Renouveler les transports publics : intelligences économiques
Le 18 septembre dernier se déroulait la Journée du Transport Public, événement destiné à “faire découvrir à tous les atouts des transports publics” et auquel participaient plus de 200 réseaux nationaux de mobilité urbaine. La presse spécialisée mobilité, modes de transport doux ou urbanisme s’est alors chargée d’accompagner l’approche de ce jour spécial avec un déferlement d’articles dédiés. Et c’est bien souvent la tarification des transports qui s’est vue pointée du doigt par les médias en question.
Nous avons donc trouvé judicieux de rebondir sur la brûlante et sempiternelle question de la gratuité des transports publics, pour s’interroger plus généralement sur les modèles économiques vieillissants de la mobilité collective. Vous trouverez dans ce texte les réponses à ces questions, et quelques autres. Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’économie des transports sans jamais oser le demander, en somme…
Un modèle économique à bout de souffle
En France, l’économie des transports en commun fonctionne selon un modèle simple : les dépenses d’exploitation doivent être principalement couvertes par les recettes commerciales et par la taxe employeurs (versement transport). Cependant, il semblerait que ces recettes soient constamment en baisse depuis quelques années, et le secteur s’en trouve logiquement fragilisé. Dans ce contexte, l’un des enjeux majeurs, pour les opérateurs, réside dans la recherche de nouveaux modes de financement des transports.
Tous les moyens ou presque sont alors régulièrement envisagés et discutés, revenant de manière cyclique sur le devant de la scène. Tandis que certains prônent la hausse du prix des tickets, d’autres vantent plutôt une augmentation du versement de transport, c’est-à-dire aux frais de l’entreprise[1]. Des recours plus originaux ont également été proposés, comme l’affectation au transport public des plus-values foncières liées à l’amélioration des axes de transport (« Désacralisons la vitesse dans les transports ! », plaidait l’urbanisme Marc Wiel en écho à cette proposition légitime), la création d’une taxe sur le CO2, ou encore l’établissement d’un versement transport « interstitiel » ou “additionnel”. Le secteur du transport public peine de plus en plus à trouver son équilibre financier. Ce n’est d’ailleurs pas la toute prochaine hausse de la TVA sur ces services qui ravira exploitants et consommateurs… Se pose alors une question fâcheuse : les transports en commun peuvent-ils encore être rentables ?
La fin d’un cycle d’usages
Ces difficultés économiques cachent en réalité plusieurs tendances de fond, liées aux usages et aux représentations de la mobilité contemporaine. Les villes sont de plus en plus peuplées et de plus en plus nomades… La crise économique et la transformation des pratiques de déplacement (en particulier dues à la démocratisation massifée des outils numériques) viennent mettre leur grain de sel dans cet embrouillamini déjà tortueux… Comment le secteur des transports peut-il traverser une telle pression de l’usage ?
Aujourd’hui, malgré une multiplication des offres commerciales avantageuses (abonnements de plus en plus spécifiques, promotions exceptionnelles), l’extension des réseaux et la diversification des modes, ou encore les actions favorisant le report modal (la Journée du Transport Public en est le parfait exemple), l’offre pourvue par le secteur semble de moins en moins adaptée aux attentes des usagers.
Pour y pallier, les usagers eux-mêmes mettent la main à la patte pour se construire en communautés d’intérêts grâce au numérique. On ne compte plus les initiatives citoyennes de partage des mobilités (applications mobiles, crowdfunding, sites centralisant les demandes…) destinées à limiter les coûts et les consommations énergétiques, ou tout simplement à se sentir plus libre de ses déplacements ! D’ailleurs, le secteur des transports voyageurs est loin d’être le seul à être touché par ces changements puisque même le transport de certaines marchandises tend à devenir une affaire citoyenne – et ceci pour les mêmes raisons, principalement économiques !
La fraude comme solution ?
L’horizon de la gratuité des transports demeure un biais intermédiaire qui compte plus d’un militant farouche. L’idée est alléchante et peut paraître évidente pour les usagers des transports communs, qui ne roulent – pour la plupart – pas sur les jantes en or. Pourtant, selon une étude RATP menée auprès d’usagers quant aux “incivilités” du métro, 83 % considèrent “sauter par-dessus les tourniquets” comme le pire délit possible. Un chiffre qui en dit long sur les perceptions en vigueur dans l’équation « se déplacer // payer ».
La fraude ne constitue évidemment pas un méfait aussi “gênant” – pour les voyageurs – qu’une agression physique… Mais elle est symptomatique des difficultés sociales et économiques que traversent ceux qui prennent le risque… Un article du Monde dévoilait d’ailleurs récemment la façon dont certains voyageurs illégaux tentent intelligemment de créer une boucle vertueuse de la fraude ! Ainsi, les usagers s’organisent de différentes manières pour ne être biaisés par le système punitif actuel. Les sites web d’échanges illégaux de billets pullulent, tandis que les réseaux sociaux servent de médias d’alerte – en temps réel – des contrôles. Une association militante a même créé une caisse commune afin de rembourser les éventuelles amendes reçues par ses adhérents.
L’institutionnalisation de la gratuité des transports, souvent présenté comme la réponse nécessaire à la fraude par ses partisans, reste cependant marginale et dédiée à des territoires bien spécifiques (une dizaine de petites villes en France, dont Aubane est la plus connue). Elle n’a donc jamais fait ses preuves dans le « grand bain », et reste pour l’instant peu envisageable à l’échelle des métropoles nationales et européennes, répondent ses détracteurs. Mais en vérité, la gratuité ne sera pas la solution-miracle aux problèmes des transports ; ceux-ci doivent impérativement trouver une solution rapide à leurs modèles économiques croulants sous les mutations sociétales. C’est seulement une fois que les transports auront su faire leur mue dans ce nouveau paradigme, que la question de la gratuité pourra légitimement se poser. Mais ne tergiversons pas trop : les choses pressent…
par Margot Baldassi
Vos réactions
Attention cela fait longtemps que le versement transport ne suffit plus à lui seul à financer les déficits d’exploitation des contrats de transport : même en IDF il ne représente que 3 Mds sur les 4,5 de recettes. Ce sont donc bien les impôts sur les ménages qui financent la majorité des coûts de transport. Sans compter les régions ou Cg qui ne collectent pas cet impôt.
Par ailleurs les recettes commerciales et celles du VT ne sont pas en baisse.
Ce qui baisse, c’est le ratio des recettes/dépenses : chaque km de transport coûte de plus en plus cher et est de moins en moins couvert par les recettes commerciales. Le TP a « mangé son pain blanc » dans les zones denses et doit maintenant « manger son pain noir » dans le périurbain.
En termes économiques, on dirait que le transport public français est un marché « mûr », qui ne peut évoluer dans sa configuration actuelle qu’à la baisse en terme de développement et surtout de rentabilité.
Les pistes évoquées ou défendues ici ou là (modification des tarifs ou hausse des recettes fiscales) ne sont pas des remises en cause du modèle économique actuelle.
Les vraies remises en cause sont ailleurs !