Construire mieux et moins cher, un rêve inaccessible ?

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31 Mai 2023 | Lecture 3 minutes

Alors que le monde de la construction fait face à une énième crise, et que les prix des matériaux et de la construction s’envolent , il semble de plus en plus difficile de maîtriser les coûts de sortie d’une opération, notamment lorsqu’elle fait appel à des matériaux vertueux. Pour lutter contre cette fatalité, collectifs d’architectes, collectivités ou encore bailleurs sociaux tentent d’innover et de trouver des solutions. Baisse de la TVA pour la filière sèche via le collectif de la Frugalité heureuse, orientations stratégiques « disruptives » pour la métropole de Rennes. Autant d’outils à décrypter potentiellement capables de renverser la situation.

Le XXème siècle a profondément modifié les manières de construire. Les logiques locales et frugales encore essentiellement à l’œuvre à la fin du XIXe siècle ont peu à peu été transformées par une approche bien plus mondialisée et une course effréné à la production de masse dans un temps toujours plus contraint Mais pourquoi un tel décalage ? D’un côté, les différentes guerres mondiales ont exigé au secteur de la construction de s’adapter pour produire plus rapidement des bâtiments dans le contexte de la reconstruction du territoire. De l’autre côté, les progrès industriels ont permis l’apparition de nouveaux matériaux, dont le béton, qui a quant-à-lui permis de construire différemment, plus vite, plus grand.

Le monde de la construction soumis aux lois de la mondialisation

Aujourd’hui, le constat est clair. Comme la grande majorité des secteurs, celui de la construction s’est pris au jeu de la mondialisation. Cela a entraîné une uniformisation des modes constructifs à l’échelle planétaire, perdant peu à peu le génie local. On construit désormais de la même manière, avec les mêmes matériaux, en France qu’en Asie ou encore en Amérique. Cela implique une production intensive des matériaux de construction (béton, isolants…) et de finition (colles, joints, menuiseries…), souvent dans les pays où les ressources sont nombreuses et la main d’œuvre bon marché.

Un éloignement entre la production des matériaux et la construction finale qui amplifie largement l’émission de carbone du secteur. Car entre l’exploitation des matières premières (sable, eau et pétrole notamment), le transport des matériaux, les déchets de construction et sa participation à l’artificialisation des sols, le secteur du BTP tous les trois ans émet autant de CO2 que l’ensemble des autres activités sur terre en une seule année.

Cycle de vie du bâtiment (source E6)

Cycle de vie du bâtiment (source E6)

La mondialisation du secteur de la construction n’est pas pour autant gage de qualité. Certes, nous construisons plus vite des bâtiments plus grands, mais nous ne construisons pas forcément mieux. La standardisation des méthodes a largement uniformisé la production des bâtiments, atténuant la prise en compte des besoins locaux, des conditions climatiques ou encore des particularismes régionaux..

Le monde de la construction soumis aux crises

Comme tout autre secteur, celui du BTP prend de plein fouet les crises qu’il traverse. La pandémie mondiale en est le parfait exemple : elle a à la fois illustré la dépendance du BTP français aux matériaux produits dans le reste du monde, créant ainsi des phénomènes de pénurie lourds, mais aussi à sa difficulté à maîtriser l’évolution des prix et des coûts globaux. Il est désormais impossible de prédire les coûts finaux d’une construction tant l’inflation (liée à l’augmentation des coûts de l’énergie, aux pénuries successives et aux délais de production) varie. On se retrouve désormais avec des projets qui coûtent plus cher sans pour autant garantir une meilleure qualité de construction et d’usages.

Alors que le milieu de l’immobilier semble secoué par une nouvelle crise, certaines et certains mettent en avant le besoin de changer de logique. Faut-il continuer à construire toujours plus, toujours plus vite, et donc toujours plus cher ? Notre mode de faire actuel est-il une fatalité ?

Favoriser le changement par la mise en œuvre de nouveaux outils

En janvier dernier, le mouvement “Frugalité heureuse et créative” qui a pour but de promouvoir des “établissements humains frugaux en énergie, en matière et en technicité, créatifs et heureux pour la terre et l’ensemble de ses habitants, humains et non humains”, a lancé une pétition. Son objectif ? Faire baisser la TVA sur les matériaux bio et géosourcés et issus du réemploi, et donc inciter les maîtres d’ouvrage à faire des choix plus vertueux. Car aujourd’hui, des matériaux issus de l’industrie de la pétrochimie, moins chers à l’achat, sont généralement préférés aux matériaux biosourcés. Pourtant, nous savons qu’ils sont non seulement très pollueurs mais aussi moins pérennes. Derrière cette pétition c’est bel et bien l’envie de sortir de la centralité accordée aux questions financières qui sont aujourd’hui les principaux critères de décision dans le projet, et donc inverser la logique qui voudrait que construire mieux implique forcément de construire plus cher. Favoriser l’emploi de matériaux issus des filières permettrait justement de constituer et renforcer les filières locales et ainsi limiter au maximum les émissions de carbone.

©Pixabay

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Les professionnels de la construction ne sont pas les seuls à se mobiliser. La Métropole de Rennes a elle aussi cherché à inventer de nouveaux outils qui permettraient de maîtriser les prix et le rythme de construction et tout simplement promouvoir la sobriété dans sa stratégie d’aménagement. Avec l’ambition de défendre le droit au logement pour toutes et tous, la Métropole a choisi de proposer un nouveau PLH (Plan Local d’Habitat), dont le budget de 300 millions d’euros (deux fois plus que le précédent) permettra d’augmenter les ambitions autour de la construction de logements.

Au sein de ce nouveau document, les élus ont choisi d’imposer certains quotas comme la production de 1 250 logements sociaux par an et le déploiement plus généralisé du bail réel solidaire qui assurera l’accès aux ménages plus précaires et de classes moyennes aux logements et à la propriété.  En plus de l’accès au logement, le PLH prévoit d’imposer de nouvelles règles sur la qualité environnementale des ouvrages produits : avec la mise en place d’un référentiel bas carbone, les futures constructions de la métropole devront répondre à des exigences environnementales fortes (matériaux biosourcés, énergies renouvelables, recyclage immobilier fixé à 10% des logements livrés, et 6 000 logements réhabilités chaque année…).

Enfin, la Métropole souhaite maîtriser davantage les rythmes de construction en fixant un objectif raisonné de 5 000 logements livrés par an.

Autant de critères inscrits dans le PLH qui permet à la collectivité de tenter d’endiguer la crise du logement à venir, en contraignant les équipes de promotions immobilières à des objectifs clairs et pérennes.

Construire mieux et moins cher, une utopie ?

Dans son plaidoyer construits avec 300 élus de l’Ordre des architectes, Christine Leconte, architecte DPLG et présidente du Conseil National de l’Ordre des Architectes, appelle à se questionner sur les mécanismes qui empêchent aujourd’hui de faire mieux : Ce qui est une utopie, c’est de construire plus, mieux, moins cher, parfait, etc. Nous pouvons construire plus et mieux et ce ne sera pas moins cher. Nous pouvons construire mieux et moins cher, mais ça ne sera pas plus vite… et ainsi de suite. En clair, on peut poursuivre au maximum deux objectifs, mais pas plus.” C’est donc bien un changement de paradigme qu’il faudrait mettre en marche pour faire comprendre qu’il est possible de faire mieux et moins cher, mais pas forcément plus vite. Les temporalités du projet urbain sont depuis des années remises en questions : les équipes de maîtrises d’œuvre sont forcées d’avancer rapidement dans les phases de conception, quelques au détriment de la qualité des projets. Ralentir serait donc cohérent pour produire avec une meilleure qualité, et ainsi satisfaire davantage les futurs habitants en imaginant des espaces de vie adaptés aux évolutions des modes de vie, aux besoins de transition environnementale, où il fait bon vivre.

Construire mieux et moins cher n’est donc pas forcément un rêve inaccessible mais un rêve qui demande des concessions et de repenser les logiques de rendement de production de logement. Une nouvelle donnée d’entrée qu’il serait intéressant de questionner comme un axe de réflexion et de résorption de la crise immobilière dans laquelle nous semblons entrer.

LDV Studio Urbain
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