5 ans après la COP21, le moment du bilan pour la transition de nos villes
En 2015 se tenait la COP21 à Paris. Un moment d’espoir qui avait donné lieu à de nombreux mouvements et réflexions au sein des villes pour enclencher une dynamique durable de transition écologique. L’accord de Paris a notamment permis l’émergence de différents engagements et initiatives à l’échelle des pays, mais aussi bien plus localement, à l’échelle de nos territoires.
Qu’en est-il 5 ans après ? Quelles ont été les transitions réussies et les cas concrets inspirants ? Alors que la jeunesse adresse un appel aux maires de France, nous sommes partis à la rencontre de Doris Marchand, en service civique au sein du mouvement citoyen Alternatiba depuis septembre 2020, notamment en charge de la communication de la campagne Alternatives Territoriales”, afin d’élaborer une rétrospective de 5 ans d’actions pour le climat de nos villes.
Quelle est votre vision d’une ville verte, responsable, durable et viable de demain ?
Depuis 2013, Alternatiba a mis en place 113 Villages des alternatives, rassemblant citoyennes et citoyens pour réorganiser l’espace public, autour de diverses thématiques dont l’écologie, l’éducation ou encore l’économie circulaire. L’idée est de fédérer une population dans un esprit festif, convivial et ludique, afin d’apprendre et de partager les bonnes pratiques et solutions concrètes qui répondent au défi climatique actuel.
“Une ville verte serait à l’image de nos Villages des alternatives : avant tout une ville qui respecte, qui préserve le vivant et qui met un point d’honneur à ne pas dégrader les écosystèmes naturels. Les modes de vie, de consommation mais aussi de production urbaines ne prennent pas assez en compte cet enjeu majeur. Il est aujourd’hui essentiel de comprendre les conséquences du dérèglement climatique, pour la planète mais aussi pour l’humanité, si nous souhaitons faire évoluer cela et assurer le développement de villes plus durables et solidaires.”
Alternatiba est un mouvement porté par des citoyennes et citoyens qui aspirent à une société écologiquement soutenable, socialement juste et démocratique. Aujourd’hui il est de plus en plus fréquent de voir émerger des consciences citoyennes et des mobilisations locales pour répondre aux enjeux du dérèglement climatique. Depuis 2018, le mouvement Citoyens pour le climat a d’ailleurs rassemblé de nombreuses personnes. Pourquoi les initiatives citoyennes et locales sont-elles aujourd’hui une solution clé pour agir sur un sujet aussi global que le climat ?
“C’est une question assez récurrente à laquelle nous essayons de répondre à l’occasion de nos formations et nos temps d’échanges avec les acteurs locaux ou les bénévoles d’Alternatiba : en quoi une initiative locale est-elle pertinente dans la lutte contre le dérèglement climatique ? Qu’il s’agisse de projets portés par des collectivités territoriales ou par des collectifs d’individus engagés, l’échelle de la ville, voire du quartier, est un échelon clé pour amorcer des métamorphoses urbaines, écologiques et sociales. Le dérèglement climatique étant une problématique systémique, l’échelle nationale est essentielle mais il est également nécessaire de mobiliser l’échelon local et de s’organiser collectivement pour exiger des prises de décisions politiques.”
Depuis la promulgation de la loi NOTRe, qui a renouvelé l’organisation territoriale de la France, de nouvelles compétences ont été attribuées aux collectivités territoriales. Cette logique de décentralisation a permis aux diverses collectivités qui façonnent notre territoire de bénéficier, depuis 2015, davantage de leviers d’actions, notamment sur des problématiques liées au développement durable, dont les transports par exemple.
“L’action publique locale est décisive dans la réduction de gaz à effet de serre. Ce sont les collectivités qui, par les effets indirects de leurs orientations en matière d’habitat, d’aménagement ou d’urbanisme, vont impacter la durabilité de nos territoires. Leurs décisions et leurs compétences sur des sujets liés aux bâtiments, aux éclairages publics, aux transports ou encore aux distribution d’énergie et de chaleur influencent grandement l’augmentation des gaz à effet de serre. Il est d’autant plus important d’agir à cette échelle que les objectifs de la COP21, ou même de la convention citoyenne pour le climat, fixés au niveau national, ne sont pas suffisamment respectés pour engendrer un réel changement.
À ce sujet, notre campagne Alternatives Territoriales, portée par Alternatiba, ANV-COP21 et Réseau Action Climat depuis 2017, s’engage pour mettre en place et impulser des alternatives au système actuel, à une échelle locale, et généraliser par la suite les dynamiques générées. L’idée est de créer les conditions favorables à l’émergence d’une mobilisation 100% citoyenne, revendiquant auprès de leurs élus et élues locaux la mise en œuvre de mesures ambitieuses en faveur du climat et de la justice sociale, pour en faire un effet global. De cette manière, avec les ressources, outils et formations mis à disposition de nos 49 groupes locaux, chaque personne est à même de s’organiser en collectif et de devenir acteur et actrice du changement.”
Récemment, des collectifs de jeunes se sont mobilisés pour revendiquer leurs droits, leurs engagements et leur envie de faire émerger des conseils de jeunes dans toutes les villes de France. On se souvient également des grandes marches, manifestations et des diverses grèves étudiantes pour le climat. Cette mobilisation croissante de la jeunesse est-elle significative au sein d’Alternatiba ?
“Il est vrai que la jeunesse semble s’engager de plus en plus dans cette lutte contre le dérèglement climatique. Les collectifs de jeunes, qui prennent aujourd’hui la parole à ce sujet et qui investissent les rues pour partager leurs revendications, se sont grandement développés et amplifiés. Les grèves étudiantes ont d’ailleurs été un mouvement international. Leur avenir est en jeu et leurs engagements pour la préservation des écosystèmes naturels résultent aussi d’une société de surconsommation et de surproduction qui n’est pas soutenable. On le remarque de manière concrète au sein d’Alternatiba, certaines personnes s’engagent très tôt et se professionnalisent dans cette démarche, ce qui engendre une belle dynamique.”
Ces dernières années ont été rythmées par des événements assez symboliques pour l’écologisme, à diverses échelles, notamment les dernières élections municipales et l’Accord de Paris sur le Climat. Quel réel impact ces évènements ont-ils eu sur l’évolution et la transition de nos villes ? Est-ce-que la médiatisation de ces derniers a favorisé certaines prises de conscience ? 5 ans plus tard, comment abordez-vous le bilan de la COP21 ?
“De grands mouvements citoyens et mobilisations massives ont émergé à la suite de ces évènements. Pendant les campagnes municipales de 2020, les 49 groupes locaux de la campagne Alternatives Territoriales ont mis en œuvre des séquences de mobilisation et de sensibilisation, ainsi que des actions de désobéissance civile sur de nombreux territoires français. L’objectif était de placer le climat au cœur du débat politique local et d’interpeller chaque candidat et candidate pour les inciter à revoir à la hausse leurs engagements.
Pour construire leurs revendications, nos collectifs citoyens se sont notamment appuyés sur le Pacte pour la transition, détaillant 32 mesures à mettre en place pour assurer le développement juste et durable de nos communes. Ces actions de sensibilisation ont également permis de créer des réseaux de solidarité et de résilience dans de nombreux territoires. Pour faire face aux difficultés qu’ont rencontrées les agriculteurs, agricultrices et commerces locaux à maintenir leurs activités et revenus pendant les phases de confinement, des collectivités se sont engagées dans le développement de circuits courts et la création d’annuaires et plateformes de commandes et de livraisons en ligne recensant ces derniers.
En ce qui concerne le bilan de la COP21, l’actualité politique et la liste des engagements pris par les États membres montrent bien que l’objectif des 1,5 degrés n’est pas suffisamment respecté pour être à la hauteur du défi climatique actuel. De plus, reposant sur le volontarisme de chaque état, c’est un dispositif non contraignant qui enclenche, justement, la nécessité d’agir à un niveau plus localisé.
Cette démarche centrée sur l’échelle locale est complémentaire de l’action nationale. Nous veillons à ce que l’Etat respecte ses engagements et sa responsabilité. C’est justement parce que la COP21 ne porte pas ses fruits que l’on se mobilise afin d’inciter les décideurs et les décideuses à agir. Ce sont d’ailleurs les mobilisations citoyennes qui obtiennent des victoires : 811 listes signataires du Pacte pour la Transition ont ainsi été élues aux élections municipales pour accélérer la mise en œuvre des solutions.”
Récemment, l’Affaire du siècle a d’autre part permis de dénoncer et médiatiser la responsabilité de l’Etat sur les problématiques liées aux changements climatiques. Initiée par les associations Greenpeace France, Oxfam France, Notre affaire à tous et la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme, cette campagne a abouti au jugement de l’Etat pour inaction politique, climatique et sociale.
“Changer le système, pas le climat”. En quoi la justice climatique est-elle intimement liée à la justice sociale, notamment en milieu urbain ? De quelle manière l’espace urbain peut-il participer de manière active et positive à devenir un lieu d’actions et d’engagements dans la lutte contre le changement climatique ?
“La justice climatique est fortement imbriquée dans la justice sociale. Il existe une véritable différence de contribution et de responsabilité entre les populations, dans ce phénomène climatique. L’empreinte carbone dépend grandement des conditions socio-économiques, soit du niveau de consommation et des revenus d’une personne ou d’un ménage. Les personnes en précarité sociale ou financière, les résidentes et résidents de quartiers populaires, les personnes mal logées, sont bien souvent moins responsables mais plus touchées, plus exposées et plus vulnérables que d’autres catégories de la population, par cette crise climatique.”
De nombreuses recherches et études avèrent aujourd’hui ces constats. Oxfam france publiait en septembre 2020 un rapport intitulé “Combattre les inégalités des émissions de CO2” dans lequel quelques chiffres clés permettent une certaine prise de conscience, dont :
– Les 10% les plus riches de la population mondiale (environ 630 millions de personnes) sont responsables de 52% des émissions de CO2 cumulées, soit près d’un tiers du budget carbone mondial au cours de ces seules 25 années,
– Les 50% les plus pauvres sont responsables de seulement 7% des émissions de CO2 cumulées, soit 4% du budget carbone disponible.
“Les inégalités climatiques sont le résultat de structures sociales inégalitaires. Les plus démunis ont des difficultés à s’adapter aux conséquences du dérèglement climatique, en raison d’un manque de moyens, d’un manque d’accès aux soins, aux informations, notamment de prévention, de bonnes pratiques pendant les périodes de forte canicule par exemple. En milieu urbain, et particulièrement périurbain, des problématiques de densité urbaine, de bétonisation, de pollution de l’air, de manque d’espaces verts ou de forte présence de la voiture s’accumulent à cela.”
Un sujet prégnant est celui de la mobilité et des déplacements urbains. Ils peuvent à la fois être la cause et la conséquence de la crise climatique et d’inégalités sociales. Selon les observations de l’Ademe (Agence de la transition écologique), le secteur des transports est aujourd’hui le principal émetteur de CO2 avec près de 39% d’émissions de gaz à effet de serre.
“Développer les mobilités alternatives au sein de l’espace public est l’un des grands enjeux de la campagne Alternatives Territoriales. Là encore, le lien avec la justice sociale est indéniable : la mobilité est un facteur déterminant pour la recherche d’emploi, pour l’accès à des lieux de socialisation et de divertissement, pour préserver la santé publique contre la pollution de l’air et la sédentarité. Favoriser les déplacements en transports en commun pour toutes et tous, par la mise en place d’une tarification sociale et solidaire et par l’amélioration qualitative de la fréquence et/ou de l’amplitude des lignes, permet d’agir sur le climat tout en assurant un accès équitable à la mobilité urbaine.”
Beaucoup d’acteurs et d’actrices de la transition s’accordent à parler de “réenchantement territorial”. Actuellement, les termes pour qualifier le futur de nos sociétés oscillent souvent entre un champ lexical très anxiogène (crise, urgence, effondrement), mais pourtant nécessaire à une réelle prise de conscience de la situation actuelle, et un autre beaucoup plus inventif, positif, créatif, centré sur la thématique du réenchantement. Comment aborder les problématiques liées au climat pour qu’elles soient entendues et comprises par une majorité de personnes ?
“Notre objectif est de sortir du rapport complexe et coercitif que l’on peut habituellement entretenir avec les problématiques liées au climat, ou même à l’écologie, sans pour autant effacer la radicalité des revendications. Il est nécessaire de mettre en place des solutions très concrètes, ayant des effets structurels, et d’initier un changement systémique pour être à la hauteur des enjeux climatiques. Bien que les termes tels que “émissions de gaz à effet de serre” peuvent parfois être assimilés à une communauté experte, voire scientifique, nous devons chacune et chacun se saisir du sujet. C’est une préoccupation commune qui impose des réponses collectives.
Il est de ce fait encore une fois important de renforcer ce lien entre la justice climatique et la justice sociale, car il s’agit d’un levier d’action puissant. C’est une notion à forte valeur symbolique, une visée normative, c’est-à-dire que c’est un but et un enjeu admis par tous et toutes. Cette préoccupation sociétale prégnante est également une doctrine morale partagée, apte à mobiliser massivement. La société alternative que l’on dépeint et que l’on souhaite, est une société qui doit en effet être désirable, au sein de laquelle chacune et chacun puisse se projeter. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est important de rendre visible et intelligible un système alternatif.”
C’est tout l’objectif des Villages des alternatives imaginés par Alternatiba : que les alternatives au système actuel ne deviennent pas une contrainte au quotidien, mais bien qu’elles représentent des solutions positives et optimistes pour un avenir souhaitable et durable. Qu’elles puissent également représenter une manière de se réapproprier une alimentation, un mode de vie, de consommation ou de déplacement, ou même un espace public.
Terminons sur votre expérience et votre vécu personnel, de citoyen, de militant ou de bénévole. Une action, un engagement, un projet qui vous a particulièrement marqué ?
“Si je devais choisir une expérience en particulier, ce serait la marche pour le climat du 16 mars 2019, que l’on a rapidement renommée “la marche du siècle”. Cette mobilisation massive illustre, d’une manière assez inédite, les fortes valeurs écologiques portées par une partie de la jeunesse d’aujourd’hui. Les jeunes, qui sont bien souvent associés à des personnes inactives dans la vie politique, ont pourtant revendiqué massivement leurs divers engagements lors de cette marche. De plus, c’est une catégorie de la population particulièrement vulnérable face au dérèglement climatique, qui sera et l’est d’ailleurs déjà, en première ligne face à ses conséquences. Ajoutée aux problématiques de chômage, de précarité, d’isolement social, auxquelles les jeunes sont aujourd’hui confrontés, la crise climatique impacte naturellement le quotidien de chacun et chacune. Finalement, bien qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, tous ces mouvements collectifs et citoyens, représentent en quelque sorte des victoires d’étapes et un véritable espoir pour l’avenir.”