Après la ville cyclable, la ville courable ?

La ville a toujours été un terrain de jeu complexe pour les sportifs. Entre les infrastructures rigides, le règne de l’automobile et les contraintes d’espace, pratiquer une activité physique en milieu urbain relevait souvent du parcours du combattant. Mais aujourd’hui, un nouveau souffle traverse nos métropoles, transformant progressivement le paysage urbain en un immense terrain d’aventure sportive.
Quand le sport réinvente l’espace urbain : les défis d’une ville véritablement sportive
Depuis plusieurs années, nos villes engagent une métamorphose silencieuse mais profonde. Les urbanistes et les élus réinventent l’espace public, privilégiant désormais les mobilités douces et les pratiques sportives. La pandémie de Covid-19 a, tout en paradoxalement créant le ralentissement inédit de nos sociétés, été un accélérateur décisif de cette mutation, révélant aux citadins l’importance de bouger, de respirer, de se réapproprier l’espace urbain.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le nombre de pistes cyclables a explosé dans la plupart des grandes métropoles. Paris, Lyon, Bordeaux, Strasbourg ont multiplié les aménagements, transformant des voies de circulation automobile en espaces dédiés aux vélos, aux coureurs, aux piétons. Cette révolution n’est pas simplement infrastructurelle, elle est culturelle.

Paris, Pont Bir Hakeim ©Thomas McGowan
Les grands événements sportifs internationaux ont également participé à cette dynamique et en premier lieu les Jeux Olympiques de Paris 2024. La nouvelle vision portée par le CIO et la Ville de Paris a mené une partie significative des compétitions à se dérouler hors des stades traditionnels : le triathlon sur la Seine, le beach-volley près de la Tour Eiffel, le tir à l’arc dans le jardin des Tuileries. La ville est ainsi devenue ainsi un terrain de jeu à part entière, brisant les frontières entre équipements sportifs et espace public.
Malgré ces avancées prometteuses, de nombreux obstacles persistent. La voiture conserve encore une place prépondérante dans nos centre-villes, limitant les espaces dédiés aux activités physiques et une pratique en sécurité. Les sportifs urbains témoignent régulièrement de leurs frustrations : manque d’infrastructures adaptées, problèmes de sécurité, créneaux horaires restreints.
Comment alors imaginer une ville véritablement « courable », où le sport ne serait plus une parenthèse mais une composante naturelle de l’environnement urbain ? Plusieurs pistes émergent.
Repenser les infrastructures
L’innovation architecturale et urbaine joue un rôle clé dans la création d’espaces multifonctionnels où sport et quotidien se rejoignent harmonieusement. Copenhague et Singapour montrent l’exemple. Copenhague, avec son « Copenhagen Legacy Lab », mise sur des initiatives visant à maximiser les retombées positives des événements sportifs pour la communauté, en intégrant sport et durabilité dans une stratégie plus large de développement urbain. Singapour, quant à elle, met le sport au cœur de sa planification urbaine grâce au « Sport Green Plan », aligné sur le « Singapore Green Plan 2030 ».

The Float@Marina Bay, Singapore
Cette initiative promeut des pratiques écologiques et réduit l’impact environnemental des événements sportifs tout en proposant des installations accessibles qui améliorent la qualité de vie et renforcent la cohésion sociale. Ailleurs, Barcelone, avec ses superblocks, propose des quartiers entièrement libérés du trafic automobile, et à Bogota ou Bruxelles, le dimanche sans voitures permet de libérer les rues pour les piétons et les cyclistes.
Développer des espaces et les temporalités sportives
Un autre défi majeur pour les villes modernes réside dans l’élargissement des plages horaires dédiées à la pratique sportive. Il s’agit de répondre aux besoins d’une population aux rythmes de vie diversifiés et de permettre à chacun, quels que soient ses horaires de travail ou ses contraintes personnelles, de s’adonner à des activités physiques.
Pour cela, les villes doivent mettre en place des systèmes flexibles et inclusifs :
Tout d’abord, penser la place de l’éclairage nocturne en installant des systèmes dans les parcours les parcs et les terrains de sport pour permettre une pratique sécurisée en soirée ou tôt le matin. Et créer des zones dédiées, des espaces exclusivement réservés aux activités sportives, accessibles 24/7, tels que des gymnases ou des mini-stades ouverts en permanence, des pistes couvertes ou des zones de fitness en extérieur protégées des intempéries, ou des mobiliers urbains qui deviennent des agrès de musculation pour les adeptes de la callisthénie.
Certaines villes pionnières ont déjà commencé à expérimenter ces approches. Par exemple, Tokyo a développé des installations de jogging éclairées autour de ses parcs, tandis que certaines villes européennes transforment des parkings inutilisés en zones sportives nocturnes.
Les technologies au service du bien-être en ville et de la participation citoyenne
En complément, l’intégration d’applications numériques et de solutions intelligentes pourrait permettre aux citoyens de réserver des espaces à l’avance, d’identifier les créneaux les moins fréquentés, de participer à des activités organisées à toute heure ou encore de proposer des parcours sportifs personnalisés en temps réel.
Développer ces pratiques sportives, c’est aussi encourager une culture du bien-être urbain, où chacun, quel que soit son emploi du temps, trouve un moment et un espace pour bouger. Cela contribue non seulement à améliorer la santé publique, mais également à dynamiser les espaces urbains, en favorisant un usage continu et équilibré des infrastructures.
Le numérique et les nouvelles technologies sont des alliés précieux de cette transformation. Applications de géolocalisation des parcours, capteurs intégrés dans l’espace public, systèmes intelligents de gestion des flux… L’innovation technologique permet de créer des environnements urbains plus adaptables et interactifs.
Cette transformation, collaborative, implique les habitants dans la conception des espaces, permettant de comprendre leurs besoins réels, leurs pratiques sportives variées. Le sport ne se limite plus aux équipements traditionnels mais devient une culture partagée.
Un enjeu de santé publique
Au-delà du plaisir individuel, développer l’activité physique en ville répond à des enjeux majeurs de santé publique. Lutte contre la sédentarité, réduction des maladies chroniques, amélioration de la santé mentale : les bénéfices sont multiples.
La ville de demain sera nécessairement une ville active, où le mouvement sera roi. Une ville où chaque rue, chaque place, chaque coin devienne une invitation à l’effort et au bien-être, à la pratique sportive.
La ville courable n’est plus un rêve, elle se construit aujourd’hui, pas à pas, avec imagination, technologie et surtout, une nouvelle philosophie urbaine centrée sur l’humain et son mouvement.