À Nanterre, le Wonder Zénith fête son départ
À l’aube du déconfinement et au crépuscule de leur occupation d’un immeuble de bureaux à Nanterre, le collectif artistique Wonder organisait mi-juin un vernissage pour présenter leurs œuvres.
Le collectif nomade
Tournant le dos aux tours de la Défense, il faut cheminer quelques minutes dans un quartier résidentiel de Nanterre. À l’approche du site, une musique apocalyptique vous guide pour les derniers mètres. C’est une techno saturée, baveuse et sans forme. Arrivés devant le bâtiment, on en situe l’origine : à cinq mètres de haut, un robinet d’eau s’écoule sur une platine vinyle qui tourne à vide. Comme une plomberie éventrée, l’eau tombe de la hauteur du bâtiment après avoir frotté le diamant. Le ton est donné.
Cette installation signée Thomas Teurlai accueille les visiteurs au vernissage du collectif d’art contemporain le Wonder. Après être passé par Saint-Ouen et Bagnolet, c’est dans un bâtiment de bureaux appartenant à Bouygues Immobilier que le Wonder s’est installé en février 2019. À chaque fois, le collectif déniche de grands espaces urbains désaffectés en Île de France, qu’il réhabilite et transforme en artist-run space, c’est à dire des galeries d’exposition gérées par les artistes eux-mêmes.
Par et pour les artistes
Le projet du Wonder est de permettre l’accès à des lieux de création et d’expérimentation aux jeunes artistes qui pâtissent des prix de la capitale et du manque d’espaces de travail. Une soixantaine d’artistes travaille ici, dans des ateliers individuels ou collectifs. Différents pôles équipés de machines industrielles mutualisées permettent de travailler notamment le bois, le métal, la peinture, la vidéo, le textile, la céramique etc.
La gouvernance est horizontale et les décisions se faisant collectivement. Les bénéfices des ventes vont directement dans un pot commun qui est réinvestit dans le fonctionnement du lieu et l’acquisition de matériel. Pour Nelson Pernisco, président du collectif, cette approche permet non seulement aux artistes de se réapproprier les systèmes de production mais aussi d’inventer des récits et des pratiques qui leur correspondent.
La soucoupe au milieu des tours
Baptisé le Zénith, le bâtiment représente environ 2300 m² sur trois niveaux. Octogone et creux en son milieu, il peut faire penser à un donut ou une soucoupe. En particulier lorsqu’on grimpe sur le toit où une exposition respectueuse des gestes barrières a pu être montée. De là on est frappé par sa localisation, d’un côté les tours métalliques de la Société Générale, et de l’autre, les tours nuages d’Émile Aillaud aux formes poétiques et recouvertes de mosaïques colorées. Coincé entre ces deux mondes vertigineux, le Zénith semble collé au sol.
N’étant pas aux normes ERP permettant d’accueillir du public, le Zénith est entravé dans sa capacité à créer un dialogue avec le quartier. Si le confinement a accentué le phénomène, il a aussi accéléré l’envie d’y remédier. Responsable innovation chez Bouygues Immobilier et à l’origine du partenariat, Charlotte Marion félicite la capacité des artistes à surmonter ces obstacles avec inventivité et débrouillardise. « Ils ont fait un événement à portes closes ! C’était une exposition extérieure sur le toit pour que les gens qui habitent autour puissent en profiter. »
Nanterre t’inquiète
Ainsi, le projet NTRTKT (pour « Nanterre t’inquiète ») regroupe différentes performances à ciel ouvert ainsi qu’une plateforme en ligne sur laquelle les voisins pouvaient s’exprimer. Tous les soirs, l’artiste Antonin Hako brandissait des drapeaux peints par ses soins pendant les applaudissements de 20h. Dans une interview sur Viziradio, l’artiste explique que : « le projet est venu de la nécessité de montrer aux habitants notre présence, d’essayer de leur faire signe pour qu’ils nous répondent et d’essayer de les rencontrer. »
Présente au vernissage avec ses enfants, une voisine raconte justement : « c’est drôle de pouvoir venir ici, je les voyais tous les soirs depuis ma cuisine, c’était un peu comme un rendez-vous ». Ce soir là, le même Antonin Hako tient la vedette avec une nouvelle performance. Dans le creux du bâtiment, il gonfle une montgolfière colorée, tenue en place par des câbles depuis le toit. Au milieu des tours et malgré le vent qui se lève, elle s’élève lentement, encouragée par les applaudissements.
Dépendaison de crémaillère
L’orage finit par tomber. Les visiteurs se réfugient à l’intérieur pendant que les installations sont repliées en vitesse. La confusion ne fait pas long feu, une distribution de glaces à la mangue faites maison réchauffe les cœurs. Le Wonder qui vit ses derniers jours à Nanterre, s’apprête à déménager à Clichy, l’ambiance est à la fois chaleureuse et émue.
En investissant ces bâtiments vacants (de bureaux ou industriels), le collectif profite de grandes surfaces adaptées aux différentes pratiques artistiques. Les artistes versent des loyers symboliques au collectif qui occupe les lieux à titre gratuit. De son côté, le promoteur donne de la valeur à son actif grâce au rayonnement du lieu. Il fait également des économies sur les frais de gardiennage.
Vers l’urbanisme transitoire
Ce type de partenariat rejoint les pratiques d’urbanisme transitoire, sujet abondamment documenté par Pop Up Urbain dans nos colonnes. Celui-ci gagne de plus en popularité ces dernières années. En effet, il semble bénéfique à toutes les parties. Mais pour autant, ces opérations ne sont pas si faciles à mettre en place. Si le Wonder est désormais rompu à cet exercice, la pratique est encore neuve du côté de Bouygues Immobilier, en particulier en dehors d’un projet d’aménagement urbain.
Via sa direction d’aménagement UrbanEra, l’entreprise expérimente justement une autre opération d’urbanisme transitoire à Nanterre et en prévoit une autre à Lyon. Des projets de rénovation de quartier qui s’inscrivent dans un temps plus long. Pour Charlotte Marion,
La réussite dépend d’une relation privilégiée avec le partenaire. C’est une confiance qu’il faut tisser avec lui et son territoire, et qui permet d’avoir un résultat de qualité. Ce sont des opérations qui ne sont pas réplicables, qu’on ne peut pas industrialiser.