Street Gastronomie, quand l’identité urbaine se transmet en cuisine
Street Food, tutos YouTube, cooking class, la cuisine est au cœur des tendances actuelles. En effet, oubliée pendant un temps en tant qu’élément nécessaire au bien être, la nourriture se retrouve aujourd’hui au centre des comptes Instagram. La Junk Food est remplacée par le Porn Food, une mise en valeur de ces ingrédients et plats abondants en gras venus des Etats-Unis. Le courant healthy quand à lui s’approprie des nouvelles recettes diététiques venues d’ailleurs.
La mondialisation a en effet permis la diffusion de produits exotiques en Europe ou la promotion de la cuisine française en Asie. Mais en plus d’être un élément indispensable dans nos vies, la cuisine est aussi un marqueur d’identité. Je mange donc je suis, le burger est associé à la malbouffe américaine et les sushis au Japon. Cette même mondialisation a engrangé une diaspora culturelle culinaire à travers les plus grandes mégalopoles mais aussi dans toutes les villes accueillant des étrangers.
Avec les courants migratoires les villes ont modifié leur maillage urbain pour accueillir d’autres populations. Intégrées ou non, les traditions culinaires restent une partie intégrante du quotidien. Souvent rassemblées dans un même quartier, les restaurants et supermarchés sont le reflet de ces cultures. Enseignes lumineuses, cafés typiques ou affiches en langues étrangères, la nourriture rassemble et met en lumière différentes communautés. Elles sont des enclaves omniprésentes dans une rue ou encore un quartier entier au sein des villes. Chine, Maghreb ou encore Italie, les saveurs du monde attirent et attisent la curiosité. Alors comment la gastronomie est-elle devenue un marqueur identitaire urbain ?
Gastronomie et appropriation urbaine
Les courants migratoires au sein même de l’Europe ont été nombreux. Au cours du XIXe siècle, la France a connu une grande phase d’immigration. La tentative d’uniformisation culturelle par les politiciens de la IIIe République a conduit à un repli de certaines communautés. Toutefois, la gastronomie est restée un facteur d’indépendance des régions, comme de symbole identitaire pour la France. Les régions normandes et bretonnes ont longtemps connu des flux de populations entre leurs villes portuaires. Le Havre a notamment accueilli depuis la fin du XIXe siècle des bretons venus travailler dans le commerce maritime, les chantiers navals ou encore les infrastructures portuaires. L’une des plus fidèles icônes de ces déplacements est Bécassine, célèbre personnage diffusé à l’échelle nationale par l’exode breton vers d’autres régions. Ces derniers sont restés groupés et soudés dans les villes où ils se sont installés. Le quartier Saint François, le long des bassins de commerce du Havre en est le témoin historique. Petit quartier fermé au nord-est de la ville, le village breton s’est organisé autour d’une église. Mais le marqueur identitaire le plus fort encore présent aujourd’hui est le nombre de crêperies présentes dans ce lieu. Malgré la disparition de cette séparation humaine, le quartier reste imprégné de la gastronomie bretonne. Les drapeaux bretons flottent sur les bâtiments et toute la ville vient y déguster des galettes. Les noms typiques sur les enseignes des restaurants sont encore le reflet de cette ancienne communauté : le Korrigan, Crêperie Chignon, le Petit Breton. Les particularités gastronomiques de la Bretagne s’affichent au cœur même d’un des plus anciens quartiers du Havre. Ainsi, un simple plat typique est devenu le symbole d’une communauté, de son histoire et de son appropriation urbaine.
Les quartiers à fortes identités ont également émergé avec l’essor des flots de population traversant les océans. Un des exemples les plus flagrants d’appropriation de la ville est celui du quartier de « Little Italy » à New York. Arrivés tout au long du XXe siècle, les italiens ont eu des difficultés à s’intégrer et ce repli se traduit notamment par une communauté forte au sein de la ville. La culture gastronomique en est encore une fois l’illustration. Cette ville au sein de la ville est illuminée par un décor typiquement italien. Les rues sont principalement occupées au rez-de-chaussée par des restaurants rappelant leur identité. Pizzas, pâtes ou encore pâtisseries sont servies tout au long de la journée. Les couleurs vertes, rouges et blanches comme le drapeau égayent l’espace public et une ambiance exubérante typiquement italienne règne. Les épiceries aux produits importés ou les fabriques de pâtes fraiches sont les décors des plus grands films sur la mafia. Il est alors plus difficile de se croire aux Etats-Unis que dans une ville où de délicieux arômes aiguisent les sens des touristes.
Dans les rues du monde, la développement de la street-food est également devenu un moyen de découvrir une ville par ses traditions culinaires. En effet, le tourisme est devenu un vecteur d’intégration de ces communautés autrefois fermées. Les fêtes folkloriques où la nourriture est vendue dans la rue attirent tous types de population. La fête de San Gennaro, Saint Patron de Naples, en Septembre propose notamment un concours de mangeurs de pâtes. Les espaces publics deviennent un moyen de découvrir le monde, de voyager et de partager une culture. Les cafés italiens servent en terrasse expresso et limonade citronnée qui rassemblent l’italien de souche et le new yorkais accompli. Par ailleurs, des quartiers cohabitent au sein d’un même quartier : Gênois, Calabrais, Siciliens, Piémontais et Toscans se démarquent avec la gastronomie du Sud ou du Nord. C’est une véritable visite de l’Italie qui s’opère, du gelato aux arancini, qui se dégustent dans Mulberry Street. Le charme original des trattorias, les restaurants italiens, est maintenant disponible à l’autre bout du monde.
L’identité culinaire : entre séparation et rassemblement urbain
Situé à côté de « Little Italy », Chinatown est également un lieu où la gastronomie a participé à l’appropriation urbaine d’une communauté. Les migrations chinoises, plus tardives, et leurs différences culturelles ont rendu leur intégration complexe. Le quartier entier rappelle le pays, tout d’abord visuellement, par les enseignes avec les pictogrammes en mandarin ou encore les lumières et néons rouges. Mais ce sont tous les sens qui sont sollicités par ce lieu, notamment l’odeur aigre douce du riz et du soja. Comme les épices en Inde, les odeurs de la cuisine chinoise marquent le visiteur dans la rue. La visite se fait grâce à tous les sens, de la musique qui émane des échoppes à la fumée âcre des piments du Guizhou.
Cette ambiance typique peut être rassurante pour ses habitants délocalisés sur un autre continent. La gastronomie asiatique en général demande de longues préparations par la multiplicité et la complexité des plats. Elle est une part intégrante de la vie familiale chinoise et aurait pu participer à un repli important des migrants sur eux-mêmes. La cuisine devient pourtant encore une fois ici aussi un facteur d’appropriation urbaine. Les baozi, raviolis chinois cuits à la vapeur, sont vendus dans les rues. Les temples bouddhistes se prêtent à la dégustation de thé tandis que les restaurants et leurs grandes vitrines attirent le visiteur. Nombreux sont les new-yorkais à effectuer leurs achats dans les supérettes réputées pour avoir les meilleurs fruits et légumes de la ville.
La France connaît également cette intégration par la gastronomie, restaurants chinois dans le XIIIe arrondissement de Paris, le Chinatown de Lyon, les boutiques aux pancartes en mandarin de Wazemmes à Lille… Ce dernier est un melting pot des communautés en pleine intégration au cœur de la métropole lilloise : kebabs, bistrots, restaurants asiatiques, africains, mexicains… Au-delà des simples visiteurs, le quartier a su séduire de nouveaux habitants, un phénomène de gentrification amplement motivé par l’accessibilité à une gastronomie internationale. Le quartier, autrefois enclavé et souffrant d’une forte ségrégation urbaine est toujours marqué par un urbanisme trop hésitant à développer la mixité sociale. Le marché du dimanche a attiré les premières populations curieuses et a rapidement été envahi par les bobos du dimanche. Rappelant le souk, le lieu est un symbole même de réunification par la gastronomie et d’identité urbaine. Dans une joyeuse cacophonie mêlant poulet rôti, thé à la menthe et nems, la nourriture rassemble un jour par semaine toutes les catégories sociales.
La nouvelle diffusion médiatique des mélanges culinaires est à l’image de cette volonté de mixité. Les villes sont le tableau des échanges humains mais aussi désormais un laboratoire d’expérimentations culinaires. Du bistrot de quartier à l’estaminet ou au restaurant de paëlla, la gastronomie a toujours été le meilleur moyen de rassembler les français de toutes origines autour d’une table.