Biomimétisme : vers le bâtiment généreux
S’inspirer d’une termitière pour climatiser un immeuble ? C’est possible, le biomimétisme l’a fait. En s’inspirant de la nature, le biomimétisme est une démarche scientifique qui entend réconcilier l’innovation et les enjeux climatiques. Rencontre avec Chloé Lequette et Eduardo Blanco, respectivement chargée de mission et doctorant chez CEEBIOS, association animant le réseau français de biomimétisme.
Connaissez-vous le plus ancien laboratoire de recherche et développement ayant jamais existé ? Indice, il a 3,8 milliards d’années… C’est le monde du vivant. Voilà en résumé le postulat du biomimétisme. Cette démarche scientifique consiste en un transfert de connaissance du vivant vers la technologie et la production. Dit autrement, il s’agit de s’inspirer de la nature pour innover. La ville fait partie des nouveaux horizons du biomimétisme, en témoigne le thème du quatrième salon Biomim’ Expo qui s’est tenu le 11 septembre à l’Hôtel de Ville de Paris : « Vivre la ville ».
Le pari de Ceebios
La discipline n’est pas nouvelle, Léonard de Vinci s’inspirait déjà du vol des oiseaux pour dessiner ses machines volantes. Mais depuis les années 1990, les progrès dans la recherche notamment à l’échelle nanométrique, l’explosion des connaissances du vivant et la crise environnementale changent la donne. Ces 15 dernières années le nombre de publications scientifiques sur le thème de la bio-inspiration a été multiplié par 7.
En 2015, la ville de Senlis avait lancé CEEBIOS afin de porter l’élan du biomimétisme en France. Installé dans une ancienne caserne militaire, le Centre Européen d’Excellence en Biomimétisme de Senlis est « une structure qui cherche à fédérer les acteurs pour les faire plus travailler ensemble, leur faciliter l’accès à des données biologiques ou à des recherches en cours, et à promouvoir la démarche au niveau national » résument Chloé Lequette et Eduardo Blanco, spécialistes habitats et villes biomimétiques chez CEEBIOS.
Sélection naturelle
Depuis les tout premiers organismes unicellulaires, le vivant teste et expérimente des solutions face à des milieux changeants.
Une variation – si insignifiante qu’elle soit – se conserve et se perpétue si elle est utile
D’une forme, au matériau, en passant par une fonction ou une interaction, le monde vivant offre une gigantesque bibliothèque d’idées dans laquelle puiser. « On fait partie du vivant, ce serait difficile de réussir à vivre d’une autre manière. Le biomimétisme s’efforce de nous réinsérer dans les cycles naturels » explique Chloé Lequette.
Construit en 1996, le Eastgate Center est un centre commercial de plus de 30 000m2 à Harare au Zimbabwe. Dessiné par l’architect Mick Pearce, le bâtiment tente de rompre avec les constructions climatisées et énergivores en utilisant la ventilation naturelle. Il s’inspire du fonctionnement des termitières qui gardent une température stable tout au long de la journée malgré de fortes variations extérieures en régulant l’hydrométrie. Il reproduit pour cela un réseau de circulation d’air qui se termine avec 48 cheminées qui évacuent l’air chaud par le haut. De cette manière, le bâtiment consomme 90% d’énergie en moins qu’un bâtiment climatisé.
Ville régénérative
Dans la logique d’imiter le vivant, le biomimétisme se penche également sur des écosystèmes. Doctorant en « villes régénératives » Eduardo Blanco explique cette branche du biomimétisme qui considère un bâtiment dans son environnement. « Un écosystème, c’est l’ensemble de relations entre des espèces et leur milieu. Pour faciliter la compréhension, on dit que les uns et les autres se rendent des services. » Il s’agit par exemple de traiter l’air, de filtrer l’eau, de produire des nutriments, d’offrir un abri…
Le principe de la régénération c’est d’observer un espace qui ne fonctionne pas très bien, qui ne rend plus de services écosystémiques, et de faire en sorte qu’il en rende à nouveau.
À Vale au Canada, l’exploitation des mines de nickel avait quasiment détruit toute forme de vie à 150km à la ronde. Pour la construction d’un centre de protection des lacs de la région, des écologues ont cherché à restaurer cette zone dégradée. Afin d’empêcher les pluies acides de se déverser directement dans les lacs, un système de dalles en calcaire a été mis en place autour du bâtiment. En entrant en contact avec le calcaire, les pluies perdent en acidité, ce qui a permis à la biodiversité de renaître peu à peu.
Abondance et interdépendance
La solution est assez simple et ses effets sont vertueux pour l’écosystème. Pour Chloé Lequette, « Les villes, les bâtiments ont un impact négatif sur la nature, ou au mieux ils essayent d’avoir un impact neutre. À l’image d’un milieu naturel qui est abondant et généreux, cette approche régénérative essaye d’atteindre un impact positif en rendant des services. »
À Seattle, le Bullitt Center est considéré comme étant le bâtiment le plus écologique au monde. Terminé en 2013, il est totalement autonome en eau et en énergie. Concernant l’eau, un système de récupération des eaux de pluies, de filtre naturel et de stockage des eaux a été élaboré.
“Questionner le progrès”
L’approche déployée pour un tel résultat s’inspire non pas de solutions spécifiques du vivant mais de ses grands principes : une espèce ne consomme que ce dont elle a besoin et n’importe pas ses ressources. L’environnement du bâtiment a donc défini le cahier des charges de celui-ci. En l’occurrence, c’est la pluviométrie de la région qui a déterminé les capacités en eau de l’immeuble et donc la capacité même de l’immeuble. En retour, le Bullitt Center rend des services naturels à son environnement. En amont de pluies torrentielles, il vide ses cuves pour faire fonction d’éponge et limiter que le réseau d’évacuation ne sature.
« Cette contrainte des ressources sur site permet de trouver des solutions ajoute Chloé Lequette. C’est à l’inverse de la conception habituelle. C’est peut être une manière de questionner la notion de progrès qui s’est beaucoup faite avec une envie de distinction par rapport à la nature. Un bâtiment a des contraintes liées à son contexte, il faut les comprendre. Standardiser ça ne fonctionne pas. »
Vos réactions
Voir également dans cette optique la conception biophilique des bâtiments, quelques concepts et exemples sont cités dans : Michèle Champagne, Résilience climatique et biodiversité : innovation, analyse et retours d’expérience, Afnor éditions
https://livre.fnac.com/a13668213/Michele-Champagne-Resilience-climatique-et-biodiversite?Origin=fnac_google