Les réseaux sociaux participent-ils à la mort de nos villes ?
Les réseaux sociaux prennent de plus en plus d’importance dans nos comportements et dans nos vies au quotidien. En Janvier, un musée du selfie a même ouvert ses portes à Los Angeles, démontrant l’essor du partage de plus en plus courant d’éléments personnels, à toutes les populations du globe, en direct. En particulier, le monde de la photographie est un vecteur fort pour démarquer son propre quotidien de celui de son voisin.
Et les villes l’ont bien compris. Si bien qu’elles adaptent les aménagements de leurs espaces publics en fonction de ce que pourraient partager les visiteurs et autres utilisateurs de la ville. Cette « mise aux normes » des réseaux sociaux crée ainsi des lieux emblématiques, qu’il serait préjudiciable pour le tourisme de supprimer. L’élément « I AMSTERDAM » de la capitale néerlandaise en est un exemple. Cela signifie-t-il que les villes en deviennent de véritables musées, figés par le poids des réseaux sociaux ? À l’image des selfies réalisés devant des œuvres centenaires voire millénaires au lieu de les admirer, l’hommage à nos villes par les réseaux sociaux n’est-il pas le symbole de l’hommage à une ville qui se fossilise ?
La ville comme vecteur d’attractivité
Il semble aujourd’hui clair que les mondes urbains présentent une attractivité bien particulière auprès des voyageurs du monde entier. Si le romantisme de la fin du 18è et du début du 19è siècle a permis l’émancipation de la pratique touristique dans des lieux évoquant la nature, comme la mer ou la montagne, les voyageurs se tournent aujourd’hui également en très grande partie vers les villes, quelles que soient leurs tailles. Les villes sont attractives car elles y reflètent une âme locale, une ambiance, une culture, une architecture qui ne peut pas être retrouvée ailleurs. Les villes sont également le siège de nombreux lieux de culture, de musées, et de bâtiments représentant les évolutions du territoire et qui se multiplient au fil des années.
Les centres-villes sont d’autant plus attractifs dans la mesure où ils sont par définition le lieu de convergence de toutes les dynamiques du territoire, qu’il s’agisse de flux humains et sociétaux, de flux électroniques, de flux culturels, et par conséquent également de flux touristiques. Il n’est d’ailleurs pas difficile de mesurer l’ampleur de l’attractivité d’une ville à travers les réseaux sociaux et à travers sa récurrence dans les publications des utilisateurs. En particulier par le biais de l’application Instagram, qui représente une véritable mine d’or dans laquelle est mise en scène l’ambiance architecturale et urbaine des villes visitées par les touristes. Mais les grandes villes ne sont pas les seules à être autant convoitées par les voyageurs et les photographes « instagrameurs ». Les petits villages de caractère sont autant mis en valeurs que les villes plus importantes. Hauts buildings de verre et d’acier ou fébriles chaumières de pierre et de colombages, il y en a pour tous les goûts et les utilisateurs d’Instagram s’en donnent à cœur joie sur leur application préférée.
Quand l’identité de la ville se construit sur Instagram
Nous pouvons donc percevoir à travers ce constat qu’un phénomène urbain est en train de se produire par le biais des réseaux sociaux. L’image et la représentation des villes tend à se construire et à se développer à travers l’explosion du nombre de photos qui sont diffusées chaque jour aux habitants du monde entier, notamment via Instagram dont la ville est un véritable terrain de jeu.
En surfant sur ce phénomène, certaines villes ont d’ailleurs développé des stratégies de marketing territorial afin de développer leur attractivité. L’exemple le plus frappant est certainement celui du grand logo « I AMSTERDAM », dans la ville des Pays-Bas du même nom. Même n’étant jamais allé dans la ville néerlandaise, qui n’a jamais aperçu de photos de ce logo géant, sur lequel les touristes grimpent, s’accrochent ou se mettent en scène dans une pose improbable ? Qu’en est-il du Rijksmuseum en arrière-plan ? Pour beaucoup, il ne s’agit désormais plus que du « musée qui se trouve derrière le logo I AMSTERDAM »… Si le logo a été installé en 2004, c’est-à-dire quelques mois avant l’apparition de Facebook et des autres réseaux sociaux aujourd’hui massivement utilisés, sa construction a quand même mené à une augmentation de 40 % du tourisme de la ville !
Ce nouveau passage quasi-obligé de la ville, aux dépends parfois d’autres éléments culturels de la même ville, a tellement bien fonctionné, que d’autres collectivités s’en sont inspirées pour faire grimper le nombre de visiteurs à accueillir. C’est par exemple le cas à Toronto ou à Budapest, avec de grandes sculptures représentant respectivement et de manière judicieuse les mots TORONTO et BUDAPEST. Lyon s’y est également mise en 2010, avec un simple mais osé ONLY LYON.
La ville se forme donc une image intimement liée à sa notoriété sur les réseaux sociaux. Elle en profite pour mettre en place des installations qui permettront de la reconnaître très rapidement parmi le flux de publications qui peuvent affluer sur Instagram par exemple. Mais cela signifie-t-il que ces nouveaux éléments de repérage sont devenus la norme touristique des villes qui en ont l’usage ? Autrement dit, les véritables éléments de la culture locale, à savoir l’architecture, les bâtiments remarquables, les musées etc, en deviennent-ils pour autant laissés au second plan ?
Le comportement des individus fige la perception de la ville
L’explosion des réseaux sociaux lors de ces dernières années a profondément modifié nos comportements quotidiens : comment résister à la tentation de rester scotché sur les écrans d’appareils toujours plus performants et intelligents, lorsqu’il est possible d’interagir en temps réel avec toutes les personnes de son réseau ? Selfies, mises en scène devant des éléments emblématiques de la ville, il semble aujourd’hui plus important de diffuser sa propre image sur les réseaux plutôt que ce qui définit l’urbain en tant que tel. Ce qui signifie que la ville s’écarte doucement du devant de la scène des réseaux sociaux, au profit des individus qui se placent alors au premier plan. Ces derniers privilégient d’ailleurs souvent des objets qui semblent déconnectés de la culture locale, comme par exemples les logos géants qui ont avant tout une vocation marketing.
Cette surabondance de photographies à la limite du superficiel définit ainsi petit à petit l’image de la ville à travers notre usage des réseaux sociaux. Il semble même presque incontournable de poser en trompe-l’œil devant la Tour de Pise ou devant la Tour Eiffel par exemple. Avec la mise en place d’éléments de marketing urbain, ce sont ces comportements personnels qui mettent en fin de compte la ville au second plan.
Mais alors si cette perception collective se généralise, ne faut-il pas craindre que les villes se reposent trop sur la superficialité de ces contenus ? Quelle en devient la place pour la réelle âme de la ville, celle qui en définit réellement la culture locale ?
Savoir trouver l’équilibre pour promouvoir sa singularité
Si les villes profitent donc de plus en plus sur une image véhiculée par les réseaux sociaux, ces derniers peuvent tout aussi bien faire la promotion d’un autre aspect de la ville. Celle qui est plus cachée, plus intime et plus proche de la véritable identité culturelle de la ville. Les paragraphes précédents dénoncent des pratiques qui peuvent écarter les aspects culturels et urbains du devant de la scène. Il semble toutefois important de nuancer ce propos. Si les réseaux sociaux représentent une mine d’or de photographies, ils sont donc également une ressource infinie de mise en valeur de la ville. Les villes doivent donc arriver à trouver un bon équilibre entre le marketing qui met en avant les individus et celui qui met en avant leur patrimoine et qui représente davantage leurs identités respectives et leur singularité.