L’architecture bioclimatique peut-elle s’envisager à l’échelle de toute une ville ?
Il fait toujours aussi chaud en ville et, comme Erwan Cordeau, chargé d’études sur le climat, l’air et l’énergie à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Ile-de-France, nous avait renseigné, dans notre dernier article, sur les mécanismes à l’origine de cette canicule urbaine et plus précisément sur la formation et l’action de ces fameux îlots de chaleur urbains, nous avons souhaité en savoir un peu plus.
Pour rappel, il nous expliquait que les îlots de chaleur sont principalement dûs « au croisement de deux facteurs ». Ces deux facteurs ainsi résumés sont la forte présence humaine (et donc par conséquent l’ensemble des activités qui en découlent et, de surcroît, la pollution…) et la structuration de la ville elle-même, autrement dit son organisation et les matériaux utilisés à l’occasion de sa construction.
Alors que dans ce premier article, nous nous étions concentrés sur les « solutions de rattrapage » qui se développent dans certaines parties du monde en vue de faire baisser la température en ville, (et notamment cette idée un peu folle, mais scientifiquement très efficace, de repeindre les toits et différentes surfaces horizontales présentes en ville, en blanc) nous avons souhaité cette fois-ci nous intéresser plus spécifiquement à l’organisation de la ville elle-même. Par organisation, il sera plus spécifiquement question de son système urbanistique et architectural.
Pour Erwan Cordeau, le raisonnement est assez clair, « plus les rues ont la forme d’un canyon urbain, c’est-à-dire étroites et bordées de hauts murs, plus la chaleur a du mal à se dissiper. La ville se refroidit alors plus difficilement encore ». Dès lors, il nous reste donc à réfléchir sur une organisation de ville qui puisse être en adéquation avec la hausse des températures de ces dernières années. Une hausse qui devrait se poursuivre si l’on en croit les prévisions des scientifiques qui abordent régulièrement la question du réchauffement de la planète… Une telle réflexion nous pousserait à nous intéresser aux fondations de la ville, à sa conception elle-même, à l’architecture de ses bâtiments, dans le but de « tirer le meilleur parti des conditions d’un site et de son environnement, pour une architecture naturellement la plus confortable pour ses utilisateurs ».
Adapter l’architecture bioclimatique à toute une ville
Cette réflexion existe déjà et se développe dans le cadre de l’architecture bioclimatique ou de ce qu’on appelle le « bioclimatisme ». Avec cette manière de concevoir l’architecture, il s’agit avant toute chose de réfléchir en termes d’adaptation. Le logement est ainsi conçu de manière à profiter pleinement de son contexte environnemental dans le but, à terme, d’optimiser les apports que lui offre ce contexte, notamment du point de vue de l’énergie.
Ainsi, le climat environnant vient jouer un rôle fondamental dans les réflexions qui vont guider la construction du bâtiment depuis sa conception jusqu’à son équipement lui-même. Il s’agit notamment de permettre à ses futurs habitants de pouvoir, par l’orientation de leur logement, par les matériaux qui sont choisis pour sa réalisation, par la disposition de ses différentes pièces, de pouvoir à la fois se protéger du froid l’hiver en captant au mieux les rayons solaires, tout en optimisant, en été, sa capacité de conservation de fraîcheur.
Seulement, alors que de nombreuses expériences positives sont réalisées dans le cadre de bâtiments bioclimatiques, la canicule urbaine nous force à réfléchir à une échelle plus large, celle du quartier, voire même de la ville toute entière. En résumé, la question que pose en ville, la canicule des mois d’été, porte sur notre capacité d’adapter les théories portées par l’architecture bioclimatique dans le cadre de bâtiments uniques, à une ville toute entière ?
Selon Erwan Cordeau, c’est une théorie tout à fait envisageable : « Il est en effet possible d’intégrer les concepts de l’architecture bioclimatique à l’échelle d’un quartier, notamment ceux de l’orientation par rapport au soleil, de l’ombrage, ou encore de pénétration de la ventilation par rapport à l’aérologie ». Mais une fois de plus, il s’agit de réfléchir « au cas par cas », autrement dit d’agir de manière singulière sur les différentes parties de la ville.
« Si on prend l’exemple d’un îlot urbain sur la question de la ventilation, il sera nécessaire de réfléchir à la construction d’un axe pouvant offrir la pénétration de vent à l’intérieur de l’ilot. Le problème est qu’à nouveau il nous faut faire du cas par cas. Car si cet ilot est environné de voiries très passantes en matière de véhicules, qui peuvent être sources de bruit ou sources de pollution de proximité, il sera nécessaire d’adapter ces axes pénétrants pour éviter les nuisances au sein même de l’îlot. En effet, si le tissu est ouvert dans l’îlot, la qualité de l’air et le bruit vont se disperser en son sein. En fonction de la typomorphologie urbaine, il faut donc adapter. Toutes les solutions bonnes sur le papier ne sont pas bonnes dans tous les cas. » Ce discours d’Erwan Cordeau, c’est celui prôné conjointement par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Ile-de-France et Airparif, qui, créée par le Ministère de l’Environnement, agit pour la surveillance de la qualité de l’air en région Île-de-France.
Mais aujourd’hui, mis à part certains écoquartiers qui fleurissent un peu partout en France et à l’international, il apparaît que le bioclimatisme reste encore cantonné à des constructions ponctuelles, sans pour autant prétendre faire partie intégrante de la construction ou de la restructuration de tout un pan de ville. C’est notamment le constat dressé par l’article de Marie Jo Sader « Ecoquartiers : laboratoires de la ville de demain ou ghettos écolo ? » : « Ces opérations urbaines sont de véritables avancées à l’heure où 80 % de la population française vit en ville. Mais pour le moment, elles émergent ici et là sans réelle connexion avec les quartiers alentours avec le risque de devenir des ghettos réservés à des habitants privilégiés. Car le défi sous-jacent à la construction de ces quartiers restent (sic) tout de même de parvenir à généraliser les solutions qui y sont déployées à l’échelle de la ville. »
De premières tentatives de villes bioclimatiques
Même si elles ne se comptent que sur les doigts d’une main, il existe tout de même des expériences notables de bioclimatisme à l’échelle d’une ville toute entière. La première d’entre elles, n’est autre que la fameuse Masdar City, près d’Abu Dhabi. Dévoilée en 2006 avec des plans avant-gardistes, cette nouvelle ville, annoncée comme un véritable rêve urbanistique, se voulait être un modèle écologique urbain international. Disposant d’un budget quasi illimité, les concepteurs de la ville comptent faire de Masdar une ville qui ne rejette aucune quantité de carbone, qui ne produit aucun déchet, qui ne dégage aucune pollution et qui ne consomme aucune source de pétrole. Mais ce n’est pas tout, puisqu’aucune voiture n’y sera admise.
Pour y parvenir, ce sont les architectes britanniques Foster and Partners qui ont été désignés pour dessiner l’architecture et le design de la ville. Privilégiant des idées tirant leur origine de l’architecture bioclimatique, ils ont notamment imaginé une ville pouvant laisser la part belle aux courants d’air, à l’ombre, ainsi qu’à des rues étroites.
Entre 11’30’’@ et 13’
Seulement voilà, comme le relate cet article du journal Le Monde, aujourd’hui Masdar City ne semble être qu’un mirage en plein désert. Située à une vingtaine de kilomètres du centre-ville d’Abou Dhabi, cette ville devait pouvoir accueillir 52 000 habitants et 40 000 emplois en 2016. Une échéance intégralement revue depuis, puisque l’on parle de l’horizon 2030 pour la fin totale des travaux. Aujourd’hui, Masdar City ce n’est donc que deux ilots de 150 000 m2.
Mais ce n’est pas tout, car ce qui devait être un modèle écologique pour le monde entier, se révèle surtout pour l’instant être le paroxysme de l’utilisation de la technologie en ville, au service de l’écologie. Ce qui au final, semble bien contraire aux valeurs prônées par le bioclimatisme, qui se base avant tout sur des principes et astuces anciens, remis au goût du jour. C’est en tout cas le point de vue de Thierry Bonne, architecte urbaniste français, à l’origine d’un projet de ville bioclimatique en Libye.
Ce projet de ville bioclimatique, c’est Sidi-Sayeh. Une ville qui devait être l’extension de Tripoli, la capitale de la Libye et qui devait accueillir 70 000 habitants. L’ambition proposée par Thierry Bonne était entièrement basée sur les principes du bioclimatisme. Radicalement différent du projet de Masdar, l’idée était de mettre au cœur du projet le vent et le soleil, en recherchant « la ventilation naturelle des espaces urbains, autant que des espaces privés ». Il s’agissait donc d’ « amener le vent frais de la mer au pied de chaque villa et logement au travers le dédale urbain », pour « réaliser la première ville bioclimatique ventilée naturellement au monde ».
Pour cela, l’architecte s’est associé au laboratoire Eiffel à Paris, spécialiste de la soufflerie : « Chaque parcelle urbaine et chaque logement ont été étudiés en soufflerie. Nous avons ainsi créé des centres urbains capables de redynamiser le vent qui faiblit au bout de 400 m dans un tissu urbain, et des parcs pour rafraîchir ce même vent et le ressourcer ». Et ce qui différencie ce projet de Masdar, n’est autre que l’utilisation de la technologie : « La technologie est utilisée en amont dans la conception et non en aval pour résoudre des désordres conceptuels. L’économie des coûts d’utilisation en énergie est de l’ordre de 30 % ».
Malheureusement, ce projet n’a pu être mené à son terme, puisque deux mois avant le lancement des opérations sur place, la guerre éclatait en Lybie, bloquant toute perspective de développement de Sidi-Sayeh.
Une mésaventure qui n’est sans doute pas sans rapport avec le point de Thierry Bonne, quand on le questionne sur les causes de l’absence d’expérience concrète de ville bioclimatique : « Nous avons mis deux ans à convaincre les autorités sur le bienfondé de l’application de tels principes. Comparé à l’utilisation excessive de technologie déployée dans un projet tel que celui de Masdar, nous misions alors sur la simplicité de savoirs ancestraux mais extrêmement efficaces pour développer un réel exemple de développement urbain arabe. Et pour travailler sur de telles échelles, le temps se doit d’être long et non soumis aux temps courts de la décision politique. En travaillant sur des documents de planification tels que les PLU, nous pourrons peut-être à terme envisager de tels projets, mais la volonté politique est primordiale ».