Arts décoratifs et régulation thermique : un duo gagnant ?

© Jaime Spaniol via Unsplash
16 Nov 2021 | Lecture 4 min

Depuis l’époque du Moyen-Âge, puis pendant la période de la Renaissance, la décoration d’intérieur, notamment les revêtements de surfaces murales et au sol, a largement participé à la régulation thermique des bâtiments. Aujourd’hui, cette technique originale, pourtant éloignée des missions traditionnelles de l’architecture, tend à refaire surface pour garantir le confort thermique des anciennes comme des nouvelles constructions.

Entre le renouvellement de la tendance des arts décoratifs et la nécessité d’intégrer des formes de durabilité et de sobriété au sein des projets urbains, la décoration sera-t-elle demain une solution efficace pour lutter contre les conséquences du dérèglement climatique ?

L’urgence climatique et plus récemment la crise sanitaire, impactent la manière dont nous concevons, construisons et investissons nos villes. La configuration d’un territoire, le choix des matériaux de construction, de la densité d’un programme immobilier, de la présence ou de l’absence d’une certaine biodiversité peuvent tout autant assurer le confort thermique d’un quartier qu’accentuer des phénomènes tels que les îlots de chaleur urbains. Un sujet sur lequel de nombreuses et nombreux spécialistes d’architecture, d’histoire, de paléontologie, de philosophie, d’ingénierie ou encore de physique se sont d’ores et déjà penchés, et que l’équipe du Pavillon de l’Arsenal et Philippe RAHM ont investi pour l’exposition “L’histoire naturelle de l’architecture”. Pendant presque une année, l’exposition, s’appuyant sur une grande fresque urbaine, proposait un triple parcours chronologique retraçant “les causes naturelles, physiques, biologiques ou climatiques qui ont influencé le déroulé de l’histoire architecturale”.

Alexandre LABASSE, directeur général du Pavillon de l’Arsenal, introduit cette exposition en écrivant : “l’auteur rappelle que notre nature homéotherme préside à la conception de tout édifice, que la ville naît pour protéger les denrées qui nous permettent de subsister, que l’histoire des gabarits dépend de la puissance humaine disponible, que les parcs se sont inventés pour des enjeux sanitaires, que les prémices de l’urbanisation du littoral résultent de la lutte contre le rachitisme et le crétinisme, que le cinéma doit son succès à l’invention de la climatisation… L’historiographie convoque tant les icônes et les maîtres de la discipline que des architectures du quotidien ou des stratégies vernaculaires souvent oubliées”.

Guilhem Vellut via wikipédia

Guilhem Vellut via wikipédia

Climat et architecture entretiennent donc l’un avec l’autre une histoire de longue durée. L’avènement des écoquartiers et des réglementations publiques visant la durabilité et la sobriété des nouvelles opérations immobilières mettent aujourd’hui sur le devant de la scène de nouvelles techniques de construction éco-responsables. Les professionnels de la fabrique urbaine ont en effet de plus en plus recours à l’utilisation de matériaux biosourcés, à des logiques de circularité, des revêtements extérieurs blancs ou encore des réseaux de chaleur urbains afin de minimiser le bilan environnemental et énergétique de leurs projets. L’installation de systèmes de ventilation performants ou l’accès à la lumière naturelle contribuent également au confort thermique de nos pièces à vivre. Plus surprenants, car davantage associés à des formes d’esthétisme, les arts décoratifs peuvent pourtant eux aussi devenir de véritables régulateurs climatiques, et ce depuis un certain temps…

La décoration d’intérieur : le radiateur d’antan !

Depuis l’Egypte antique, des sculptures et des peintures racontent l’histoire de l’humanité et habillent nos constructions, l’architecture étant intrinsèquement artistique et les ornements faisant partie intégrante des bâtiments comme les arts décoratifs du travail des ouvriers. La Grèce et Rome antiques ont naturellement elles aussi leurs ouvrages décoratifs, incarnés par des matériaux nobles comme le marbre et l’ivoire pour la Grèce et par des bas-reliefs et grandes peintures murales pour Rome.

Progressivement, la vocation purement décorative, esthétique, ou bien hiératique de tels ouvrages évolue vers une fonction bien plus primaire : l’isolation thermique ! Au Moyen-Âge, la configuration urbaine, caractérisée par l’édification de châteaux et de larges fortifications, est efficace pour repousser l’ennemi, mais protège en revanche beaucoup moins ses habitants d’un autre adversaire, le froid. En effet, les constructions en pierre, l’utilisation de matériaux émissifs tels que le granit, ou encore l’ajustement peu avantageux des fenêtres ne garantissent pas de réel confort thermique. Des solutions simples sont alors adoptées, afin d’isoler au mieux les sols et les murs de ces constructions médiévales : l’aménagement d’immenses tapisseries et d’épais tapis en laine. De même, le lit-clos ou même les paravents incarnent tout autant un rôle climatique.

La période de la Renaissance pérennise cette logique et cette dualité. Bien que les arts décoratifs devaient surtout témoigner de la splendeur, la richesse et le statut des propriétaires des lieux, les boiseries et longs rideaux participent, eux aussi, à réguler les températures ou éviter les courants d’air froid. Le confort et l’agencement des pièces étaient par ailleurs, à l’époque, de bons indicateurs de pouvoir et de hiérarchie sociale, les domestiques ne disposant pas des mêmes décorations au sein de leurs espaces personnels. Dépassant la seule régulation thermique, les arts décoratifs étaient à même d’impacter, plus globalement, la consommation énergétique des bâtiments. En effet, la disposition de miroirs ou de grands lustres en cristal pouvaient par exemple intensifier la luminosité des surfaces éclairées à la bougie.

Diogo Nunes via Unsplash

Diogo Nunes via Unsplash

Au cours des décennies suivantes, de nouvelles techniques de chauffage sont inventées, telles que le poêle à bois, qui lui aussi, du moins de nos jours, oscille entre équipement thermique et objet de décoration. L’utilisation massive des énergies fossiles durant le XXème siècle et la performance des systèmes actuels de chauffage, comme de climatisation, ont finalement eu pour effet de délier, quelque peu, cette dualité. Pourtant, la crise climatique que nous sommes en train de vivre et l’émergence de nombreuses consciences citoyennes écologiques engendrent nécessairement des réflexions et plans d’actions pour diminuer la consommation énergétique des nouvelles, comme des anciennes constructions. Alors, le duo décoration d’intérieur et régulation thermique pourrait-il revenir à la mode et incarner une solution durable et efficiente pour faire face aux enjeux de notre temps ?

Esthétisme et durabilité : quelle future évolution pour nos villes ?

Le secteur du BTP représente près de 75% des déchets produits en France, 45 % de la consommation énergétique nationale et 27 % des émissions de CO2. Ces conséquences sur l’environnement, notamment la pollution émise en phase travaux comme en phase exploitation, ne sont aujourd’hui plus à prouver. C’est donc pour cela que les méthodes et outils au sein de la fabrique urbaine, dont de l’architecture, évoluent vers des modèles de plus en plus éco-responsables et résilients. Les matériaux de construction tels que le bois, le chanvre ou encore la paille investissent les chantiers et participent à réduire la place du béton en ville. Les orientations des logements et les jeux de transparence dont bénéficient les nouveaux bâtiments vitrés permettent l’intégration optimale de la luminosité et de la chaleur fournies par le soleil. De même, il n’est plus rare aujourd’hui que les équipes chargées de l’élaboration de projets urbains se fassent accompagner par un écologue afin d’assurer la végétalisation des cœurs d’îlots, et, de fait, le rafraîchissement d’un espace urbain.

Autant de techniques assurant des formes de durabilité, de sobriété énergétique et environnementale, mais également d’esthétisme… En effet, l’utilisation du bois pour un bardage, de briques pour une façade, ou l’installation de carrelages Grès Cérame ou en pierre naturelle sont finalement tout autant performants dans l’isolation thermique qu’agréables à regarder. Dans la ville de Lisbonne, au Portugal, les fameux azulejos, ces carreaux de faïence qui habillent les rues de la capitale et embellissent les espaces extérieurs comme intérieurs, permettent également de tempérer le climat méditérrannéen de la région.

Au sein des intérieurs également, la liaison des fonctions décoratrices et régulatrices de certains aménagements se réinvente. Certains architectes remettent au goût du jour cette logique, c’est notamment le cas d’Anne LACATON et Jean-Philippe VASSAL, qui intègrent à leur conception architecturale ce second, voire troisième œuvre, que représente la décoration d’intérieur. Des rideaux en téflon pensés comme des “coussins climatiques lumineux” pour la salle polyvalente Lille Sud aux rideaux “thermiques et d’ombrage” du projet de logements sociaux dans la rue de l’Ourcq, à Paris, le duo d’architectes semble convaincu de la fonction climatique de telles installations. Ces rideaux à haute performance pour le confort domestique des futurs habitants “jouent aussi le rôle d’écrans, de cloisonnement” affirment Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal. Ils ajoutent : “en profitant de cet espace non comptabilisé dans les normes d’habitat, les usagers et leurs gestionnaires enregistreraient un autre mieux à vivre”.

Wilhelm Gunkel via Unsplash

Wilhelm Gunkel via Unsplash

Cela pourrait d’ailleurs être un objectif liant esthétisme et lutte contre le dérèglement climatique : le bien-être de chacune et chacun. La végétalisation de nos villes, l’apport de nature et de biodiversité au sein de nos espaces urbains, participent à la création d’îlots de fraîcheur urbains tout autant qu’à l’apaisement des usagers et l’embellissement de nos territoires. La nature en ville a un impact direct sur  le bien-être des citadines et citadins, comme l’ont démontré divers spécialistes, chercheuses et chercheurs tels que Lise Bourdeau-Lepage. En intérieur ou en extérieur, elle permet d’adoucir les climats urbains, de réduire la pollution et d’agir comme un régulateur thermique. De plus, les projets urbains disposant d’une riche trame verte, les programmes immobiliers intégrant des façades végétalisées, les jardins arborés et cultivés en cœur d’îlot ont tendance à attirer l’œil de la même manière qu’un matériau noble ou un bel objet de décoration. D’ailleurs, selon le doctorant au Muséum National d’Histoire Naturelle Tanguy Louis-Lucas, en phase concours, les collectivités ont tendance à valoriser les projets dont les perspectives, éléments visuels et rendus graphiques contiennent de nombreuses formes de verdure et biodiversité.

La végétation serait-elle devenue l’art décoratif des temps modernes ? Et finalement, est-ce la beauté ou l’utilité qui prime de nos jours ? Ces deux sujets doivent-ils nécessairement être liés ? La question du beau au sein de la fabrique urbaine est assez omniprésente, dans les dessins architecturaux, dans l’aménagement des espaces publics, dans les labellisations et classifications des villes. Il en est de même pour les nouvelles technologies pour lesquelles l’attention portée au design est essentielle. Peut-être que les arts décoratifs faciliteront demain l’adoption d’un mode de vie plus éco-responsable et peut-être qu’une ville durable doit être belle pour être investie. Ce qui est certain, c’est la nécessité actuelle de réfléchir collectivement à des solutions, à des nouveaux modèles de construction, comme de décoration, qui permettront demain de ralentir la crise climatique que nous connaissons. D’autant plus à l’heure où l’énergie et le chauffage deviennent des ressources de plus en plus coûteuses pour une grande partie de la population.

LDV Studio Urbain
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Vos réactions

Benyagoub
23 novembre 2021

Super intéressant !

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