Airbnb, un colocataire difficile
Si la création des plateformes de location touristique de courte durée permet de faciliter l’accès au tourisme par tous, paradoxalement, elles ont également accéléré le départ des citadins les plus modestes, contraints de se loger vers les périphéries des villes. En effet, Airbnb et les plateformes ayant suivi la tendance, ont fait exploser la location de logements à visée touristique, au détriment des locations permanentes pour les habitants, devenues inaccessibles.
Depuis plusieurs années, de nombreuses actions ont alors été engagées par les habitants, associations et plus récemment les collectivités des villes, subissant l’essor de ce nouveau type de tourisme. Un mouvement ayant permis de faire émerger de nombreuses réglementations.
Pour autant celles-ci seront-elles respectées ? Peuvent-elles vraiment contribuer à désamorcer la “bombe à retardement” que constitue le mal-logement ? Comment assurer une cohabitation mutuellement bénéfique entre locations de courte durée et droit au logement ?
Location touristique : moins d’habitants, plus de touristes
Arrivé en 2007 sur nos écrans, Airbnb représentait l’utopie d’un cosmopolitisme facile et démocratique, car accessible à tous. En effet, cette nouvelle forme de tourisme permet de trouver un hébergement touristique facilement, sur une courte durée, de gagner en pouvoir d’achat et de visiter des villes à moindre coût.
Pour les propriétaires, la location de meublés saisonniers se présente comme une solution moins contraignante que la location classique et surtout beaucoup plus rentable. Pour les locataires, elle est une alternative intéressante et plus facile d’accès par rapport à l’hôtellerie. Les locations de meublés touristiques rencontrent un succès fulgurant en France notamment avec Paris très vite devenue la première ville “Airbnb” en Europe. Durant l’été 2018, entre le 1er juin et le 31 août, ce sont 8,5 millions de Français qui ont utilisé Airbnb pour leur hébergement de vacances. Cela n’est pas étonnant lorsque l’on sait que les locations Airbnb rapportent en moyenne 2,6 fois plus par mois que la location classique en France. Un chiffre qui augmente d’autant plus lorsque l’on s’approche des quartiers aisés des grandes villes touristiques. La base de données AirDNA permet d’ailleurs de se rendre compte des écarts de prix pouvant être multipliés par cinq dans certains secteurs par rapport à ceux pratiqués dans le marché locatif traditionnel. C’est le cas par exemple du quartier le Marais ou de la Place Vendôme à Paris. Autant d’éléments qui ont permis de développer de manière exponentielle cette nouvelle forme de location touristique.
Seulement, malgré les nombreux avantages qu’ont procuré ces plateformes, le mauvais encadrement de celles-ci a mené cette tendance à la dérive, ayant un impact direct sur les villes prisées des touristes et de ses résidents.
Plusieurs rapports attestent de ces problématiques. En avril 2018, Johanna Dagorn, sociologue et Matthieu Rouveyre, docteur et enseignant en droit, publient une note de rapport afin de mettre en exergue l’impact de l’expansion de ces plateformes. « Parmi les plus problématiques, on compte la raréfaction de l’offre de logements dédiés aux habitants, l’augmentation du prix du foncier et des loyers ou encore la transformation du paysage économique et commercial de la ville”. Un mois plus tard, l’ONG Corporate Europe Observatory dénonce également “leur effet sur les villes européennes est loin d’être utopique ou durable sortant des logements du marché locatif, contribuant par conséquent à faire grimper les prix des logements et augmentant les impacts du tourisme.” “En cinq ans, le marché locatif traditionnel parisien a perdu au moins 20 000 logements”, à affirmer la mairie de Paris. En cause : la multiplication des locations meublées touristiques illégales. “Ce phénomène provoque à la fois une diminution de l’offre locative privée traditionnelle et une hausse du coût des logements, tant à la location qu’à l’achat”, ajoute la municipalité.
La touristification de Paris n’est pourtant pas nouvelle, l’explosion du prix de l’immobilier non plus. Mais l’arrivée d’Airbnb et des plateformes ayant suivi la tendance dans les grandes villes européennes a largement contribué à leur expansion. “À Paris, plus de 35 000 logements ont définitivement quitté la location classique pour rejoindre la location touristique via les plateformes Airbnb et HomeAway.”
Le problème est que cet engouement a créé un déséquilibre important du marché avec une demande bien supérieure à l’offre qui est à l’origine de l’envolée des prix à la location. En Europe, 1 habitant sur 10 consacre 40% de ses revenus au paiement du loyer et des charges. Cette augmentation des prix a alors causé la gentrification des villes historiques et touristiques au détriment des populations les plus modestes, contraintes de partir vivre en périphérie. Le logement étant devenu un capital échangeable, monnayable, fructifiable et consommable sur le marché, entachant le droit au logement, qui a une valeur constitutionnelle depuis 1946 en France.
Offensive contre les meublés de tourisme
Au regard des conséquences de cette nouvelle économie, les meublés touristiques sont de plus en plus décriés. De nombreux groupes militants et réseaux se sont ainsi constitués afin de dénoncer leurs effets négatifs, particulièrement dans les quartiers centraux des villes. La nuisance sonore causée dans les bâtiments résidentiels, la perte de population permanente, la dégradation de la vie quotidienne et l’impact du marché locatif en ont été les principales revendications.
Les territoires côtiers, où le tourisme y est très important, font également face à la problématique grandissante de ces plateformes. Avec une augmentation de 40% en 10 ans des locations touristiques à Saint-Malo, ce sont également les problématiques d’accès au logement et de cohabitation entre les habitants “à l’année” et ceux de passage qui se sont amplifiés. Un collectif, nommé “Saint-Malo, J’y vis… J’y reste !” s’est alors formé, avec pour objectif de réduire fortement le nombre de location de courte durée via les plateformes numériques afin de limiter ces impacts.
L‘association Alda à Bayonne, militant pour la côte basque a pareillement lutté contre ce phénomène. Ce collectif accompagne les habitants des quartiers et milieux populaires du Pays Basque en essayant de trouver des solutions collectives aux différents problèmes rencontrés sur le territoire. Les meublés de tourisme ont augmenté de 130% entre 2016 et 2020 sur la côte basque. Suite aux protestations de l’association Alda, la communauté d’agglomération Pays Basque (CAPB) a voté une nouvelle réglementation le 5 mars dernier, qui a pour objectif de contrôler les locations et leur croissance dans 24 communes de la région. Ainsi, depuis 1er juin 2022, les propriétaires souhaitant mettre en location une résidence secondaire, ou leur résidence principale pour plus de 120 jours, devront respecter certaines conditions. Le propriétaire devra par exemple proposer un local transformé en bien immobilier sur le marché locatif à l’année qui soit situé dans la même commune. Une mesure qui vise donc clairement à tordre le cou au marché d’Airbnb. Un principe de compensation qui est déjà appliqué à Paris, Bordeaux, Lyon et Nice.
Les pouvoirs publics font donc aujourd’hui avec les habitants et collectifs, la chasse aux locations touristiques meublées illégales en renforçant les réglementations nécessaires à la protection du droit au logement et à la vie de leurs résidents. “Oui à la location occasionnelle, qui peut être un complément de revenu sur une résidence principale, mais non aux abus sur un marché locatif déjà très tendu.” affirme par exemple Raphaël Michaud, adjoint et conseiller au 7ème arrondissement de Lyon.
Partout dans le monde, la résistance s’organise. La mairie de Paris a organisé le 15 juin 2018 une rencontre avec ses homologues de Madrid, Barcelone, Lisbonne et Amsterdam, afin d’explorer des pistes pour lutter contre la spéculation immobilière, la hausse des prix et l’aggravation de la pénurie de logements dans les centres-villes. “Notre objectif n’est pas de lutter contre ceux qui louent leur logement de façon occasionnelle en respectant la loi, mais contre ceux qui en font une industrie et assèchent le marché locatif” déclare Ian Brossat, adjoint au maire de Paris chargé du logement.
La lutte a-t-elle été efficace ?
À l’heure actuelle, les nombreuses batailles législatives au niveau local, national et européen n’ont pas permis de trouver des solutions efficaces à ce phénomène.
Seulement, de nombreuses réglementations se mettent en place et se renforcent aujourd’hui pour y parvenir. L’Union Nationale pour la Promotion de la Location de Vacances (UNPLV) s’engage depuis 2022 à veiller au respect de l’encadrement de la location meublée touristique dans 92 villes. Les plateformes de réservation membres de l’UNPLV demanderont à compter du 1er janvier à leurs utilisateurs qui proposent un hébergement à la location, de catégoriser leur hébergement en résidence principale ou secondaire et bloqueront à 120 jours annuels le calendrier de réservation des résidences principales. La catégorisation des annonces permettra aux plateformes membres de l’UNPLV d’informer les hôtes de l’autorisation de changement d’usage à obtenir pour les résidences secondaires et de l’obligation, depuis 3 mars 2022, de renseigner un numéro d’enregistrement sur leur annonce.
Certaines villes, notamment Paris, sont devenues très strictes sur les locations courte durée. La seule solution étant soit d’acheter un local commercial à transformer en meublé de tourisme, devenu difficilement possible depuis la nouvelle application de la Mairie en janvier 2022, soit d’acheter directement un meublé de tourisme ayant déjà eu les autorisations nécessaires au préalable. Un achat également difficile car le prix des biens augmente de plus de 40% lorsqu’il détient cette accréditation.
La ville de Lyon a récemment créé l’outil “API meublés”. Celle-ci permet aux agents contrôlant les locations touristiques, qui devaient jusqu’ici chercher à la main les données des locations sur Airbnb, d’avoir désormais facilement accès à ces informations, qui seront, grâce à l’outil, automatiquement rassemblées dans une base de données. Les agents n’ont plus qu’à les consulter pour contrôler la conformité des déclarations des propriétaires. Cet outil aurait déjà permis de supprimer 20% d’annonces illégales.
A Saint-Malo, une réglementation plus stricte a été instaurée avec la mise en place d’un quota maximal de logements autorisés à la location. Par exemple, pour les logements situés intra-muros, seulement 12,5 % peuvent être loués en meublés touristiques.
On remarque donc une évolution constante des mesures prises allant contre ces plateformes de location saisonnière. Malgré cela, la France reste très en retard au regard des réglementations mises en place dans d’autres pays en Europe. A Amsterdam par exemple, où 1 logement sur 15 est mis en location sur la plateforme Airbnb, il a été décidé depuis juillet 2020, qu’il sera interdit dans certains quartiers et notamment dans le centre ville historique, de louer un appartement sur l’application Airbnb. Dans les autres quartiers, les locations seront encore autorisées mais avec une restriction de 30 jours par an et à quatre personnes maximum.
Alors comment assurer une cohabitation mutuellement bénéfique entre locations de courte durée et droit au logement ?
Il est difficile à l’heure actuelle d’assurer l’efficacité des différents dispositifs tant l’année de leur mise en place est récente.
Ce qui est certain, c’est que les métropoles françaises se transformeront en des lieux de repli pour quelques ménages privilégiés. “En raison des loyers prohibitifs, du déclin du travail et de l’incapacité de l’État, via les seules politiques du logement social, d’offrir une “place” à chacun, la désinsertion et le sans-abrisme continueront de se développer.” Si cette tendance se poursuit, et que nous ne parvenons pas à assurer un juste milieu entre location touristique et droit au logement, la société sera bien plus inégalitaire qu’auparavant. Une augmentation du mal logement avec la réapparition importante d’habitations précaires, bidonvilles et taudis dans les grandes métropoles, comme c’est le cas depuis 11 ans au Royaume-Uni.
Il est nécessaire, pour limiter l’impact de ce phénomène, que l’on cesse de percevoir le logement comme un bien de consommation comme un autre. “Il ne doit pouvoir faire l’objet d’une marchandisation qui va à l’encontre non seulement des règles, mais aussi de la morale” affirme Jean-Louis Dumont, directeur de l’Union Sociale pour l’Habitat (USH). Des réglementations rapides et des sanctions plus strictes et ceux, au niveau national, doivent être mis en place, afin de parvenir à une politique plus juste, qui soit bénéfique à la fois aux habitants, aux touristes, aux investisseurs et aux villes. Il serait également plus judicieux d’envisager l’interdiction des locations dédiées au tourisme de courte durée dans certains territoires très tendu.
Ainsi, pour demain, les changements portés sur les politiques du tourisme en ville pourraient nous permettre de fabriquer des villes plus en phase avec les besoins actuels, par le développement d’une démarche plus durable et plus sociale. Mais également d’apporter aux résidents une meilleure qualité de vie.