Agriculture et urbanisme – réconcilier les soeurs jumelles
Actuellement visible à la Belle de Mai à Marseille, l’exposition Prendre la clé des champs imaginée par Sébastien Marot décale le regard : il ne s’agit pas de savoir ce qui s’invente en ville pour accueillir l’agriculture, mais de voir ce qui s’invente à la campagne pour y déceler les modèles urbains de demain. La permaculture, parce qu’elle développe des principes de design des espaces habités, y trouve une place toute particulière.
Il y aura eu un avant et un après…
Publié en 2024 par le gouvernement, le plan transversal sur la gestion de l’eau, l’agriculture et l’aménagement du territoire en France (PTEAA) est un tournant historique majeur pour l’agriculture française, en rupture avec plus d’un siècle d’industrialisation et de productivisme. En effet, la sécheresse calamiteuse de l’année 2023 a forcé tous les partis politiques à se rendre à l’évidence : il est nécessaire et urgent de construire une autre relation au territoire. Avec ses allures de document planificateur tout droit sorti des 30 glorieuses, le document ordonne la transition de l’agriculture française vers la permaculture. Mais il ne s’arrête pas là. De manière ambitieuse et radicale, il décline les préceptes de la permaculture à l’aménagement du territoire et à l’urbanisme. C’est la fin de 50 ans de métropolisation et d’énergies fossiles. La fin d’un monde et le début d’une nouvelle ruralité ou tout reste à écrire.
Ce scénario hautement improbable s’inspire de l’exposition Taking the country’s side, actuellement visible à la Belle de Mai à Marseille, ainsi qu’en version anglaise ici.
Les disciplines jumelles
Dirigée par le philosophe et historien environnemental Sébastien Marot, l’exposition défend une position intéressante : deux disciplines jumelles, l’architecture et l’agriculture se sont développées ensemble comme une façon pour l’homme de domestiquer le territoire lors de la révolution néolithique (qui est le passage il y a une dizaine de milliers d’années des tribus de chasseurs-cueilleurs aux communautés sédentarisées). Prenant acte de l’impasse environnementale actuelle, l’hypothèse « est qu’aucune réflexion sensée ne pourra se développer sur le futur de ces deux disciplines, tant qu’elles ne seront pas reconnectées et fondamentalement repensées en conjonction l’une avec l’autre. » Dès lors, il propose un changement de regard : l’urbanisme ne serait pas tant une histoire de ville que de campagne.
L’agriculture comme un art
L’exposition se veut didactique et fonctionne par panneaux thématiques, accompagnés de grandes fresques résumant les évolutions majeures de l’agriculture et de l’architecture depuis la préhistoire. Elle accompagne le visiteur dans un cheminement intellectuel dont la destination est univoque. Parce qu’elle a été pensée comme une éthique d’attention portée aux lieux – comme un « art de la résilience » – la permaculture semble la seule manière de réconcilier agriculture et urbanisme. Mais à la différence du scénario imaginé en introduction, la grande transition n’est pas tant dans les mains d’un gouvernement que dans celles des citoyens. Car la permaculture est avant tout une philosophie d’empowerment, elle donne du pouvoir d’agir aux individus. Elle leur permet de devenir des designers d’écosystèmes, conscients et responsables. Ainsi, à la manière d’une boussole du temps, Sébastien Marot entend nous aiguiller entre les futurs possibles de l’aménagement des territoires.