Avec la crise de l’aérien, Toulouse s’interroge sur son avenir
Principalement centrée le secteur aérien, Toulouse a été ébranlée dans ses convictions par la crise du Covid. Depuis mars, élus, professionnels et citoyens s’inquiètent des conséquences à long terme d’un ralentissement de l’économie locale. Derrière les débats sur le futur de l’aérien, c’est le modèle d’aménagement du territoire qui est en question.
Le syndrome Détroit
Tout est parti d’une tribune publiée fin avril au titre volontairement provocateur : « Toulouse, le syndrome Détroit ? ». Signé par plusieurs collectifs de gauche (fondation Copernic, Attac, Amis du Monde Diplomatique et l’Université Populaire de Toulouse), le texte interpelle sur la situation de mono-activité de la métropole et des risques d’une crise du secteur aérien pour le territoire. Provocatrice, la référence à la ville américaine de la Rust Belt a largement fait réagir. Longtemps portée par la croissance du secteur automobile, Detroit a été victime de la désindustrialisation : en 50 ans, elle a perdu près d’un million d’habitants et est devenue l’emblème des « shrinking cities », les villes en déclin.
À se pencher sur les taux d’emploi du secteur aérien dans la région, difficile de ne pas être alarmiste : la tribune évoque 110 000 salariés de la filière aéronautique dans le département de la Haute Garonne dont 70 000 sur la métropole toulousaine. Par un calcul certes un peu mécanique, « sachant qu’un emploi industriel permet, selon l’INSEE, de créer 1,5 emploi indirect et 3 emplois induits dans le reste de l’économie », les signataires concluent que 500 000 emplois en Haute-Garonne et 385 000 emplois sur le territoire métropolitain (soit 85% des emplois) seraient impactés par la crise du secteur.
Comparaison n’est pas raison
La démonstration n’a laissé personne indifférent. Le maire fraîchement réélu Jean-Luc MOUDENC (LR) a réfuté tout scénario catastrophe à la Détroit tandis qu’une guerre de tribunes interposées s’est engagée. Membres du Manifeste pour l’Industrie, le délégué syndical CGT d’Airbus Xavier PETRACHI et l’économiste Gabriel COLLETIS ont publié une réponse dans les colonnes de Médiacités, insistant sur le fait que « comparaison n’est pas raison ». Deux jours plus tard, l’Atécopol, un collectif de plus d’une centaine de scientifiques de la région toulousaine adressait une lettre ouverte aux salariés de l’aéronautique toulousaine.
À chaque fois se manifeste une même volonté de proposer de nouvelles bases pour un « monde d’après », avec en filigrane une ligne de fracture autour de la croissance verte. « Notre origine est militante explique Pascal GASSIOT, membre de la fondation Copernic, nous sommes plusieurs collectifs à militer depuis des années contre le libre échange par exemple. » Inquiets de la teneur libérale des réponses apportées par les élus locaux aux crises sanitaire et écologique, les signataires estiment construire un contre-discours.
Ils s’étonnent notamment de certaines propositions du rapport « Toulouse Territoire d’Avenir » commandé par la métropole et la région Occitanie pendant l’été. Celui-ci suggère la création de villes nouvelles à proximité de Toulouse, la construction d’un grand musée thématique « avec un fort geste architectural » et l’invention d’un grand festival pour favoriser le tourisme international. Une accélération de la muséification de Toulouse et de la mise en compétition des territoires selon Pascal GASSIOT : « c’est typique des années 80 » assène-t-il.
Territoire d’enfant gâté
Pour mieux comprendre d’où viennent ces critiques, le directeur de l’Agence d’Urbanisme et d’Aménagement Toulouse aire métropolitaine (AUAT) Yann CABROL nous donne quelques clés de contexte.
D’après Yann CABROL, la métropole n’a jamais eu à se projeter dans son avenir : elle s’est efforcée de gérer sa croissance.
Cette confiance dans la croissance de la métropole aurait contribué à sous-estimer la vulnérabilité d’une économie mono-activité.Générer un débat
Derrière la critique d’un modèle d’aménagement libéral, « ce qu’on souhaitait, c’est générer un débat » déclare Pascal GASSIOT. Objectif atteint puisqu’aujourd’hui les différentes oppositions citées plus haut semblent s’être associées derrière le collectif “Pensons l’aéronautique pour demain” afin de discuter l’avenir du secteur et documenter ces bouleversements. Les étudiants de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-SUPAERO) se sont également joints au mouvement après avoir publié une tribune dénonçant l’impossible adéquation d’un retour à la croissance de 2019 avec les objectifs de réduction carbone pour 2050.
Ciblant en particulier les promesses d’avion verts à hydrogène, ils estiment que réunion publique s’est tenue en juin pour porter et enrichir le débat, puis une autre en octobre.
UneL’autre demain
Ainsi le destin du secteur aérien s’imbrique profondément avec celui de l’aménagement de Toulouse. Pour Yann CABROL, trois camps se disputent : ceux qui veulent sauver coûte que coûte l’aérien, moteur de l’économie toulousaine ; ceux qui veulent tout changer, au titre que le secteur est déjà une cause perdue ; et une voie intermédiaire, que le directeur de l’agence d’urbanisme défend.
Sur son site, l’agence s’est d’ailleurs lancée dans un travail de réflexion prospective baptisé “L’Autre Demain”. Elle entend ainsi documenter objectivement les caractéristiques du territoire toulousain et contribuer au débat public. « L’urbanisme est fait d’injonctions contradictoires résume Yann CABROL. S’il y a un bénéfice à cette crise pour Toulouse, c’est que ça a permis à tout le monde de prendre conscience qu’il fallait se mobiliser et qu’on ne pouvait pas laisser faire les choses. Toulouse doit prendre son destin en main. »