Architecture et art contemporain, la rencontre

Le titre de l’œuvre « 20XX », de Tabor Robak, fait référence à un avenir lointain et difficile à dater. Copyright : © Antoine Espinasseau
14 Déc 2015

Jusqu’au 17 janvier 2016, le Pavillon de l’Arsenal présente 56 œuvres d’artistes internationaux qui interrogent la relation entre art contemporain et architecture. Présentation de quelques œuvres emblématiques.

Dans le cadre de l’exposition « Artistes et Architecture », 56 artistes renommés ou émergents sont exposés sur 1000 m2. Copyright : © Antoine Espinasseau

Dans le cadre de l’exposition « Artistes et Architecture », 56 artistes renommés ou émergents sont exposés sur 1000 m2.
Copyright : © Antoine Espinasseau

L’architecture moderne peut-elle rendre fou ? Près de soixante ans après que Le Corbusier ait conçu sa Cité Radieuse, la question des effets de certaines constructions sur notre moral reste ouverte. À l’époque, des détracteurs du célèbre architecte avaient fait appel à des psychiatres pour démontrer que les futurs résidents de la Cité Radieuse finiraient par devenir fous. D’où ce surnom de « maison du fada », souvent utilisé à Marseille pour désigner l’illustre bâtiment. Cette question a en tout cas inspiré « l’artiste constructeur » Alexandre Périgot, auteur d’une installation en aluminium qui représente la fameuse Cité, mais cette fois dansante, ondulante comme si le bâtiment faisait du hula hoop.

Dans un tout autre style, l’installation vidéo de Pierre-Jean Giloux nous emmène au Japon, dans un futur très proche. Un train, le Shinkansen peut-être, file à travers une mégapole que l’artiste a reconstitué à partir des paysages réels d’Osaka, de Yokohama, de Tokyo et de Kyoto. Pierre-Jean Giloux a intégré les fameuses tours hélicoïdales de Kisko Kurokawa, flottantes sur l’océan, ainsi que les silhouettes des « Clusters in the Air », ces habitations en forme d’arbres imaginées par l’architecte Arata Isozaki. Sa vidéo s’intègre à une quadrilogie intitulée « Invisible Cities », dans laquelle l’esthétique de la réalité augmentée confère une impression de déplacement sensible presque tangible. La pluie continue de pétales de cerisiers qui tombe sur cette ville fantasmée donne encore plus de charme à une expérience onirique qui dure le temps d’un trajet de métro.

Désarchitecture

Course au développement, évolution des usages, altération de la matière, temporalité du bâti, urgence écologique, remise en cause des normes et des flux… Telles sont les problématiques choisies par les artistes pour évaluer, avec sérieux ou humour, l’impact de l’architecture et de l’urbanisme sur notre quotidien. Les travaux de Nicolas Moulin et de Gordon Matta-Clark soulignent, par exemple, à quel point le bâti peut être synonyme d’isolement, d’enfermement, et donc une source d’angoisse importante. Le premier moque ces utopies urbaines qui fleurissent un peu partout dans le monde en reconstituant des paysages urbains qui n’ont rien d’idéal ou de pittoresque à l’aide de techniques numériques. Les villes fictives qu’il nous donne à voir gomment totalement l’individu. Le bâti y écrase l’espace et le vide dégagé par la photographie fait écho à cette impression de déjà-vu avec des villes comme El Quiñon en Espagne ou Ordos en Mongolie. Baptisé Splitting, le film de Gordon Matta-Clark illustre quant à lui la pratique de la « désarchitecture » que l’artiste américain défend. Ce dernier dissèque littéralement une maison dans le New Jersey à l’aide d’une scie alternative. La performance, subversive, révèle bien des codes cachés derrière des murs à l’apparence banale. « En dé-faisant un édifice, j’ouvre un espace fermé, pré-conditionné non seulement par des impératifs physiques, mais également par une industrie qui produit en masse ces « boîtes » urbaines et suburbaines, véritables prétextes à la passivité et l’isolement chez le consommateur. »

Ville fiction, ville décor

Le titre de l’œuvre « 20XX », de Tabor Robak, fait référence à un avenir lointain et difficile à dater. Copyright : © Antoine Espinasseau

Le titre de l’œuvre « 20XX », de Tabor Robak, fait référence à un avenir lointain et difficile à dater.
Copyright : © Antoine Espinasseau

Sans surprise, la question urbaine est également passée ici au filtre des jeux vidéo. Avec 20XX, Tabor Robak fait un clin d’œil évident à la science-fiction et la culture cyberpunk. Ce film nous plonge dans le décor d’une grande ville la nuit, amalgamant des copies d’architectures bien connues, et d’autres inventées. La confusion entre le réalisme des images et la profusion de néons ultralumineux rappellera à certains les dizaines d’heures de jeux passées dans des univers urbains virtuels.

Enfin, l’artiste (et architecte de formation) Jordi Colomer réduit la ville à un décor de carton-pâte dans sa série « Anarchitekton ». Au Brésil, en Espagne ou en Roumanie, l’artiste catalan fait parcourir des kilomètres à Idroj Sanicne. Ce personnage court en brandissant des maquettes qui reproduisent à l’identique les immeubles iconiques situés derrière lui, à l’image de la Tour Agbar de Barcelone, emblème de la modernité catalane, ou du palais du Peuple roumain à Bucarest, symbole de la dictature de Ceaucescu. « Les maquettes brandies sont en quelque sorte des étendards grotesques, des provocations utopiques ou de brillantes bannières dans des courses éphémères et absurdes à travers le monde. »  Une architecture de façade que Jordi Colomer ramène, grâce à cette déambulation loufoque, à sa véritable essence : de purs décors de pouvoir ou de marketing.

Usbek & Rica
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