Quand l’urbanisme devient participatif
Le temps où la ville était réservée aux seuls urbanistes et architectes est révolu. Grâce à Internet et aux réseaux sociaux, elle s’invente désormais en cocréation avec les citoyens. De Laval à Amsterdam en passant par Strasbourg et le Texas, tour d’horizon des villes où s’inventent de nouveaux modèles d’urbanisme participatif.
« Une patinoire près de l’Aquabulle », « Un deuxième ciné », « Créer un service de consigne comme dans les gares », « Rénover la salle omnisports », « Reconvertir le quartier militaire en quartier de la transmission »… Au premier abord, on pourrait se croire en pleine partie de Sim City, le célèbre jeu vidéo qui permet de s’improviser maire pour bâtir la ville virtuelle de ses rêves. Mais ces petites phrases ne sortent pas de l’imagination fertile d’un gamer. Toutes sont des contributions citoyennes bien réelles au réseau social Carticipe, un outil d’urbanisme participatif mis en ligne en février 2013 pour inciter les habitants de Laval à contribuer aux aménagements à venir dans leur ville. Le principe est simple : un fonds de carte Google interactif permet à chacun de soumettre des propositions et de réagir à celles déjà exprimées en ligne en matière de mobilité, d’espaces verts, de construction ou de services. « Les réunions d’information en plein air, avec toute la paperasse qui s’envole, ont montré leurs limites. Souvent, les ménages actifs ne pouvaient même pas y participer. Accessible partout et tout le temps, Carticipe permet au contraire de dégager en temps réel les points de controverse et de convergence entre citoyens » se félicite Eric Hamelin, sociologue et directeur du bureau d’études Repérage Urbain, qui a mis au point cet outil. Mais le projet Carticipe va au-delà d’une simple plateforme virtuelle. Au printemps, le contenu de la carte participative sera débattu dans des « ateliers de quartier » et une « maison de la concertation » devrait ouvrir ses portes en centre-ville. Des marches dans Laval seront également organisées par les conseils de quartiers pour faire réagir un maximum d’habitants aux propositions émises sur le réseau social. En septembre 2013, à l’issue de six mois de consultation citoyenne, une synthèse permettra de retenir les idées qui font consensus dans les conclusions du Plan local d’urbanisme (PLU).
Tout commence à Porto Alegre
L’exemple de Laval le montre : la démocratie participative a trouvé dans l’urbanisme son territoire d’expression naturel. C’est à l’échelle locale – celle de la ville, voire du quartier – que les citoyens entendent désormais apporter leur pierre à l’édifice. Une révolution déjà à l’oeuvre un peu partout en Europe et dans le reste du monde, mais qui tardait encore à décoller en France, pays traditionnellement attaché à la prise décision verticale et institutionnelle.
Pourtant, la démocratie participative n’est pas une idée neuve dans notre pays. En 1983 déjà, le rapport Dubedout, texte fondateur de la politique de la ville, affirmait que « rien ne se ferait sans la participation active des habitants ». En 1989, la cité brésilienne de Porto Alegre confie à ses habitants l’élaboration et la cogestion du budget municipal. Le succès de cette expérience pionnière est tel que l’association des citoyens à la prise de décision locale figure, trois ans plus tard, dans les conclusions su Sommet de la Terre de Rio. Une reconnaissance des vertus de la démocratie participative inscrite également dans la fameuse loi SRU, votée en 2000 par la France, qui prévoit l’association des citoyens à la prise de décision dès le diagnostic du plan local d’urbanisme, puis à chaque étape des projets d’aménagement.
De l’expertocratie à l’intelligence collective
Malgré ces déclarations de bonnes intentions, les élus ont longtemps ignoré les vertus de la concertation citoyenne. La ville était alors le pré carré des urbanistes et des architectes, sans que l’expérience et les idées de celles et ceux qui « font » la ville – à savoir ses habitants – ne soient pris en compte. Mais la révolution numérique et l’émergence de la civilisation du partage ont bouleversé les modes de gouvernance à l’échelle municipale : désormais, impossible d’imposer des décisions d’en haut sans consulter et associer les citoyens à la conception de leurs espaces de vie. En 2006, la ville de Montréal a ainsi dû abandonner son projet de créer un pôle d’activités comprenant notamment un casino et une salle de spectacle, faute d’avoir mené un travail de concertation en amont auprès des habitants du quartier concerné. La logique top-down tend donc à disparaître, au profit d’une démarche bottom-up : « L’urbanisme participatif est encore loin d’être la norme car la plupart des décisions sont irréversibles, engageant l’avenir de la ville sur plusieurs décennies. Mais jusqu’alors, on était dans l’expertocratie, tandis qu’aujourdhui les acteurs de la ville commencent à se convaincre que l’expertise d’usage, celle des habitants, est aussi utile. Cette intelligence collective peut permettre de faire émerger les meilleures idées », assure Eric Hamelin.
Les jardins partagés, qui fleurissent aujourd’hui dans toutes les villes, sont un bon exemple de ces idées venues « de la base » et qui ont fini par s’institutionnaliser. Mais la valeur ajoutée citoyenne peut aussi se greffer à des projets d’aménagement urbain plus complexes. À Strasbourg, où la municipalité souhaitait établir un écoquartier dans le nord de la ville, le bureau d’études Repérage Urbain a demandé au conseil de quartier de la Robertsau de formuler une contre-proposition pour faire avancer le débat. Les citoyens de ce quartier historique et anciennement maraîcher se sont prononcés en faveur de l’établissement d’un agroquartier comprenant plus de surfaces agricoles et d’habitats denses que dans le projet initial. Comme quoi, l’habitat vertical ne fait plus forcément peur aux citoyens… « Si on propose des projets ficelés et conçus simplement dans des bureaux, on a affaire à une opposition citoyenne. Si, par contre, on prend la démarche en sens inverse en associant les citoyens dès le départ, ça se passe bien », constate le sociologue.
L’essor d’Internet joue aussi un rôle considérable dans l’influence croissante des citoyens sur les politiques de la ville. « Le numérique révèle de nouvelles pratiques territoriales, notamment autour de l’innovation ascendante, celle qui provient des citadins » confirme Marine Albarede, responsable pour la Fondation Internet nouvelle génération (Fing) du programme « Alléger la ville », qui vise à rapprocher les citoyens des « gros » acteurs privés et publics et dont Bouygues Immobilier est partenaire. À Amsterdam, la municipalité a même instauré un nouveau modèle de planification urbaine baptisé Wikicity. Des propositions citoyennes, comme le déploiement de lignes de ferry pour relier le nord et le sud de la métropole, ont ainsi été mises en oeuvre par la ville après avoir été émises sur des plateformes d’échange virtuelles.
Les cinq familles d’activistes
En rendant possible l’urbanisme participatif, Internet a renforcé le degré d’exigence de citoyens de moins en moins dociles. Une enquête du cabinet Sociovision, réalisée fin 2012, distingue ainsi quatre groupes d’activistes citoyens. Il y a d’abord les « militants du local », ultraconnectés et capables de développer leurs propres projets à défaut d’être associés par la ville. C’est ce qui s’est passé à Toronto où, estimant que la mairie n’avait pas installé de passages piétons aux endroits stratégiques, les activistes de l’Urban repair squad ont créé leurs propres passages après avoir pris soin de consulter des urbanistes. Autre catégorie, celle des « activistes planétaires », moins nombreux mais plus radicaux et partisans d’une transparence totale. Mieux garnis sont les rangs des « suiveurs actifs », une famille de consommateurs plus que de citoyens, qui considèrent que la ville doit leur offrir une gamme de services et leur faire gagner du temps. Enfin, l’étude de Sociovision identifie aussi la montée en puissance des « défenseurs de la communauté locale », qui font confiance aux élus mais sont prêts à s’engager dans des conflits locaux si la cause leur paraît légitime. Les « citoyens passifs » n’ont pas pour autant disparu. Pour les inciter à prendre part à la cocréation urbaine, les villes redoublent d’imagination. Les habitants de Manor, au Texas, peuvent ainsi recevoir des bons d’achat si les idées qu’ils déposent sur le réseau social local sont mises en œuvre par la municipalité.
Dépasser la simple consultation
Plus qu’une armée de résistance, les citoyens constituent un bataillon de volontaires prêt à se mettre au service de la ville. La pédagogie ne suffit plus : plus que l’adhésion, c’est l’appropriation des projets par les citoyens que doivent désormais rechercher élus et urbanistes. Dans un rapport publié en 2011, le Conseil national des villes faisait remarquer que certaines politiques locales de démocratie participative relèvent de la « manipulation » ou de « démarches infantilisantes », les habitants étant considérés « comme incapables d’avoir un point de vue argumenté et réfléchi sur les sujets de politiques publiques. » Pour éviter ce type de dérives, il est essentiel de ne pas cantonner les citoyens à un rôle consultatif et de leur confier de plus amples responsabilités. Pourquoi pas en les associant à la gestion des « budgets participatifs », comme à Porto Alegre en 1989. C’est à cette condition seulement qu’un modèle urbain plus ouvert, plus participatif, plus convivial et plus transparent – bref, plus démocratique – pourra devenir la norme.
Vos réactions
Je ne partage pas ce point de vue.
D’abord parce que trop souvent certains citoyens ou associations s’opposent à des instances régulièrement élus et représentatifs.
De plus la vraie question est celle de l’impossible représentativité de ces citoyens, qui ont du temps, donc sont inactifs pour la plupart et trop souvent motivés par leur seul intérêt particulier.
Donc tout à fait défavorable à l’idée de « récompenser » ces gens là.
Je suis une grande convaincue de l’efficacité de l’urbanisme participatif! (Et étudiante dans le département de City & Regional Planning de Cornell University – bien connu pour son soutien à la participation des communautés locales).
Il me semble que l’urbanisme se doit de servir les communautés locales or il s’agit d’un des seules domaines d’activité dans lequel le client final n’est pas (ou peu) invité à participer à la création du produit fini. Il me semble également que pour gagner en légitimité, et réellement se saisir de la « localité » du quartier à (re-)developper, l’urbaniste a besoin de s’appuyer sur l’engagement des acteurs et résidents locaux dans le processus d’aménagement. Enfin, réaffirmer la « localité » de nos territoires est, je pense, un challenge dans notre monde globalisé. La ville doit pouvoir rayonner sur la scène internationale mais aussi ancrer ses atouts localement. Quoi de plus efficace que de convaincre ses résidents en les impliquant réellement dans le développement de leur ville?
http://urban-theory-cf.blogspot.com/
Bonjour,
L’enquête de sociovision est elle disponible en ligne ? ou une version résumée peut être ?
Merci !
Bonjour, vous pouvez télécharger l’enquête de Sociovision réalisée pour La Fabrique de la Cité à l’adresse suivante
http://www.lafabriquedelacite.com/intervention/de-lactivisme-urbain-analyse-des-tendances-et-cartographie-des-acteurs
L’urbanisme participatif doit être porté par de nouveaux droits sociaux (ex. temps de délégation de citoyenneté urbaine quand on est salarié, droit d’information et de consultation, moyens juridiques et d’actions comme la mise en place d’ateliers populaires d’urbanisme et de diagnostics marchants, la possibilité de recourir à une expertise pour donner un avis argumenté…) et de nouvelles pratiques d’élus et des techniciens (formation sur la codécison avec les parties prenantes que sontles habitants, nouveaux processus de codécision, intégrationdes habitants aux étapes cruciales du projet…) si l’on ne veut pas que cette expression devienne du marketing politique. Un beau projet porteur de progrès social à définir… http://www.bw-friches.fr