’industrialisation de la ville et l’exode rural.

La révolution que vit Bogotá peut se résumer en une formule : la ville était une jungle, elle est devenue un jardin!

résument les journalistes Catherine Graciet et Nicolas Ancellin dans un article pour le magazine Géo. En effet, avant de devenir une des villes exemplaires d’Amérique Latine en termes d’organisation spatiale, de mobilité durable et de résilience, Bogotá concentrait de nombreux défis à relever.

Dans un premier temps, des enjeux urbains, démographiques et morphologiques ont participé à contraindre le développement durable de la ville. Bogotá est localisée à 2 640 mètres d’altitude sur un haut plateau de la Cordillère Orientale des montagnes du Nord des Andes et sa population ne cesse de croître pour atteindre près de 8 millions d’habitants de nos jours. Densément urbanisée, exposée aux risques de catastrophes naturelles et très fortement polluée jusque dans les années 1990 (période pendant laquelle Bogotá faisait concurrence à Mexico en termes de pollution atmosphérique) la ville est alors loin d’incarner un exemple de durabilité.

Paysage de Bogotá ©️ Bergslay via Pixabay

Paysage de Bogotá ©️ Bergslay via Pixabay

À cela s’ajoutent les nombreuses et douloureuses périodes de guerres civiles, dont la guerre des Mille Jours, puis depuis les années 1960 le plus récent conflit armé colombien mobilisant notamment les FARC, qui ont participé à développer une insécurité et un taux de criminalité considérables au cœur de la ville. Pour faire face à ces enjeux majeurs, deux maires se sont succédés et ont à leur tour profondément métamorphosé Bogotá.

La mobilité comme levier principal d’actions dans la mutation urbaine de Bogotá

Ces deux personnages publics qui ont successivement marqué l’histoire et la transition de la ville sont Antanas Mockus, maire de 1995 à 1998, puis de 2001 à 2004, et Enrique Peñalosa, maire de 1998 à 2001, puis de 2016 à 2019. Antanas Mockus est particulièrement apprécié par certains pour avoir permis d’introduire une réelle culture citoyenne dans la ville, tandis que Enrique Peñalosa est considéré par d’autres comme la personne à l’origine du développement durable de Bogotá.

Bien que les grands travaux de transformation de la ville aient été divers et variés, c’est principalement à travers un travail de grande ampleur ciblant la mobilité urbaine que la mutation s’est structurée et renforcée.

Un travail conséquent a tout d’abord été mené pour agir sur l’utilisation de la voiture individuelle et le trafic automobile. Dans les années 1990, suite à l’exode rural et aux diverses guerres civiles qui ont engendré de nombreuses migrations en plein cœur de la ville, le parc automobile pouvait augmenter jusqu’à 70 000 voitures par an. Le premier mandat du maire Enrique Peñalosa a par la suite drastiquement modifié ces dynamiques urbaines. Convaincu que « la ville peut être faite pour les gens ou pour les voitures mais pas les deux à la fois », le maire met en place des mesures radicales telles que la hausse des taxes sur l’essence, l’arrêt des projets d’autoroutes urbaines et la circulation alternée dans toute la ville.

Afin de compléter cette transition vers une mobilité plus durable, d’importantes mesures ont également été mises en place pour développer à grande échelle un réseau de transports collectifs. Bien que plusieurs villes d’Amérique Latine aient elles aussi réorganisé leur système de transport public dans les années 2000, l’exemple de référence reste aujourd’hui celui de Bogotá : le Transmilenio. Ce réseau de 1 500 autobus a ainsi permis la décongestion du centre-ville et il est aujourd’hui emprunté par près de 1,6 millions d’usagers.

Un bus du réseau Transmilenio © via Wikipédia

Un bus du réseau Transmilenio © via Wikipédia

Enfin, le maire a souhaité centrer la réorganisation spatiale de la ville vers le développement d’une mobilité active et décarbonée. Les grands travaux d’aménagement urbain entrepris au début des années 2000 ont entraîné la construction 430 000 mètres2 de trottoirs et 150 kilomètres de pistes cyclables. Aujourd’hui Bogotá compte près de 540 kilomètres de pistes cyclables qui permettent de relier l’ensemble des quartiers qui façonnent la capitale colombienne.

La problématique du lien entre les différents espaces de la ville se retrouve dans beaucoup de villes latino-américaines, souvent implantées dans des contextes topographiques complexes. S’ajoute à cela le développement urbain de quartiers informels, n’ayant pas bénéficié d’une planification, qui présentent donc un réel défi, notamment en termes d’espaces publics et de mobilité. L’apport de solutions pour la création d’une ville à échelle humaine accessible et non fragmentée, en répondant ainsi aux enjeux que sont la liaison des quartiers, des habitants, des classes sociales, devient alors le déclencheur du modèle urbain durable qu’est devenu Bogotá.

Bogotá : exemple d’un urbanisme social ?

L’ambition principale d’Enrique Peñalosa pendant son premier mandat était de donner la priorité à l’humain et la convivialité, d’introduire la notion de bonheur dans l’espace urbain plus que l’écologie en elle-même. Les travaux entrepris pour faciliter les déplacements de chacun en ville étaient davantage liés à des enjeux d’inclusivité que de respect de l’environnement. L’idée était alors de permettre à tous les habitants, notamment ceux des quartiers populaires, d’avoir la possibilité de se déplacer librement et facilement dans toute la capitale. Comme le témoigne dans cet article publié en 2010 un habitant d’un quartier défavorisé du Sud de la ville, ces mesures ont rapidement prouvé leur efficacité : “Avant, je mettais deux heures pour aller travailler. Maintenant, il me faut quarante-cinq minutes”.

Ces diverses actions visant à pacifier des rues, créer des places publiques, mais aussi de construire de nouvelles écoles et de bibliothèques, ont eu des conséquences positives très rapidement. Entre 2000 et 2009, le taux de criminalité a chuté de 42%. En 2007, Bogotá est élue Capitale mondiale du livre par l’Unesco. Des politiques publiques innovantes ont été mises en place pour la gestion, la collecte et le recyclage des déchets, par la valorisation des recycleurs.

Place publique à Bogotá ©️ Robin Javier via Pixabay

Place publique à Bogotá ©️ Robin Javier via Pixabay

Il est ainsi intéressant de mettre en parallèle ces résultats positifs et optimistes pour un avenir durable et inclusif, avec les appréhensions, voire oppositions de l’époque. Pendant son premier mandat, la métamorphose urbaine déclenchée par Enrique Peñalosa était loin de faire l’unanimité. Les commerçants craignaient pour leurs activités et étaient absolument contre les travaux de réaménagement de la voirie, tandis que ses administrés ne le soutenaient pas non plus. Pourtant, Ricardo Montezuma, urbaniste à l’université nationale de Colombie affirmait en 2010 : “Il y a 12 ans, nous étions 80% à être pessimistes quant à notre avenir. Aujourd’hui, nous sommes majoritairement optimistes”.

Cet exemple colombien interroge les professionnels de la fabrique urbaine, notamment sur le nécessaire lien entre l’écologie et le social, mais également sur les impacts du développement durable à court, moyen et long termes. Bogotá ne cesse de continuer de se développer et avec l’élection de la nouvelle maire Claudia López le 27 octobre 2019, c’est peut-être une nouvelle révolution qui est en marche…

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