Anti-gaspillage, vers des villes plus responsables
Longtemps considérée comme une inaccessible utopie, les principes de la “ville nourricière” semblent chaque jour un peu plus réaliste. La perspective d’une ville 100% auto-suffisante est aujourd’hui envisageable, à l’image d’Albi qui souhaite atteindre cet objectif à l’horizon 2020. Néanmoins, comme nous l’expliquions en conclusion d’un billet consacré au sujet, les réflexions sur la ville nourricière ne pourront s’affranchir d’une franche discussion sur le gaspillage alimentaire. Si la question est régulièrement posée pour les personnes les plus démunies, elle touche aujourd’hui de nouvelles populations citadines qui s’interrogent sur le devenir des déchets alimentaires…
Freeganisme, ou l’art de manger les invendus
En effet, à quoi bon consommer mieux, si l’on consomme toujours plus ? C’est en réponse à cette question qu’émergent depuis quelques années certains mouvements alimentaires visant non pas seulement à produire autrement, mais aussi et surtout à mieux utiliser les denrées alimentaires aujourd’hui produites en surplus. Et la solution la plus évidente est bien évidemment de consommer les invendus alimentaires que l’on peut trouver à chaque coin de rue ou presque ! Dans les milieux associatifs et étatiques œuvrant auprès des populations les plus précaires, les actions de récupération des invendus et des produits à courte DLC (Date Limite de Consommation) sont une pratique courante. On notera tout même la politisation de cette pratique par certains éco-citoyens qui, à travers un mouvement baptisée “freeganisme” (ou “gratuivorisme” en français), commencent progressivement à se faire connaître en France sous l’impulsion de quelques initiatives locales. De fait, le regard sur la récupération des invendus semble aujourd’hui évoluer : hier considérée comme une pratique de subsistance économique uniquement, elle trouve aujourd’hui sa place dans un système de consommation responsable.
Récemment, c’est par exemple le collectif Freegan Pony qui a contribué à faire connaître le mouvement auprès du grand public, avec l’ouverture d’un restaurant ne cuisinant que des invendus glanés à Rungis. “Un moyen pour les militants de ce mouvement de lutter contre les 1,3 milliard de tonnes de nourriture jetées ou perdues chaque année dans le monde, soit 1 aliment sur trois produits sur la planète. En France, plus de 7 millions de tonnes d’aliments sont jetées tous les ans”, comme l’explique un article du Figaro consacré au sujet. De même, depuis 2012 est organisé chaque année le Banquet des 5000, un repas géant proposant aux citadins de Paris, Toulouse ou Bristol près de 5000 repas réalisés à partir de produits “disqualifiés mais encore parfaitement consommables” (à l’image des “fruits et légumes moches”, laissés de côté pour des raisons esthétiques). Une manière de sensibiliser, lors d’un événement festif et participatif, à l’absurdité du gaspillage alimentaire…
Vers une démocratisation de la récup’ alimentaire ?
La popularité croissante de ces initiatives aura ainsi contribué à imposer ces questions dans le débat public. Dans le sillage des mouvements “freeganes”, le corps politique s’est d’ailleurs progressivement emparé du sujet, comme en témoigne une loi votée début 2016, imposant aux acteurs de la grande distribution de donner leurs invendus alimentaires à des associations d’aide aux démunis. Mais si cet aspect du sujet est évidemment fondamental, c’est plus généralement la démocratisation de ces pratiques de consommation auprès du grand public qui intéresse aujourd’hui les acteurs urbains. Car c’est en effet la massification du “déchétarisme”, c’est-à-dire la récupération des déchets alimentaires au-delà des seules personnes dans le besoin, qui permettra de réduire la dépendance des territoires à la production de denrées.
Il semble néanmoins qu’une partie des citadins aient encore quelque réticence à se ravitailler directement dans les poubelles des immeubles et des restaurants, ou plus simplement à faire la fin des marchés en quête d’invendus à consommer. Partant de ce constat, certains acteurs préconisent de contourner le problème en se proposant comme intermédiaires, à la manière du restaurant Freegan Pony qui se charge de convertir les invendus en plats cuisinés pour ensuite les vendre à prix modique. Plus encore, le mouvement “anti-gaspi” se greffe aux pratiques de consommation en vogue chez certains citadins, supposément plus sensibles à ces questionnements. Ainsi l’application Too Good To Go s’inscrit dans la lignée des applications numériques de services alimentaires, tels que La ruche qui dit oui, en proposant aux citadins d’aller récupérer les invendus chez les commerçants partenaires. Plus de 1300 enseignes sont recensés aujourd’hui, dans 19 villes françaises notamment, permettant ainsi une solution gagnant-gagnant pour les citadins et les commerçants (qui peuvent ainsi monnayer pour un prix modique des produits qu’ils auraient autrement jetés en pure perte).
A travers ce type d’initiatives, dont l’avenir dira si elles réussissent à faire évoluer les réflexions sur les invendus, c’est bien la perspective d’une ville plus responsable dans ses consommations qui se dessine ici… Cet horizon va évidemment de pair avec d’autres réflexions, plus habituelles chez les acteurs urbains, sur les enjeux d’une production alimentaire plus responsable : agriculture urbaine, locavorisme, etc., s’ajoutent ainsi à l’équation d’une ville un jour moins gaspillante.