Bientôt des superblocks à Lyon ?
Originaire de Barcelone, le concept de Superblocks vise principalement à apaiser la circulation urbaine et réduire la pollution en limitant drastiquement le trafic automobile à l’échelle de micro-quartiers. Ainsi, au sein de certains “blocs”, la circulation est réduite voire complètement supprimée. Cela participe, entre autres, à l’avènement de villes marchables et sans nuisances sonores. L’ambition d’un tel projet réside également en la création d’espaces citoyens, au sein desquels l’appropriation de l’espace public par les habitantes et habitants est facilitée.
Alors que le modèle s’appuie sur la configuration urbaine du plan directeur de Cerdà à Barcelone, particulièrement adapté à ce concept, peut-il être applicable dans d’autres villes ? Nous nous questionnons à partir de l’exemple de la ville de Lyon, aujourd’hui en pleine réflexion sur le sujet.
Les superblocks barcelonais : l’émergence d’un concept de planification urbaine pour répondre aux enjeux du défi climatique
Les problématiques liées à la qualité de l’air et à la pollution atmosphérique se renforcent généralement dans les milieux urbains et denses. Les activités anthropiques, responsables du changement climatique, engendrent des conséquences, comme les phénomènes d’îlots de chaleur urbains, et présentent un risque à la fois climatique et sanitaire qui inquiète aujourd’hui de nombreux territoires. L’utilisation de la voiture individuelle en est l’une des causes principales. Polluante et nocive pour l’environnement, source de nuisances sonores et visuelles pouvant réduire la qualité de vie urbaine, dangereuse pour la santé des citadines et citadins, l’automobile est responsable de près de 54% des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports. C’est pourquoi une tendance urbaine se développe depuis maintenant quelques années : la pacification des mobilités permettant l’épanouissement de nouveaux usages sur nos voiries.
Dans cette logique, l’urbaniste Catalan Salvador Rueda a imaginé un concept innovant pour la ville de Barcelone, au sein de laquelle près de 60% de l’espace public était occupé par la voiture alors qu’elle ne représentait que 20% des déplacements quotidiens : les Superblocks. L’idée consiste à mettre à profit l’ingénieuse configuration urbaine initiée par l’urbaniste Cerdà, une trame en damier de blocs carrés, pour construire des mini quartiers, en agissant principalement sur la réduction du trafic automobile. L’objectif est également de rendre la rue et l’espace public aux piétons, afin de favoriser le développement d’espaces citoyens, de dynamiques culturelles, artistiques, ludiques ou encore démocratiques.
Appliqué dans plusieurs quartiers barcelonais, ce modèle a d’ores et déjà fait ses preuves. À Poblenou, entre 2016 et 2018, les surfaces dédiées aux espaces verts par habitant ont doublé, 20 nouvelles activités commerciales se sont implantées et près de 250 places de stationnement ont été supprimées, favorisant ainsi une circulation et une vie de quartier plus apaisées. Mais alors, pourquoi ne pas dupliquer et exporter ce modèle au sein de nombreux autres territoires ? Il est assez courant, dans le secteur de la fabrique urbaine, de souhaiter reproduire les modèles qui semblent fonctionner. À titre d’exemple, le vaste projet des Grands Voisins, situé dans le 14ème arrondissement de Paris, a fortement inspiré des acteurs et actrices engagés dans des démarches d’urbanisme transitoire. Dans la même logique, les superblocks pourront-ils demain se concrétiser dans la ville de Lyon ? Leur application au sein de la capitale des Gaules réussira-t-elle à garantir la réduction de la pollution urbaine et l’émergence d’une nouvelle vie démocratique ?
Un modèle urbain applicable à la ville de Lyon ?
L’attrait des équipes municipales lyonnaises pour l’aménagement urbain et les politiques publiques barcelonaises n’est pas nouveau. Avant Grégory Doucet et Gérard Collomb, Michel Noir, maire de la ville entre 1989 et 1995, puisait déjà dans la richesse des expériences urbaines de Barcelone pour inspirer les politiques d’aménagement lyonnaises à mettre en place. En effet, depuis les années 1990, les politiciens et techniciens de la métropole lyonnaise s’engagent dans la requalification des espaces publics. Une vision consistant à faire de l’espace public un outil de recomposition urbaine, déjà adoptée par la ville de Barcelone une dizaine d’années auparavant. En nommant Henry Chabert à la direction de l’urbanisme, Michel Noir, puis ses successeurs, développent progressivement des actions et politiques largement influencées par “l’expérience des aménagements pour les Jeux Olympiques de Barcelone en 1992” rappelle Jean-Yves Toussaint, directeur du laboratoire Environnement Ville Société.
La capitale catalane a été et demeure une source d’inspiration, certes, mais la ville de Lyon ne souhaite pas pour autant en faire une copie conforme. Ariella Masboungi, des “Ateliers Projet Urbain” au ministère de l’Écologie affirme : “Il y a vraiment eu un effet de modèle. Lyon est allé voir Barcelone, mais ils ont fait autrement. Ce que je trouve très intéressant à Lyon, c’est qu’ils se sont inspirés de Barcelone, mais qu’ils ont inventé le modèle lyonnais”. Aujourd’hui, l’actuel maire écologiste Grégory Doucet souhaite reconfigurer la morphologie lyonnaise et offrir un nouveau paysage urbain aux citadines et citadins, davantage centré sur l’échelle locale. Son ambition est d’adapter le concept des superblocks au contexte lyonnais afin, naturellement, d’agir sur la pollution en ville, mais également dans le but de dépasser la seule fonction circulatoire de l’espace public pour y développer de nombreux autres usages.
Afin de le concrétiser à l’échelle du territoire lyonnais, la collectivité a imaginé un exemple de superblocks dans le quartier de guillotière, au cœur du 7ème arrondissement, autour de l’école Cavenne. L’idée est de modifier la circulation automobile actuelle, en créant une boucle partant de la rue Montesqieu vers la rue de Marseille, jusqu’à la rue de l’Université, l’intérieur de l’îlot n’étant accessible qu’aux piétons et cyclistes.
Bien que de tels projets tendent à contribuer au développement de villes plus durables et viables, ils ne font pourtant pas l’unanimité. Le réaménagement de la circulation et la réduction du trafic automobile engendrent nécessairement des contraintes pour les personnes utilisant leur voiture. À Barcelone comme à Lyon, mais aussi à Paris, Londres, Bruxelles, les municipalités réfléchissent et mettent en place des initiatives visant à réduire, voire supprimer, la place de la voiture en ville, que cela concerne le déplacement motorisé ou le stationnement. Or, il n’est pas rare qu’une forte opposition s’active face à ces actions. Et cela, de la part des personnes ayant la nécessité d’utiliser régulièrement leur voiture pour aller travailler, pour amener leurs enfants à l’école, pour faire leur course, et dont l’application des superblocks pourrait contrarier le quotidien.
C’est l’une des raisons pour lesquelles l’étape de la concertation citoyenne est essentielle au bon déroulement de ce type de projet. Communiquer, expliquer, faire de la pédagogie, installer des formes de médiation au sujet de potentielles contraintes pour trouver des solutions concrètes et collaboratives, et accompagner le changement de pratiques urbaines pour développer de nouvelles planifications au sein d’une ville sont en effet des conditions nécessaires à leur approbation. Dans un premier temps, parce que cela permet aux habitantes et habitants de comprendre tous les enjeux dont tient compte le projet et, de fait, d’avoir une vision plus globale. Par ailleurs, parce qu’une démarche de concertation participe généralement à ce que les futurs espaces et dynamiques créés soient davantage appropriés par les usagers. Dans le quartier de Poblenou, à Barcelone, le manque de concertation de la population a entraîné d’importantes manifestations, menées par des automobilistes mécontents du projet. Un tir que la ville a rectifié quelques mois après en lançant une concertation à grande échelle, sur plus de 14 mois. Dans la même logique, la ville de Lyon a elle aussi fait face à des oppositions, lors du projet de piétonisation d’une partie du cours Charlemagne pour lequel certains habitants ont regretté le manque de concertation. Un enjeu qui sera donc primordial si la municipalité souhaite fédérer la population lyonnaise autour du concept de superblocks.
Une transformation aux futurs bénéfices encourageants
Malgré les oppositions qui ont naturellement des revendications justifiées, l’application d’un tel concept à l’échelle de grandes villes comme Barcelone ou Lyon permet tout de même d’engendrer des dynamiques locales plus durables, démocratiques et d’expérimenter de nouveaux modes de faire. Concernant l’enjeu de durabilité et de respect ou préservation de l’environnement, la réduction du trafic automobile permet à la fois de réduire la pollution atmosphérique et de favoriser le développement d’autres modes de déplacement, plus actifs et préférables pour la santé des habitants comme pour le climat. Avec ses 540 kilomètres de pistes cyclables, la ville de Lyon est particulièrement adaptée à ces logiques de mobilité active. De plus, le concept des superblocks entraîne une modification de l’espace public qui peut se compléter par une végétalisation des surfaces libérées. Alors que l’Organisation Mondiale de la Santé recommande aux villes de garantir près de 9,5 m2 d’espaces verts de proximité par habitant afin d’assurer leur bien-être mental et physique, Barcelone en bénéficiait seulement de 6,6 en 2015. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles les superblocks se sont multipliés sur le territoire.
L’aspect démocratique est également l’un des piliers structurant le concept. En effet, les superblocks incarnent un outil efficace pour affirmer le statut d’espace public de la rue et pour (re)donner cet espace aux citoyennes et citoyens par leur réappropriation. Salvador Rueda l’affirme lui-même : “We want these public spaces to be areas where one can exercise all citizen rights: exchange, expression and participation, culture and knowledge, the right to leisure”. Engagée dans cette démarche, la municipalité lyonnaise a, par ailleurs, d’ores et déjà expérimenté le concept avec cet objectif de réappropriation de l’espace public. C’est ainsi qu’une étude a été menée en 2012 par l’Agence d’Urbanisme de Lyon, pour développer un macro-lot, entre le 6ème arrondissement lyonnais et l’Ouest de Villeurbanne, “à même de favoriser une vie sociale de proximité et de permettre la reconquête et l’appropriation de la rue par ses habitants ; en proposant des usages ludiques (jeux pour enfants, espaces de rencontre…), une ambiance végétale marquée (concept de nature en ville), et une approche innovante sur le design urbain (bornes d’information, mobilier urbain…)”.
L’expérimentation urbaine, enfin, vient compléter l’identité même du concept. Des expériences sur les temporalités, sur les modes de faire, sur les outils, sur les professionnels et professionnelles mobilisés, qui viennent s’inscrire dans une approche d’urbanisme dit tactique. La souplesse des aménagements créés permet en effet de ne figer ni l’usage, ni la fonction d’aucun espace, mais bien au contraire, de laisser place à l’expérimentation et à l’expérience usager. De cette manière, ce sont les usagers, les enfants, les jeunes, les femmes, les hommes, les personnes âgées ou en situation de handicap, qui créent de la valeur d’usage. Raison pour laquelle le modèle n’est pas duplicable dans chaque territoire et que toute l’efficience du concept repose sur son adaptation à chaque contexte local, à chaque personne vivant, travaillant et investissant un espace urbain bien précis. “Every superblock is like a small city with its own character” assure Salvador Rueda.
Finalement, ces “mini-quartiers”, ces initiatives très localisées, permettent de travailler un morceau bien défini de la ville, d’expérimenter des usages sur une partie du territoire pour une certaine catégorie de la population municipale. Mais il est essentiel que cela soit pensé dans une dynamique globale afin d’assurer une cohérence territoriale. En effet, la réduction du trafic automobile doit être en lien avec une requalification du réseau de transports en commun. La végétalisation et l’élaboration d’un mobilier urbain innovant doivent être accompagnées de politiques publiques centrées sur l’habitat pour éviter une forte gentrification. Jean-Yves Toussaint l’affirme dans le mensuel Lyon Capitale : “quand vous agissez sur une partie de la ville, sur un petit point, vous agissez aussi sur l’ensemble« . Et naturellement, pour assurer la bonne compréhension du projet par toutes et tous, l’idée est également de mettre en place un dispositif de concertation global qui permettra une appropriation de cette nouvelle façon de vivre à Lyon.