Afro-futurisme : Quels imaginaires et futurs pour les villes africaines ?
Avec la sortie récente au cinéma du blockbuster Black Panther, c’est un nouveau regard qui se dessine sur l’urbain. L’esthétique des villes africaines se dévoile aux yeux du grand public, mais également auprès des professionnels de la ville. La culture et l’art africains trop longtemps écartés des courants de pensée occidentaux révèlent aujourd’hui une splendeur qui mérite que l’on s’en inspire pour les villes de demain. Alors quels sont les enjeux et les opportunités que présente ce que l’on appelle “l’afro-futurisme” ?
Un courant artistique à plusieurs facettes
L’afro-futurisme est un mouvement artistique né dans les années 60. Il s’est diffusé dans différents arts, regroupant la mode, la musique, la littérature. Apparu dans les milieux afro-américains, il emprunte à différentes traditions africaines, issues de diverses époques depuis l’Egypte antique jusqu’à aujourd’hui.
Dans ces années où la science-fiction et le fantastique sont en plein essor aux Etats-Unis, des artistes afro-américains s’emparent de ce genre et essayent d’imaginer la culture africaine du futur. Le mouvement est notamment représenté par des artistes comme Sun Ra ou Afrika Bambaataa pour la musique, deux artistes qui allient à des sonorités modernes (jazz, funk, hip hop…) un ensemble de symboles traditionnels africains et un univers futuriste.
Mais ce courant ne peut être résumé comme étant un “type” de science-fiction. Il est porteur d’une réflexion philosophique qui, comme l’exprime Anthony Joseph dans son livre Les origines Africaines des Ovnis, “choisit de se tourner vers le futur afin de corriger les erreurs du passé”. Il s’agit donc de penser l’évolution de l’héritage des pays africains dans un contexte futur, faire de l’exercice prospectif une seconde chance.
L’afro-futurisme comporte également l’idée d’affranchissement d’un passé de domination coloniale pour essayer de repenser un avenir loin de ce cadre et des idées que cette période a pu diffuser, afin d’affirmer le potentiel créatif de l’Afrique, continent indépendant et dynamique.
Mais, l’afro-futurisme est aussi avant tout un courant venant des Etats-Unis, puisqu’il est représenté majoritairement par des artistes américains ayant des origines africaines. L’afro-futurisme n’est donc pas vraiment une représentation de la culture africaine, mais plutôt la naissance d’une nouvelle relation entre les afro-américains et le continent africain à travers la thématique de la science-fiction.
D’ailleurs, très utilisé, le terme peut parfois porter à confusion et regrouper un ensemble de travaux bien différents en réalité. Toute personne africaine ou pouvant avoir des origines et proposant un travail d’imagination d’un futur possible, peut être inclus dans ce courant.
L’auteure de science-fiction et fantastique, Nnedi Okorafor, exprimait dans une interview du Point que “l’afro-futurisme est devenu un mot marketing”, un terme qui peut donc créer la discorde. Elle regrette qu’il soit l’apanage des américains alors que “cette expression (…) concerne également l’Afrique”. Les artistes qui sont ainsi associés peuvent mener des démarches biens différentes et même utiliser des codes, des symboles traditionnels très éloignés. Les cultures africaines étant en effet aussi nombreuses que les paysages du continent !
Black Panther, une approche architecturale de l’afro-futurisme
Ce courant artistique a été remis récemment sur le devant de la scène avec le film blockbuster de Marvel Studios, Black Panther, sorti en Janvier dernier et qui a connu un énorme succès aux États-Unis. Ce film met en scène le Wakanda, un pays fictif d’Afrique (imaginé dans le comics Marvel de 1966) bien plus avancé sur le plan technologique que le reste du monde.
On peut y observer une ville futuriste tant par ses moyens de transports que par son architecture. Le film propose une vision de la ville futuriste plus positive, en rupture avec les villes futuristes dystopiques à la Blade Runner et qui puise dans le fonctionnement actuel des villes africaines en montrant dans une courte scène, une rue sans circulation de voitures, animée et bordée de commerces d’objets artisanaux, où les piétons circulent librement.
Le décor de cette cité fictive s’inspire de l’architecture mathématique de Zaha Hadid (comme les gratte-ciels du Wangjing Soho en Chine) mais également de l’architecture traditionnelle africaine. On peut observer des clins d’œil à des bâtiments déjà existants en Afrique et sur certains plans, il est possible par exemple d’apercevoir la copie conforme de la pyramide d’Abidjan.
Un patchwork que l’on retrouve également dans les costumes qui répondent aux codes classiques de la science-fiction et qui rappellent également les tenues traditionnelles de certaines tribus africaines.
Quel urbanisme et quelle architecture pour les villes africaines du futur ?
Existe-t-il une architecture afro-futuriste ? S’il n’y a pas réellement un courant architectural affirmé, de nombreux architectes d’origine africaine réfléchissent à l’architecture de demain et tentent de proposer des projets novateurs. Là encore, on peut citer des projets qui emploient de nouvelles tendances de constructions et d’organisation de la ville sans renier les caractéristiques propres à chaque pays ou culture.
De nombreux pays d’Afrique cherchent à concevoir des projets ambitieux qu’ils comparent à Singapour ou Dubaï. Une tendance qui révèle la volonté d’être sur le devant de la scène de la part de villes qui connaissent des croissances exponentielles. C’est le cas de Lagos ou Kinshasa qui sont dans des situations comparables, en termes de développement et de démographie, à certaines villes d’Asie.
C’est le cas du projet d’Eko Atlantic dans la ville de Lagos au Nigéria. Ce dernier envisage la construction d’une île de 10km2. Un espace artificiel qui devrait accueillir de nombreux gratte-ciels et devenir le “Dubaï de l’Afrique”. Un projet qui connaît cependant ses limites. Les travaux connaissent d’importants retards et sont très coûteux. Le pays qui souffre actuellement d’une crise économique peine à attirer les investisseurs.
Au Burkina Faso, un projet d’urbanisme propose la création d’une ville nouvelle, nommée Yennenga. Cette dernière devrait prendre place au sud de Ouagadougou. La ville devrait accueillir des équipements touristiques comme un restaurant gastronomique ou des hôtels étoilés, un centre commercial, un centre culturel consacré aux beaux-arts et une cité d’affaires. La conception architecturale a été confiée à un consortium de cinq architectes avec pour mission de proposer un ensemble innovant. Le projet souhaite construire une smart city au cadre élégant avec des espaces verts. En parallèle la volonté de ne pas oublier les spécificités du lieu s’est affirmée. L’émergence de cette ville intelligente ne devrait donc pas rimer avec ville standardisée.
À une échelle plus fine que celle de la ville, l’architecture africaine se réactualise. Le designer rwandais Christian Benimana du studio Mass Design Group et président du African Design Center, imagine des espaces qui mixent modernité et formes traditionnelles, comme le projet de mémorial du génocide rwandais à Kigali non réalisé.
Dans la course à l’innovation urbaine, les villes africaines souhaitent donc s’imposer comme challenger en proposant des projets modernes et ambitieux, pour affirmer leurs spécificités culturelles dans des projets urbains inspirants. Certaines œuvres cinématographiques ou graphiques peuvent nous faire entrevoir le potentiel de ce futur architectural africain encore aujourd’hui peu présent dans nos imaginaires collectifs, mais qu’on peut espérer le voir prendre de l’ampleur grâce à des œuvres grand public, comme Black Panther. Si aujourd’hui le “Dubaï africain” n’a pas encore abouti, d’autres projets plus modestes et prometteurs fleurissent ! Gardons donc un œil sur ces nombreux projets urbains du continent qui réinventent l’architecture vernaculaire africaine et innovent à leur manière pour créer les villes d’Afrique de demain.
Vos réactions
Totalement en phase avec ces propos. Très bel article !