Smartcity : des promesses d’hier aux réalités de demain
Courant avril avait lieu le grand rendez-vous annuel de la Fédération Internet Nouvelle Génération (FING) sur l’avenir du numérique et notamment de la Smartcity, TRANSITIONS 2015. Il s’ouvrait sur l’idée que le numérique était un bolide lancé à toute allure sans trop avoir de cap, à l’inverse de l’écologie qui a depuis longtemps défini un objectif clair, mais peine à trouver sa route. Difficile, à partir de là, de définir un avenir précis à la Smartcity. Toutefois, ce mouvement qui envahit nos mégalopoles et perce nos villages les plus reculés en guise de beta tests demeure porteur de grandes promesses pour justifier son intrusion. Entre autres, des villes auto-suffisantes sur tous les points (énergétique, économique, voire nourricier), des services publics simplifiés, un quotidien (temps d’attente, déplacement) totalement optimisé par la fluidification, la régulation et les services en ligne… Qu’en est-il aujourd’hui, et que pourrait-il en être demain ? Quelques éléments de réponse.
Smartcity : où en sommes-nous ?
Dans un premier temps, le chemin vers l’homogénéité semble encore assez long. A l’heure actuelle, il serait d’ailleurs plus prompt de parler de “grand bazar numérique”. Bazar, car la multitude d’informations que nous émettons à chacune de nos actions dans la ville (tirer de l’argent au distributeur, passer le portique du métro) constitue une infinité de données, mais qui ne se destinent pas aux mêmes structures (ici, les banques et les compagnies de transports publics). Or ce phénomène Big Data prend tout son intérêt (mais aussi tous ses risques) lorsque les données sont mises en relation. Beaucoup d’acteurs militent ainsi pour leur ouverture publique (l’Open Data) sur bien des terrains d’exploitation, mais sur ce sujet, la ligne rouge de la vie privée est vite franchie.
Ce qui se vérifie en tout cas, c’est qu’en matière de numérique, le partage de données est créateur de richesse et moteur de pérennité. C’est dans cette logique que la Smartcity a vu l’émergence de son bébé surprise : l’urbanisme collaboratif. Communautés structurées, engagements, projets d’envergure, le phénomène connaît un succès grandissant, faisant parfois trembler les géants des business qu’il pénètre (à l’image d’Airbnb face aux acteurs traditionnels de la location immobilière et de l’hôtellerie). En tant qu’initiative citoyenne, l’urbanisme collaboratif est le meilleur exemple de la réappropriation de l’innovation par ses destinataires.
Car n’en doutons pas, l’innovation ne peut pas être pensée en dépit de ce que les gens en feront, surtout avec une technologie qui casse peu à peu toute démarcation entre concepteurs et usagers. Ainsi, comme le soulignait Daniel Kaplan, délégué général de la FING : « on a raison de vouloir optimiser la circulation automobile en prévoyant les embouteillages à l’avance [grâce à la data] ; mais si de nouvelles solutions de déplacement n’émergent pas en même temps, la fluidification du trafic produira ce qu’elle a toujours produit par le passé : l’afflux de nouveaux véhicules sur la route. » C’est notamment pour cela qu’en matière de transition écologique, il faut considérer la Smartcity uniquement comme un outil, neutre, qui n’introduira pas la révolution verte dans la ville avant qu’elle ne le soit dans les consciences.
Smartcity, vers où tout cela nous mène ?
Naturellement, à mesure qu’elle se numérise, la Smartcity va amplifier notre nombre de données personnelles, faisant de nous des distributeurs d’informations ambulants. Celles-ci, passées sous le moulinet des algorithmes prédictifs, nous aideront théoriquement à prédire l’avenir ; c’est déjà le cas pour le trafic routier, ça l’est aussi pour la police (l’organisme Predpol est pensé pour déjouer les crimes et délits avant même qu’ils ne se réalisent). Les collectivités territoriales prenant conscience de l’ampleur des opportunités, des partenariats publics-privés pourraient bien se multiplier, à condition qu’ils prouvent rapidement leur efficacité, et leur orientation vers un réel intérêt collectif.
Pour tous ces nouveaux services et relations développés, une transition législative est indispensable et doit être pensée pour s’adapter efficacement au rythme du progrès. Un angle délicat, car les décisions de justice avisées sont rarement prises sous la contrainte du temps…
En ce qui concerne les services publics, leur homogénéisation devrait se poursuivre au rythme actuel. Car si les économies promises par le numérique feraient frissonner plus d’un ministère, la transition peine parfois à se réaliser, car elle entraîne des coûts immédiats (nouveaux équipements, formations) que les budgets ne peuvent soutenir. La réduction drastique des effectifs constitue également un frein. Ce qui est inquiétant ici, c’est le risque pour ces institutions d’accumuler un trop grand “retard technologique”, alors que l’innovation continue de prendre de la vitesse.
Or, ce retard n’est pas une menace que seules les institutions endurent. Aussi, pour bien comprendre la logique de la Smartcity, il faut la considérer comme le “reflet technologique” de notre société, un peu comme le ferait un auteur de science-fiction : les problèmes, les besoins, les solutions et les prix découlent davantage des orientations de l’opinion publique que du progrès technique. Par conséquent, de même que pour cette mollesse constatée de la transition écologique, un vrai risque de fracture technologique émane directement de ce qu’on a appelé la fracture sociale. Adrien Aumont, co-fondateur du site de crowdfunding KissKissBankBank, insiste sur ces dangers d’exclusion : “Les services existent, sont déjà disponibles, mais si la personne ne sait pas utiliser cette technologie, elle n’y aura pas accès.”
Le citadin, moteur de la Smartcity
Dans ces premières années de défrichage de la Smartcity, ce n’est plus le champ des possibilités offertes par le numérique qui concentre les attentions, mais bien celui du comportement humain. La Smartcity ne nous amènera pas forcément plus vite sur le chemin de l’écologie, ni même du savoir ; tout ce qui le fera est l’évolution de l’intérêt du citadin, et de ceux qui façonnent la ville. Pour cette même raison, les promesses de disparition du temps d’attente se sont brisées contre les murs publicitaires, qui en avaient jusque là l’exclusivité. Une vidéo pour s’occuper entre deux stations de métro ? Une minute trente de réclame. Aussi, si la concentration des richesses continue de s’opérer autour d’un petit nombre, il y a fort à parier que la data, ce nouvel or noir, engendre de nouveaux monopoles. Quel garde-fou, alors, pour la ville ? La communauté urbaine elle-même. Car dans ce nouveau schéma sans distinction entre créateur et bénéficiaire, c’est encore le citadin, lorsqu’il est unanime, qui a le pouvoir de faire la pluie et le beau temps sur la cité.
Pour aller plus loin :
Le projet “Too Smartcity” – JooYoun Paek et David Jimison : une smartcity hostile envers les « indésirables ».