L’architecture poétique d’Eric Cassar
Conscient des enjeux contemporains de l’architecture – entre étalement urbain et réévaluation de l’espace par le numérique – Eric Cassar pose les bases d’une smart city plus poétique et plus humaine. Avec ses concepts « ar(t)chitecture subtile » et « habiter l’infini », il interroge nos manières de vivre en ville.
Architecture subtile
« L’architecture est un art qui n’est pas fini. Il se finit avec la vie qui vient à l’intérieur ». À 39 ans, Eric Cassar est le fondateur du bureau d’architecture, d’urbanisme et de design Arkhenspaces, qu’il a ouvert en 2005. Passionné d’art et de littérature, il travaille depuis plusieurs années à concevoir une ville qui parvienne à la fois à embrasser la révolution numérique et à susciter l’émotion. En effet, la connexion des citadins permet d’accumuler des données sur leur usage de la ville. Dès lors celle-ci peut être plus efficace notamment en termes énergétiques, mais aussi plus rationnelle et standardisée. Une crainte pour l’architecte pour qui « il ne faut pas perdre de vue que la ville doit émerveiller » et qui s’efforce donc d’injecter de l’aléatoire et de la sensibilité dans ses projets.
Le 24 janvier 2015, Eric Cassar tient une conférence TEDx à Lyon sur le thème de la sérendipité. Il présente alors sa vision de la ville de demain où se combinent ville et nature, saisissable et insaisissable et où « l’exception est aussi importante que la règle ». Son ambition est de créer de l’inattendu dans l’aménagement urbain. Il propose par exemple d’exploiter les événements climatiques en créant des couloirs de vent, ou des cascades de pluie ; de créer de l’interactivité entre les passants et le bâti grâce des immeubles qui twittent ou changent de lumière ; ou encore de planter des vastes percées de nature sauvages dans la ville, et faire ainsi de la végétation un « incubateur naturel du hasard et de la diversité ». Cette réflexion est approfondie dans un essai théorique publié en 2016 aux éditions HYX appelé Pour une ar(t)chitecture subtile. Il y définit une approche prospective de l’architecture fondée le rapport de l’humain au bâtiment. Grâce à une réalisation en maquette 3D, il ne se positionne plus comme architecte créateur, dont le regard souverain tombe du ciel, mais comme utilisateur sensible qui évolue au niveau du sol.
Habitat mutualisé
Cette démarche humaine de l’architecture amène Eric Cassar à un autre constat. Le numérique permet de réinventer l’occupation de l’espace, de casser la logique de propriété au profit d’une logique d’usages mutualisés. L’architecte définit son projet Habiter l’infini comme : « un bâtiment ou un îlot de bâtiments où la surface de la sphère intime de chaque foyer est réduite au profit d’une grande variété d’espaces mutualisés, gérés grâce au numérique entre les habitants. Ce qui permet à la fois d’augmenter l’espace de vie et de mieux rentabiliser l’espace construit tout en favorisant le lien social et intergénérationnel. »
En effet, en dépit de l’étalement urbain, la spéculation immobilière rend le coût du mètre carré en centre ville hors de prix et réduit la taille des appartements. Pour Eric Cassar, le levier aujourd’hui se situe davantage dans la considération du temps que de l’espace, puisque la moitié du temps nos installations sont inoccupées. Les habitations restent vides quand nous sommes au bureau ou en vacances et réciproquement.
Boussole numérique de la vie locale
L’enjeu principal de ce déploiement dans le temps et l’espace est la conservation des liens humains. « Traditionnellement un immeuble est constitué d’espaces d’habitation et d’espaces de circulation. Le promoteur immobilier a toujours cherché à réduire au minimum ces espaces de circulation. Nous, on les agrandit pour que vous les investissiez aussi » explique Eric Cassar. En interconnectant les habitants, leurs besoins et leurs compétences, le numérique permet de créer une économie de services au niveau local.
À l’échelle d’un îlot mutualisé et grâce à une application surnommée la « boussole numérique », les habitants pourraient se faire la cuisine les uns aux autres, se donner des cours, faire du babysitting et bien sûr se répartir les pièces communes en fonction de leurs besoins. Un lieu calme pour travailler, une grande salle à manger pour recevoir la famille le dimanche, un balcon ensoleillé pour bouquiner, un garage pour répéter tranquillement avec son groupe de hard metal… La réservation peut se faire en temps réel, pour une durée d’une heure, d’un jour ou même d’un an. De la même manière des bureaux vides le soir pourraient servir de locaux pour des associations et une salle de conférence pourrait servir de salle de cinéma ou de concert. Ainsi toute la ville se transforme sur elle-même.
Lauréat du Grand Prix « Le Monde » – Smart Cities pour son projet Habiter l’infini, Eric Cassar espère réussir son équation difficile entre le tout connecté et des micro-communautés plus humaines et socialisées. Ses ambitions poétiques et sa culture de l’inattendu pourrait lui donner raison.