Auto-rénovation et construction participative, des solutions à investir ?

©Tobi K via Flickr
29 Juil 2021 | Lecture 5 min

Face à un parc de logements vieillissant, et à l’émergence de nouveaux modes de vie, la massification de la rénovation énergétique apparaît comme un défi de taille.

Alors que des milliers de citoyens décident de prendre en main leurs travaux d’amélioration de l’habitat, de nouveaux dispositifs et de nouvelles structures émergent pour les accompagner dans cette démarche.

Un parc de logements vieillissant à rénover

D’après les dernières données publiées, 44% des consommations énergétiques en France proviennent du secteur du bâtiment, tertiaire comme résidentiel, ce qui en fait le pôle le plus important devant les transports (31%). De plus, ce secteur est responsable de près de 20% des émissions de gaz à effet de serre chaque année. Dans un contexte où les effets négatifs du changement climatique sont de plus en plus néfastes, la question de la rénovation des logements se pose avec plus d’urgence que jamais. Sans oublier que la nécessité de cette réhabilitation massive se justifie également par la vétusté de certains logements, sur laquelle les effondrements de la rue d’Aubagne à Marseille ont mis un coup de projecteur.

D’après une étude conduite par l’Etat en 2020, 17% des logements du territoire sont considérés comme des passoires thermiques, ce qui correspond aux étiquettes F et G du diagnostic de performance énergétique. La rénovation thermique peut alors constituer un levier capital pour combattre le réchauffement climatique et réduire nos émissions de gaz à effet de serre. D’ici 2050, l’objectif est aujourd’hui de passer l’ensemble du parc  résidentiel collectif du pays à un niveau de basse consommation, c’est-à-dire à la classe A ou B. Un horizon qui implique, selon la feuille de route nationale, jusqu’à 700 000 rénovations de logement par an à partir de 2030, date à laquelle les passoires thermiques devraient être éliminées. Or, en 2019, l’observatoire BBC ne recensait que 28 000 logements engagés dans une procédure de rénovation.

Afin d’aider les habitants à mener à terme leurs travaux de rénovation, des dispositifs d’aide se multiplient depuis plusieurs années, notamment MaPrimeRénov’. Cette aide de l’Agence nationale pour l’Amélioration de l’Habitat (ANAH) consiste en une subvention versée dès la fin des travaux aux propriétaires. Sa dernière mise à jour a étendu le dispositif à l’ensemble des propriétaires ainsi qu’aux copropriétaires, alors même que les copropriétés représentent le maillon faible de la rénovation énergétique. Bien que nécessaire pour permettre au plus grand nombre d’engager une réhabilitation, ces  aides qui ne sont pas associées à des exigences en termes de matériaux, peuvent parfois être difficilement mobilisables par des habitants n’ayant pas toutes les clefs, et sont l’objet d’arnaques de la part d’entreprises peu scrupuleuses.

Face à ces enjeux importants, l’auto-réhabilitation accompagnée apparaît alors comme une solution capable de contourner ces obstacles en fédérant habitants et professionnels du bâtiment et en créant une large culture de la rénovation dans le pays.

L’auto-réhabilitation accompagnée, une pratique qui fédère les acteurs de la fabrique urbaine

L’auto-production consiste en la construction, la rénovation ou la réhabilitation d’un logement directement par des particuliers, sans passer par des professionnels. Cette pratique peut se retrouver tout autour du globe, que ce soit du côté de la Turquie avec les gecekondu, logements créés “en une nuit” sans aucun permis de construire, ou plus près de chez nous à travers les réalisations du mouvement des Castors de Bayonne, actifs depuis l’après-guerre et alors soutenu par les pouvoirs publics.

Si ce système des Castors s’est essoufflé au cours du siècle précédent, l’auto-réhabilitation est revenue sur le devant de la scène ces dernières années. Elle est  à nouveau soutenue par les pouvoirs publics, dans l’objectif d’optimiser les performances énergétiques des logements et d’en améliorer le confort. Plusieurs dispositifs sont alors mobilisés, notamment l’Auto-Réhabilitation Accompagnée (ARA) mise en œuvre par l’ANAH.

Contrairement à d’autres démarches d’autoproduction plus anciennes, l’ARA implique des accompagnateurs qui aident les propriétaires à développer les compétences nécessaires à leurs travaux, en plus de garantir la bonne qualité des chantiers. De nouveaux acteurs interviennent depuis quelques années pour animer cette dynamique à l’instar de REPAAR (Réseau Pluriel des Opérateurs de l’accompagnement à l’Auto-réhabilitation) initié par l’association Oïkos et par les Compagnons Bâtisseurs ou encore plus récemment par la FédAC (Fédération des Accompagnateurs).

L’action de cette dernière est novatrice, puisqu’elle cherche à s’adresser directement aux professionnels du bâtiment plutôt qu’aux particuliers. Elle élabore alors un référentiel méthodologique pour assurer la qualité de l’accompagnement, en plus d’être un point de ressources pour tous les acteurs qui s’interrogent quant aux assurances, à la dimension juridique ou aux politiques publiques.

En fédérant un grand nombre de professionnels et donc de chantiers en cours, elle vise aussi à répondre à certaines inquiétudes, qui voient dans l’ARA une concurrence déloyale pour les artisans du bâtiment. La FédAc met en avant la création d’un nouveau marché et la structuration d’une nouvelle filière, bénéfique pour tous les acteurs de la fabrique urbaine. On peut d’ailleurs noter que l’Ordre des Architectes s’est récemment saisi de cette dynamique en proposant une boîte à outils, à destination des architectes qui cherchent à s’inscrire dans ce nouveau marché, preuve du grand intérêt pour ce phénomène.

Description du fonctionnement de l’auto-rénovation avec l’intervention de la FEDAC ©ADEME

Description du fonctionnement de l’auto-rénovation avec l’intervention de la FEDAC ©ADEME

Une démarche d’empowerment

La contribution à l’adaptation et à la lutte au changement climatique n’est pas le seul argument en faveur du développement de l’auto-réhabilitation et de l’auto-construction. En effet, une des motivations principales des citoyens qui s’engagent dans ces travaux tient à la volonté de s’approprier leur logement en le construisant à leur image. On se rend facilement compte de la force de cet argument, puisque 5 à 6% des maisons bâties chaque année sont autoconstruites, malgré l’investissement demandé qui peut se compter en années.

Cet empowerment, permis par l’autoconstruction, est également mobilisé dans la ville de Tulle en Corrèze, où des demandeurs d’emplois peuvent suivre une formation d’agent d’entretien du bâtiment afin de devenir auto-rénovateurs professionnels. Après des séances théoriques, ils se font la main sur un appartement témoin avant de confirmer l’essai en auto-réhabilitant leur propre logement, avec l’accord et le soutien de leur bailleur social.

Vidéo YouTube de la chaîne France 3 Nouvelle-Aquitaine : Auto-rénovation des HLM à Tulle

La démarche ne se cantonne cependant pas à l’aspect individuel, puisqu’il y est aussi question d’innover et de proposer au reste de la société des méthodes plus vertueuses.  Une étude menée par l’ONSMP (Observatoire National des pratiques en Santé Mentale et Précarité) dans le Nord-Isère a par exemple montré certains effets positifs de l’auto-rénovation sur le lien social et sur la dimension citoyenne de l’habitat. Les habitants développent de nouvelles compétences et se transforment en experts, capables de venir en aide aux voisins, ce qui rappelle par exemple l’entraide entre anciens et nouveaux résidents dans la commune de Marinaleda en Espagne. Cet empowerment ne se cantonne d’ailleurs pas à ces derniers, mais s’étend aussi aux professionnels de l’urbain qui voient leurs représentations et perspectives changées.

Comment massifier l’auto-réhabilitation ?

Il nous paraît alors indispensable de réfléchir à des outils pour renforcer cette dynamique, notamment en s’appuyant sur l’action d’acteurs à l’instar de la SCIC Archi Possible implantée en Essonne, qui réunit des autoconstructeurs, des accompagnateurs ainsi que des investisseurs solidaires.  À la suite d’un appel à manifestation d’intérêt, les communes d’Arpajon, Les Molières, Limours et Pussay ont été désignées pour bénéficier d’un soutien à l’auto-rénovation sur des périmètres différents pour chacune d’entre elles. Archi Possible, en partenariat avec l’Alec Ouest Essonne, va donc repérer les ménages les plus motivés pour les faire entrer dans le réseau des autoproducteurs.

L’auto-rénovation permet de valoriser le patrimoine existant et les expertises des habitants. ©getty images

L’auto-rénovation permet de valoriser le patrimoine existant et les expertises des habitants. ©getty images

En s’appuyant sur ces premiers citoyens engagés, l’objectif est ensuite d’animer et de dynamiser le collectif local pour stimuler l’entraide entre les habitants, et permettre une montée en compétence généralisée. Ce type de démarche devrait être encouragé partout dans le pays, puisqu’elle permet à la fois de porter une dynamique à l’échelle locale, tout en s’inscrivant dans des réseaux nationaux.

Une piste qui nous semble également intéressante à explorer est celle d’un congé dédié auto-rénovation. Comme on l’a déjà évoqué, les travaux d’auto-rénovation — et a fortiori ceux d’auto-construction — demandent énormément de temps, rarement mobilisables par la plupart des ménages. Un grand nombre d’entre eux dédient leurs congés annuels à cette tâche, éventuellement en alternant avec leur conjoint•e et en mobilisant des membres de leurs familles. Offrir un congé supplémentaire permettrait alors de contribuer à l’avènement de villes durables et viables dans les années à venir.

Le dispositif de chantier participatif s’avère également être une piste pertinente, pour plus largement poursuivre ce but commun. Il consiste à faire intervenir des bénévoles des quatre coins du pays, qui acceptent de donner quelques jours ou quelques semaines pour contribuer à des travaux d’auto-rénovation ou d’auto-construction. L’entraide, l’échange de savoirs et le renforcement des liens sociaux sont au cœur de ces chantiers participatifs, et il paraît alors primordial de les faciliter pour qu’ils se multiplient sur tout le territoire. D’autant plus qu’ils rendent possible des interventions lourdes, contribuant à éviter la rénovation énergétique “par petits pas”, en partie responsable de l’échec relatif des politiques de réhabilitation en Allemagne.

Il serait intéressant d’associer cette idée à celle de congé en auto-rénovation pour en multiplier les instances, et de les valoriser dans notre société, par exemple en les considérant comme un service citoyen. Les mairies pourraient alors soutenir ces chantiers en mettant en disposition du matériel, comme des échafaudages, à disposition des habitants. Un écosystème d’outils serait envisageable afin de faciliter et encadrer ces démarches communes et essentielles à la transformation des territoires.

L’auto-réhabilitation constitue donc un levier majeur pour contribuer à l’effort de transition énergétique, en plus de permettre aux citoyens-habitants de pleinement prendre part à la fabrique urbaine, tout en rendant possible une amélioration participative de l’habitat en accord avec la volonté de tous. Il devient alors capital d’encourager la dynamique en œuvre dans un grand nombre de territoires, en facilitant au maximum les démarches, d’un point de vue individuel comme collectif.

LDV Studio Urbain
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