Jeunesse et espace public
« Le monde va mal et la jeunesse de ce monde plus mal encore ». C’est par ces mots que le sociologue Michel Fize débute son ouvrage Jeunesse à l’abandon qui dépeint les maux dont sont victimes les jeunes des années 2010. Les jeunes d’aujourd’hui peineraient à trouver leur place dans la société. Par exemple, dans la zone euro, 20,7 % des moins de 25 ans sont au chômage (chiffres de 2016). Et, au-delà de la société, il est un autre domaine dans lequel les jeunes ont du mal à s’imposer : l’espace public. Tantôt trop présents, tantôt totalement absents, les jeunes et l’espace public c’est un peu « je t’aime, moi non plus ». Alors, d’où vient ce malaise urbain et comment mieux intégrer les jeunes dans nos villes ?
Un malaise urbain
« Pourquoi les jeunes sont-ils violents ? », « adolescence : attention danger », « où partir pour ne pas croiser les jeunes cet été ? », « délinquance des mineurs : traitement de choc »… Cette revue de titres d’articles consacrés à la jeunesse est plutôt révélatrice : la jeunesse a mauvaise presse. Un groupe de jeunes est presque aussitôt vu comme un potentiel groupe de délinquants, il suscite la crainte ou l’inquiétude. Aujourd’hui, un Français sur deux a une mauvaise image de la jeunesse et pour 65 % de nos compatriotes les jeunes sont vus comme inactifs et irresponsables.
La jeunesse dans l’espace public est souvent jugée gênante, sonore, source d’insécurité. Ils interpellent et dérangent les badauds en quête de tranquillité. Alors la répression est de mise pour empêcher ces loubards en puissance de s’attaquer aux honnêtes gens. Couvre-feux, ultrasons spécifiques captés uniquement par les moins de 25 ans ou encore interpellations diverses par les forces de l’ordre. Certaines municipalités ou bailleurs sociaux ont essayé d’aller encore plus loin, proposant des projets frôlant le ridicule. Comme en 2007, au Havre où un bailleur social a testé le hall d’immeuble… sans immeuble. L’idée : comme les « djeuns » affectionnent particulièrement les halls de nos immeubles pour se retrouver en bande, pourquoi ne pas leur proposer un hall factice, avec digicode, boîtes aux lettres et même un début d’escalier pour pouvoir jouer au hall d’immeuble. Le projet n’a pas tenu 6 mois… L’espace public, qui a pourtant vocation à être à destination de tous les publics, peine donc à intégrer la jeunesse.
Un lieu d’expression
Pourtant, l’espace public est essentiel pour cette jeunesse en quête de repères. Lieu de socialisation, lieu d’expérimentations, possibilité de se dégager de l’univers familial, espace intermédiaire entre le dedans et le dehors, la confrontation avec l’espace public est nécessaire pour la construction de soi. L’espace public peut alors devenir un lieu d’expression pour une jeunesse qui cherche à prendre la parole que ce soit pour revendiquer ou simplement laisser sa trace. On a tous en tête l’exemple de Mai 68 où la jeunesse française s’est emparée de la rue pour s’indigner, l’espace public devenant ainsi un lieu et un symbole des révoltes de la jeunesse. Mais les jeunes ne s’emparent pas de l’espace public uniquement pour exprimer leur mécontentement. Parfois ils en détournent les codes et le mobilier pour en faire un vaste terrain de jeux, comme l’atteste la pratique de certains sports (roller, skate), ou celle plus récente du parkour. L’espace public est également un lieu où peut s’exprimer la créativité, une vaste galerie à ciel ouvert dans laquelle simplement par amour du beau ou parfois pour délivrer un message plus profond les jeunes viennent laisser leur trace.
Un nouveau territoire pour l’engagement citoyen
Et si l’espace public trouvait une nouvelle fonction, celle de promouvoir et de permettre l’engagement citoyen ? Quand on pense que les 3/4 des jeunes ne sont pas allés voter lors des élections régionales de 2015, on peut se dire que l’enjeu est de taille. Pourtant, d’après les jeunes interrogés par Génération What, plus les jeunes sont engagés, plus leur confiance en l’avenir et leur sentiment d’être reconnus et écoutés est important. C’est cet enjeu que Marthe Chatillon, étudiante en deuxième année de cycle master Ville Durable à l’École de design Nantes Atlantique, a choisi d’investir pour son Projet de Fin d’Études. Sa proposition ? Un tiers-lieu itinérant, baptisé le 16/18, qui accompagnerait les jeunes tout au long de leur parcours citoyen, à destination plus particulièrement des 16-18 ans. Il s’agit d’informer les jeunes sur le parcours citoyen dans lequel ils s’inscrivent à cette étape de leur vie : un enseignement en éducation civique, un recensement et une Journée De la Citoyenneté (JDC). Le 16/18 interviendrait à chacune des étapes de ce parcours citoyen, créant ainsi du lien entre ces étapes mais aussi entre les organisations intervenantes. Ce dispositif civique se couplerait avec une application numérique, permettant ainsi de faciliter les démarches administratives. Le but : investir les lieux où se trouvent les jeunes afin de créer de l’engagement pour valoriser la participation des jeunes et leur donner envie de renouveler cet engagement tout au long de leur vie. De quoi leur permettre d’occuper pleinement l’espace public.
Par Marthe Chatillon, étudiante en deuxième année de cycle master Ville Durable à L’École de design Nantes Atlantique, et Zélia Darnault, enseignante