1 000 cafés pour revitaliser les petites villes

16 Mar 2021 | Lecture 5 min

La vitalité des espaces urbains repose souvent sur ses commerces, ses lieux communs, ses équipements ouverts à tous. Pourtant, depuis quelques décennies, les petites et moyennes villes sont touchées par un phénomène de dévitalisation de leurs centres-villes et ces espaces de vie sont en première ligne. De nombreuses actions émergent cependant pour enclencher un renouveau.

L’initiative 1000 cafés contribue à revitaliser les territoires. Leur projet est simple : permettre l’ouverture ou la reprise du dernier café au sein de 1000 communes de moins de 3 500 habitants. Nous avons rencontré Sophie Le Gal, directrice de 1000 cafés, pour nous éclairer sur les intérêts de cette démarche, pour le maintien d’une sociabilité de proximité. Ensemble, nous avons aussi évoqué le rôle clé de ces lieux dans la redynamisation des territoires délaissés.

Comment est né le projet 1000 cafés ? Après quel constat ?

“Le programme 1000 cafés a été présenté et retenu dans le cadre de l’Agenda rural, un plan d’actions à destination des territoires ruraux, mis en place par le gouvernement fin 2019, “pour conforter la redynamisation des campagnes et soutenir les initiatives locales”. Afin de mener à bien ce projet, nous sommes donc accompagnés par l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires, anciennement nommée CGET, le Commissariat général à l’égalité des territoires.

1000 cafés est né de deux constats. Le premier fait suite au mouvement des Gilets Jaunes de 2018. Nous nous sommes interrogés sur le manque de lieux de rencontres dans les territoires dévitalisés et en marge des grandes villes. Plutôt que sur les ronds-points, s’il y avait eu des cafés, ce mouvement aurait-il pris place dans ces lieux fédérateurs ? Nous avons pu constater que nos territoires ruraux, nos petites villes, perdaient ces espaces d’échanges, qui permettent aussi des interactions sociales sur la durée.

 

Zudausques, petite commune de 864 habitants dans le Pas-de-Calais
Source : 1000 cafés – Ulysse Airieau

Le deuxième constat est qu’il existe aujourd’hui 35 000 communes en France, et 26 000 d’entre elles n’ont plus de cafés. Or pour nous, ce lieu simple et accessible, c’est la porte d’entrée indispensable pour recréer des lieux de convivialité. Le café est plus qu’un commerce classique, où l’usager ne fait que passer. Il est un espace à investir, où l’habitant se pose, y passe du temps.”

Quelle est concrètement votre méthodologie d’accompagnement ?

“Nous avons lancé deux appels à candidature distincts. D’une part, auprès des élus, afin qu’ils proposent des lieux de création ou de reprise de cafés au sein de leur commune. Les différents sites proposés ont ensuite été analysés et sélectionnés. D’autre part, auprès de potentiels porteurs de projet, afin d’identifier les futurs gestionnaires des cafés.

C’est une méthodologie en deux temps. Émerge d’abord un projet commun, entre les élus et la structure 1000 cafés. Ensuite, une fois le projet défini, s’enclenche la recherche d’une personne à même de reprendre le dernier café de la petite commune et de répondre aux besoins du territoire choisi. Lorsque cette démarche prend fin, un projet tripartite est convenu entre les élus, les futurs gérants et nous-même.

Concrètement, comment cela fonctionne ? Souvent l’immobilier est porté par les élus, tandis que nous sommes opérateurs des lieux, c’est-à-dire que nous faisons l’investissement initial permettant de réouvrir le lieu, et que nous identifions les futurs gérants du lieu. Les cafés créés appartiennent alors à un même réseau d’établissements 1000 cafés.

Notre structure accompagne les porteurs de projet, jusqu’au jour d’ouverture. En amont, il s’agit de leur fournir divers conseils, comme par exemple sur la création de l’entreprise, leurs coûts prévisionnels, l’identification de leurs fournisseurs ou la mise en place d’outils de gestion. Notre démarche se poursuit après l’ouverture du commerce, au cas par cas et souvent mensuellement, pour garantir la pérennité de l’établissement et un bon niveau de services. Ce suivi se fait toujours en lien avec les élus.”

Le café est le symbole d’une sociabilité de proximité. En quoi est-il essentiel à la vie locale ?

“Le café, comme symbole de sociabilité, c’est l’idée simple de l’image du comptoir. Là où se passe la chose publique, là où l’on va retrouver une mixité d’usages. Aussi, le café est le lieu où nous rencontrons des personnes que nous n’avons pas l’habitude de côtoyer. Sans cet espace, la possibilité d’avoir un débat serait plus restreinte. Les 1000 cafés sont destinés à mixer tous les usages et les publics, d’être aussi ouverts à tous.

Eric, gérant du restaurant-café nommé La Troussebière à Zudausques
Source : 1000 cafés – Ulysse Airieau

D’ailleurs, les habitants sont au centre de la démarche. Nous concevons une offre qui va répondre à leurs besoins, en l’adaptant en fonction des territoires. Pour cela, nous donnons des outils aux élus pour recueillir les avis via des questionnaires et informer par des réunions publiques. À partir de ces retours de terrain, nous identifions si un réel besoin existe, exprimé par les habitants. Car avant de réouvrir le dernier café de leur commune, nous devons nous assurer que la population locale a réellement envie de se l’approprier. Parfois, les usages sont finalement ailleurs et la mobilisation n’est alors pas présente pour un tel projet. Une étape clé qui assure que le café perdurera et surtout qu’il jouera son rôle de connecteur, de lieu de vie à l’échelle locale.”

Et pourquoi souhaitez-vous que les cafés créés soient multiservices ?

“Notre envie, c’est de proposer des cafés multiservices, afin de proposer les services de proximité qui manquent, l’offre la plus inclusive possible. Si nous portons des projets de café classique, de type bistrot, nous risquons de faire face à une limite : leur image s’est dégradée ces dernières années, représentant une clientèle souvent masculine au profil vieillissant. Or, nous voulons des lieux attractifs, accessibles, de vrais espaces de vie au sein des communes, car souvent, il s’agit du dernier commerce et il doit donc bénéficier au plus grand nombre.

En prolongement de cette logique, à cette première activité de café va s’adosser d’autres services. Une offre qui va faire que chaque habitant s’approprie ce lieu. C’est-à-dire qu’une personne qui n’aurait pas forcément passé la porte d’un bar, va pourtant pratiquer le café, parce qu’il y aura un dépôt de pain, un relais colis, une épicerie de dépannage ou qui propose des produits locaux. C’est tout l’intérêt de l’hybridité du lieu par le multiservice, de pouvoir répondre à un besoin de chaque habitant et de tous.

Delphine, gérante du café multiservices de Cottance dans le département de la Loire en Auvergne-Rhône-Alpes
Source : 1000 cafés – Ulysse Airieau

La crise sanitaire a d’ailleurs montré que le modèle de café multiservice était résilient. Parce que les services, du quotidien comme les relais-colis ou dépôt de pain, sont essentiels. Sur l’ensemble des lieux accompagnés à la réouverture, les 20 établissements sont toujours ouverts. Nous sommes dans l’attente qu’ils puissent s’ouvrir pleinement à nouveau, bien entendu, dans le respect des règles sanitaires.”

Avec la situation actuelle, les citoyens semblent de plus en plus intéressés de s’installer loin des grandes villes. Selon vous, pourquoi observe-t-on un regain d’intérêt ?

“Aujourd’hui, nous faisons face à une nouvelle dynamique, très liée à l’actualité de la crise sanitaire et accentuée par les confinements vécus. Travailler à distance et pratiquer du télétravail, au sein d’une société où l’activité de services est grandissante, a évidemment facilité cette tendance. Mais cette démarche a des limites. Cette image idéaliste de la campagne, comme refuge, n’est pas unanime et la réalité est parfois loin d’être fidèle à celle-ci.

Pour encore de nombreux territoires ruraux, il existe des zones où la connexion internet reste compliquée à atteindre de façon optimale, parce qu’il n’y a pas le niveau de service que l’on retrouve dans les plus grandes villes. Une fracture numérique qui limite l’accessibilité à la connectivité, aujourd’hui essentielle pour favoriser l’installation des ménages, notamment des télétravailleurs.

 

Mickael, gérant du bar Le P’tit Campagnard à Girancourt dans le département des Vosges
Source : 1000 cafés – Ulysse Airieau

Autre problématique, l’accès aux services est limité par rapport à des contextes urbains, en agglomération. Le projet 1000 cafés cherche à permettre à ces territoires d’accéder à une qualité de services. Nous gérons et mettons en réseau l’ensemble de nos cafés, dans une démarche d’économie d’échelle, notamment sur les fournisseurs, ce qui permet d’identifier des partenaires communs du multiservices. Nous pouvons prendre l’exemple d’un partenariat que nous avons avec les Maisons Frances Services, un guichet physique d’accès aux services publics, tels que la Caisse d’allocation familiale, le Pôle emploi, la Caisse d’assurance maladie, etc. Avec ce partenariat, les habitants des communes, où il y a la présence d’un 1000 Cafés, sont orientés vers la Maison France Service la plus proche. ”

Est-ce que vous ressentez un changement de posture des élus sur les sujets d’impact social ? Quels sont les retours de terrain ?

“Les élus qui candidatent sont vigilants à l’impact social, ils se battent pour la réouverture de leurs derniers commerces avec une vision sociale. Dans cette logique, ils sont déjà investis dans la revitalisation des centres-bourgs, ils ont envie de mettre au cœur de leur action le sujet de la convivialité, de la préservation et création d’espaces de rencontre.

Actuellement, les dynamiques de création de lotissements émergent à nouveau dans des petites communes. Des populations s’installent et l’enjeu est de permettre un échange entre les anciens résidents et les nouveaux arrivants. C’est souvent le point départ de cette envie de créer des lieux fédérateurs, dans l’idée de “faire village”. Aujourd’hui, ce sont 900 élus qui se sont portés candidats, notamment en mettant à disposition des locaux. Ils se sont aussi placés comme facilitateur de cet esprit sur leur territoire, en accompagnant des démarches de mobilisation citoyenne.”

Comment percevez-vous l’avenir des territoires ruraux et urbains ? Comment l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) peut-elle être source d’innovation pour réactiver ces espaces ?

“Selon moi, les interactions entre les territoires urbains et ruraux seront beaucoup plus fortes à l’avenir, surtout encouragées par la capacité à pratiquer le télétravail. Mais il y a encore de nombreux liens à créer. Et je suis convaincue que la pratique de l’ESS peut aider à cela. Elle induit des logiques collectives, et non pas individuelles, mais aussi, elle propose un changement de logique, plaçant l’impact social avant l’impact économique.

La prédominance de l’impact social est une philosophie qui fonctionne bien sur les territoires ruraux. D’autant plus, qu’il existe un réel besoin de s’adapter aux aspirations des habitants. Notre démarche s’inscrit dans cette optique. Systématiquement, nous posons les deux questions suivantes à ceux qui vivent sur place : Que souhaitez-vous sur votre commune ? Comment pouvez-vous être acteur de sa mise en place ? Selon moi, les principales sources d’innovation sur ces territoires passent par l’économie sociale et solidaire, parce qu’elle va encourager l’implication des habitants.”

LDV Studio Urbain
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