Bien vieillir en ville : les défis de la mobilité senior
Alors que les baby-boomers deviennent des papy-boomers, la population vieillit, posant des questions cruciales sur leur mobilité. Dans ce contexte, l’Atelier Parisien d’Urbanisme (Apur) vient de publier un rapport éclairant sur l’impact du vieillissement de la population sur les mobilités dans le Grand Paris. Comment anticiper cette évolution et garantir une mobilité inclusive pour tous, quel que soit l’âge ?
Le temps file et avec lui, le visage de notre société se métamorphose. Depuis 2011, le rythme du vieillissement de la population s’est intensifié en France, porté notamment par l’arrivée à l’âge de 65 ans des générations du baby-boom. L’année 2020 a été marquée par un tournant symbolique où les personnes de plus de 60 ans, en France, sont devenues plus nombreuses que les moins de 20 ans. Mais ce n’est qu’un début. Selon les projections de l’Insee, jusqu’en 2040, la proportion des personnes de 65 ans ou plus progresserait fortement : à cette date, plus d’1 habitant sur 4 aurait 65 ans ou plus. Cette tendance, résultat de l’augmentation de l’espérance de vie et de l’arrivée des baby-boomers dans cette tranche d’âge, redéfinit notre paysage démographique.
C’est un enjeu fort en matière de mobilité, tant en termes d’aménagement de l’espace public que de politiques à mettre en œuvre pour répondre durablement aux besoins de déplacements des personnes âgées. C’est aussi un enjeu de société, tant la capacité à se déplacer est facteur d’autonomie et de lien social. Avec l’âge, les programmes d’activités et la temporalité des déplacements évoluent. Les seniors se déplacent moins que les actifs, mais davantage que par le passé. En parallèle de cette évolution, le choix du mode de déplacement se transforme, reflétant les besoins changeants et les préférences liées à l’âge.
Le maintien de la mobilité des seniors est un facteur essentiel de leur bien-être au fil du vieillissement, s’inscrivant dans un contexte plus large de réduction des émissions de carbone et de changement climatique. D’autant plus que des modèles ont montré que le vieillissement de la population pourrait entraîner une augmentation des déplacements en voiture, ce qui va à l’encontre des objectifs des stratégies de mobilité. Ainsi, l’enjeu réside dans la promotion du maintien de la mobilité des seniors en encourageant les déplacements à pied et en utilisant les transports en commun. Plongée au cœur de la mobilité des seniors et des initiatives déployées au sein de nos villes.
Comment se déplacent les personnes âgées aujourd’hui ?
Selon une étude du Laboratoire de la Mobilité Inclusive, les seniors d’aujourd’hui se déplacent moins que le reste de la population, avec une diminution significative de leur mobilité liée à divers facteurs. L’arrêt des déplacements domicile-travail, la baisse du revenu et une diminution progressive des facultés physiques sont autant de raisons qui expliquent ce phénomène. En effet, selon l’Enquête Nationale Transports Déplacements de 2008, alors qu’à l’âge de 55 ans, on effectue plus de 4 déplacements par jour en moyenne, ce nombre chute à moins de 3 après 75 ans. De même, leurs distances parcourues diminuent avec l’âge, avec une moyenne de 17 km par jour pour les 65-74 ans, et seulement 8 km pour les plus de 75 ans.
Les transports publics sont peu utilisés par les personnes âgées en France représentant seulement 5,1% de leur pratique modale, contre 8,3% pour l’ensemble de la population, toujours selon le Laboratoire de la Mobilité Inclusive. Même dans les grandes agglomérations, l’utilisation des transports en commun ne va pas de soi, comme le met en lumière l’enquête du Cerema pour la Métropole Européenne de Lille. Pour de nombreux seniors qui préfèrent la voiture, les transports en commun ne sont considérés que de manière très exceptionnelle. Il est surprenant de constater que beaucoup d’entre eux témoignent d’une méconnaissance importante des services offerts, des tarifs pratiqués et des garanties proposées. L’insécurité est aussi un facteur important dans leur perception des transports en commun. L’un des participants exprime ainsi son attachement à la voiture pour les déplacements quotidiens, en précisant qu’il appréhende les transports en commun, notamment en raison de l’insécurité ressentie alors qu’il mentionne des avertissements de ses amis sur les risques de vol dans le métro.
En revanche, la marche occupe une place significative dans la mobilité des personnes âgées. En effet, elle représente 39,7% de la part modale chez les plus de 75 ans, comparé à seulement 22,3% pour l’ensemble de la population. Pour de nombreuses personnes interrogées, la marche est une pratique familière, remontant souvent à leur enfance où elle constituait le principal moyen de déplacement. Cette expérience les a habituées à ne pas craindre les distances, élargissant ainsi leurs perceptions de ce qui est « marchable ». Même aujourd’hui, ces individus, ayant eu une histoire de vie marquée par la marche, continuent volontiers à marcher régulièrement dans la mesure de leurs capacités physiques. En ce qui concerne le vélo, la situation est un peu plus complexe : avec le vieillissement et les éventuels problèmes de santé, l’utilisation de ce moyen de transport tend à diminuer progressivement. Pour beaucoup, la crainte d’accidents, la peur de perdre l’équilibre ou les conséquences d’incidents antérieurs ont conduit à l’abandon de cette pratique. La nécessité d’une vigilance accrue sur la route, combinée à une certaine méfiance à l’égard des infrastructures dédiées aux cyclistes, pousse bon nombre de personnes âgées à préférer d’autres modes de déplacement plus sécurisés.
Adapter l’espace public aux seniors piétons
L’adaptation de l’espace public pour assurer le confort et la sécurité des seniors lors de leurs déplacements devient une priorité incontestable. De nombreuses villes ont déjà pris des mesures concrètes dans cette optique, motivées non seulement par le désir d’améliorer le bien-être urbain, mais également par la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique. Ces initiatives s’articulent autour d’une meilleure prise en compte des piétons, nécessitant diverses actions allant de l’aménagement des espaces publics pour accueillir les seniors (installation de mobilier urbain, sécurisation des trottoirs, accessibilité, création d’itinéraires de promenade de qualité…) à l’adaptation de l’offre de transports en commun afin de les rendre plus accessibles. De plus, il existe des préoccupations concernant la sécurité des seniors piétons, car ils sont proportionnellement plus nombreux parmi les victimes des accidents de la route : 52% des piétons tués ont plus de 65 ans, alors qu’ils représentent seulement 19% de la population.
Dans la ville de Reims, le Département et la municipalité se sont unis à la Prévention routière de la Marne pour mettre en place une séance intitulée « Tous piétons, adoptons les bons réflexes », comprenant un atelier de révision des panneaux de la rue et une promenade urbaine pour mettre en pratique ces connaissances. Les seniors ont reçu un podomètre solaire ainsi qu’un « carnet de bord de mon podomètre », dans le but de promouvoir la marche à pied comme une alternative à la voiture lorsque cela est possible, mettant en avant les bienfaits de la marche pour la santé et pour le climat. Cette initiative a rencontré un vif succès, ce qui a conduit à sa reconduction sous la forme d’un rallye pédestre en ville, agrémenté d’un quiz animé par un volontaire de la prévention routière portant sur des situations rencontrées en chemin. Les participants reçoivent des récompenses à l’issue de l’événement, accompagnées de l’obtention d’un diplôme « Tous piétons”.
Les seniors jouent un rôle crucial dans la facilitation de leur propre mobilité piétonne, comme en témoigne l’initiative menée à Metz dans le cadre du programme “Villes Amies des Aînés”. Dans le quartier Sainte-Thérèse, où la population âgée est importante, la ville a réalisé, avec le soutien de l’AGURAM, un diagnostic approfondi de la marchabilité de l’espace urbain, en identifiant les obstacles et en proposant des solutions adaptées aux besoins spécifiques de cette population.
La démarche a mis en évidence l’importance de créer des espaces de pause le long des chemins empruntés par les seniors. En effet, l’installation de bancs à des endroits stratégiques a permis de répondre à ce besoin spécifique en offrant aux personnes âgées la possibilité de se reposer et de récupérer lors de leurs déplacements à pied. Par ailleurs, la participation active des seniors à toutes les phases de l’expérimentation a joué un rôle crucial dans la pertinence de la stratégie mise en œuvre. En impliquant directement les personnes concernées, la ville de Metz a pu recueillir des informations précieuses sur leurs besoins, leurs préoccupations et leurs préférences en matière d’aménagement urbain. Cette approche participative a permis de concevoir des solutions sur mesure, parfaitement adaptées aux attentes des personnes âgées, tout en tenant compte des réalités du terrain et des contraintes techniques.
L’avenir de la mobilité des seniors est un défi que notre société se doit de relever avec ingéniosité et sensibilité. Au-delà des enjeux purement techniques, il s’agit de préserver leur autonomie et leur lien social tout en contribuant à la préservation de l’environnement. Les initiatives actuelles, qu’elles soient axées sur l’aménagement de l’espace public ou sur la sensibilisation aux modes de déplacement doux, sont des pas encourageants dans cette direction. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour garantir que les personnes âgées puissent se déplacer en toute sécurité et confort. Par ailleurs, en observant le parallèle entre les déplacements des personnes âgées et ceux des enfants, ainsi que d’autres populations vulnérables, nous pouvons comprendre l’importance de concevoir des environnements urbains inclusifs qui répondent aux besoins de tous. En embrassant cette vision holistique de la mobilité, nous pouvons construire des villes où chacun peut vivre pleinement, quel que soit son âge ou sa condition.