Futurs, un oeil dans le rétro
La ville de demain a-t-elle l’oeil rivé sur le passé ? A bien y regarder, tout converge pour répondre par l’affirmative. Mais cela est-il nécessairement une mauvaise chose ? Comme souvent, cela dépend de la manière dont on y puise ces références…
“Chaque époque rêve la suivante.” Cette célèbre citation de l’historien Jules Michelet a le parfum de l’évidence. Pourtant, la mettre en regard des réalités contemporaines amène à la questionner, voire à la contredire. Car aujourd’hui l’innovation se fait souvent dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, l’oeil pointé vers le passé et non plus vers l’avenir. Nous nous en étions d’ailleurs étonnés, voire même attristés, dans un précédent billet aux allures de tribune avec pour cri de guerre : rendez-nous le futur ! L’heure est aujourd’hui venue d’approfondir l’autopsie de ces “futurs passés” qui érigent la ville et l’innovation, avec en creux cette alléchante question : faut-il jeter les rétrofuturs avec l’eau de la prospective ?
Un courant d’art du courant d’air
Il n’y a en effet qu’à ouvrir les yeux pour constater que notre époque rêve surtout de la précédente ; ou plutôt, que notre époque rêve avec les yeux de la précédente, et non avec ses propres yeux. Cela porte un nom : le rétrofuturisme, une “tendance dans les arts créatifs montrant l’influence des représentations de l’avenir produites jusque dans les années 1970” selon Wikipedia. Ce terme se rapporte donc essentiellement aux Beaux-Arts, et par corollaire à des domaines qui nous concernent ici : l’architecture, le design, et même l’urbanisme si on pousse la logique. Sans oublier l’innovation technologique, porte-drapeau de la prospective, dont la collusion avec le rétrofuturisme a inspiré le dernier ouvrage de Nicolas Nova : “Futurs ? La panne des imaginaires technologiques”.
“Si l’on revient à la question de l’avenir et de ses représentations imaginaires et imaginées, cette condition post-moderne donne malheureusement un sentiment de tourner en rond, ou de rester enfermés dans un ensemble de références limitées. Doit-on se cantonner à voir se répéter les mêmes idées ?”
L’architecture en panne
Car c’est bien là que le bât blesse. Certes, il paraît que les vieux pots font les meilleures soupes ; mais à force de réinventer l’eau chaude, celle-ci a un goût bien fade. Transit-City s’en était d’ailleurs offusqué dans divers billets de blog, fustigeant certains « starchitectes » obnubilés par la science-fiction des années 50. Il en va de même du monorail initialement proposé par Christian de Portzamparc pour le Grand Paris, qui reprend presque trait pour trait certaines illustrations futuristes vieilles de plusieurs décennies.
De même, et malgré tout son talent, on peine à trouver des courants architecturaux plus inventifs qu’Archigram ou leurs cousins métabolistes, comme s’il était aujourd’hui impossible de produire un discours véritablement neuf sur le bâti. Bien sûr, nous grossissons volontairement le trait ; certaines pratiques, telles que l’architecture “périssable” et donc recyclable, ouvre la voie à des champs d’innovation encore inexplorés. Mais dans l’ensemble, et vue avec les yeux du profane, l’architecture contemporaine semble effectivement tourner en rond.
Les vertus du passé
Dans le même temps, certaines recettes du passé ressurgissent aujourd’hui, parfois par effet de mode, parfois en réponse à un vrai besoin urbain. Elles illustrent ainsi les mutations de la ville, et la capacité des innovateurs à piocher dans des références oubliées pour façonner de nouveaux services. Les food-trucks ne sont-ils pas la remise au goût du jour des traditionnels commerçants itinérants que l’on connaît depuis des années – des siècles même ! – en milieu rural ? De même pour l’essor de l’agriculture urbaine, qui n’est finalement qu’une version plus tendance du jardin ouvrier, qui a fait les grandes heures de l’urbanisme aux débuts de la société industrielle.
Certes, ces exemples ne sont pas à proprement des rétrofuturs. C’est peut-être là leur plus grande vertu. En effet, ils démontrent que ce n’est pas tant le aspect “vieillot” de ces idées qui les rend bonnes ou mauvaises, mais plutôt leur caractère plus ou moins utopistes. C’est ce que nous avions baptisé “utopies pudiques” : des visions du futur plus réalistes, plus proches des pratiques et attentes concrètes des usagers, fondées sur un modèle économique raisonnable et donc durable, etc. A la différence des projections rétrofuturistes, qui tombent presque toujours dans la démesure de moyens, et l’inadéquation avec les réalités de demain. Pour reprendre notre citation initiale : chaque époque rêve la suivante, et c’est une immense responsabilité face à demain : la moindre des choses est donc de le faire bien.
Pour aller plus loin :
- Panne d’imaginaire dans la ville – sur le blog de Chronos
- Et si les architectes quittaient enfin Krypton et Gattaca – sur le blog de Transit-City
- Utopie pudique – sur le glossaire de [pop-up] urbain