Petits espaces intermédiaires : habiter le pas de la porte
Il est une pièce de la maison encore plus hybride que le garage, dont on vous a parlé précédemment. Ce petit lieu dédié au passage n’est d’ailleurs bien souvent pas considéré comme tel : il s’agit du seuil de certaines maisons et appartements urbains.
« Pour la maison, le premier des seuils est celui qui sépare l’espace extérieur de l’intérieur. C’est le seuil fondateur, celui qui sert de modèle à tout autre. C’est en ce point que se négocient les interactions entre ceux qui occupent cet espace et ceux qui viennent du dehors. » – Philippe Bonnin, « Dispositifs et rituels du seuil : une typologie sociale » p. 69
Coincé entre la porte de l’habitat et le trottoir, cet espace intermédiaire est dans certains cas « habité » par ses propriétaires ou locataires, au même titre qu’un bout de salon ou un morceau de cuisine…
La ville détermine les seuils
Parfois, entre l’espace privé du logement et la rue, un lieu exigu à habiter se dessine : une petite marche où s’asseoir, un escalier à occuper, une barrière où s’adosser, des recoins à décorer, un rebord où s’accouder. Plus cet interstice sera grand, plus les citadins-habitants auront la possibilité ou l’envie de s’y arrêter, pour discuter avec le voisinage, observer et écouter la rue bourdonner, ou simplement prendre l’air. Dès lors, c’est une pratique que certaines villes et cultures permettent ou interdisent par différents biais.
« La raison fondamentale de la ville est à l’origine de densifier, multiplier, accélérer les échanges tant matériels, pratiques, que symboliques entre individus, groupes, institutions. Ce faisant le mode d’habiter urbain restreint les territoires attribués à chacun. Il les rapproche à l’extrême, les superpose parfois. […] La nécessité d’explication des territoires s’accroît (catégorie d’espace, identité de l’occupant, indication des possibilités de l’interaction etc.), du renforcement et du contrôle de la qualité des frontières, d’organisation et de régulation des flux matériels et symboliques à travers les limites. » – op cit, p.87
De ce point de vue, l’architecture de tel ou tel bâti, l’urbanisme de telle ou telle rue, ont évidemment un grand rôle dans l’existence (ou l’absence) du phénomène de réappropriation de cet espace frontière… L’haussmannien et ses rez-de-chaussée donnant directement sur le trottoir rendent par exemple impensable un usage agile du palier urbain. Au contraire, les porches en escaliers des maisons de ville anglaises, et les espaces similaires rattachés par exemple à certains immeubles collectifs américains invitent les habitants à se prélasser, attendre, ou échanger là, entre leur porte et le tumulte des rues…
La première extension de la maison
Dans les cas anglais et américains susmentionnés, la réappropriation de l’espace intermédiaire entre l’intérieur et l’extérieur est facilitée, rendue possible par la présence de cette portion de bâti surélevée, par essence séparée de la rue. On a tous en tête ces marches new-yorkaises où le voisinage joue aux cartes, discute, et où s’entreposent pendant les fêtes têtes de citrouilles et autres guirlandes lumineuses…
Ailleurs, comme en Hollande, les frontages – appelés « stoep » – des quartiers résidentiels sont ainsi « susceptibles de créer de l’urbanité et de la citadinité » de différentes manières. Comme le décrivait Nicolas Soulier dans l’ouvrage de référence Reconquérir les rues.Exemples à travers le monde et pistes d’action :
« Les stoeps permettent d’accueillir en bord de rue des plantes en pleine terre ou en pots, des vélos, des tables ou des chaises. Tout comme les habitants, les chats et les chiens y séjournent. En passant, on entrevoit les intérieurs et les riverains nous côtoient. Dans la rue, nous sommes un peu chez eux. »
Ce type de pratiques, que l’on retrouve encore au Canada, au Japon ou au Mexique, appartiennent évidemment à des tendances urbaines bien connues de ces colonnes, puisque elles appellent au chill (la détente) autant qu’elles proposent une certaine vision (encore utopique) de ce que pourrait être la « ville asseyable » … Alors n’hésitez plus, disposez transats et cactus devant votre porte pour profiter du soleil printanier qui pointe déjà le bout de son nez !
Pour aller plus loin :
- James Rojas, Front porch place making : the Latino connection to the street – sur Project for Public Spaces, 2014
- Elian Djaoui, Les espaces intermédiaires, les sas, les seuils – Les Chantiers de Leroy Merlin, 2016
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Lisez l’excellent livre de Nicolas Soulier: « Reconquérir les rues » (éd Ulmer) dans lequel il fait découvrir la notion nord-américaine de « frontage »: une leçon sur le sujet, à travers de très multiples exemples