Espaces cois : une ville calme est-elle vraiment désirable ?
Refrain redondant ou tendance réelle, la recherche de tranquillité dans l’espace urbain semble remise au goût du jour ces derniers temps. Les moyens pour trouver un coin paisible en ville se multiplient – ou du moins sont de plus en plus médiatisés. De la carte collaborative recensant les “quiet places” d’une ville, jusqu’aux campagnes publicitaires invitant à la sacro-sainte déconnexion numérique, il n’existe rien de plus hype que de ce se sentir comme à la campagne au beau milieu du tumulte des métropoles. Faut-il y voir le grand retour de la “ville mal-aimée” ?
A la recherche du calme urbain
Tout citadin qui se respecte aura souhaité, une fois au moins, se ressourcer en ville sans pour autant y parvenir. Entre les bruits du trafic et la pollution omniprésente, les métropoles ne sont pas forcément symboles du “bon vivre” dont on nous fait régulièrement la promesse… Pourtant, même les urbains ont besoin de repos… A New York, des citadins ont d’ailleurs développé une cartographie interactive permettant de retrouver – en temps réel – les lieux les moins tapageurs de la Grande Pomme. La tendance est même devenue un marronnier de la presse estivale, à Singapour comme à Paris.
Ville tranquille, ville gentrifiée ?
Cependant, l’horizon d’une ville “pèpère” ne va pas sans contreparties plus pernicieuses… Comme le rappelait récemment un article de la Ville de Paris, le calme en ville est une denrée rare, et elle coûte forcément plus cher :
“Après 10 ans, une ségrégation s’était opérée entre les habitants plus ou moins aisés, les mieux armés culturellement ayant progressivement obtenus d’être relogés dans l’aile la plus calme.”
Ainsi, la quête de ce nouvel eldorado constitue une exigence que seuls des habitants plus aisés peuvent s’offrir, contribuant par là même au creusement des inégalités sociales dans l’espace de la cité. Le mot est lâché : “gentrification”, qui suscitera d’éternels débats dans la population. En sachant cela, peut-on totalement se réjouir de l’installation de tels succédanés champêtres dans des quartiers au prix de l’immobilier initialement abordable ? L’apaisement de la ville a un prix : il convient donc de s’interroger sur les nuances qui la composent.
De la ville chiante à la ville morte
Au-delà de ces questions socio-économiques, il existe un autre revers à la médaille de la tranquillité urbaine : l’ennui. Les défenseurs d’une ville vivante redoutent par dessus tout ce que l’agence Deux Degrés a brillamment baptisé “enchiantement urbain”, partant en croisade contre l’aseptisation des espaces ascètes. Dans la même veine mais en plus policé, des musiciens parisiens avaient ainsi lancé ce cri du cœur en 2009 : “Quand la nuit meurt en silence”, auquel s’étaient joints quinze mille fêtards en colère. Un témoignage parmi d’autres des craintes qui pèsent sur les villes trop silencieuses, qu’a pourtant si bien chantées Dominique A.
Haro sur la quiétude !
Dans ce contexte, il nous apparaît nécessaire de mettre un frein à la marche en avant de la tranquillité urbaine : mettre de la nature en ville, pourquoi pas ; faire rouler des voitures électriques, bonne idée… Mais de grâce, n’assassinons pas la ville à coups de silence ! Qui donc rêve d’habiter une ville abandonnée ? Comme disait (presque) l’autre : la ville tu l’aimes, ou tu la quittes :
“Adieu donc Paris, ville célèbre, ville de bruit, de fumée et de boue, où les femmes ne croient plus à l’honneur, ni les hommes à la vertu. Adieu Paris ; nous cherchons l’amour, le bonheur, l’innocence : nous ne serons jamais assez loin de toi.”
(Jean-Jacques Rousseau, L’Emile ou l’Education, 1762)
Le message est simple, efficace, peut-être un peu trop… Mais il a le mérite de poser les conditions du débat : la ville silencieuse ne doit pas être absolutiste, au risque d’en payer le prix fort en faisant fuir celles et ceux qui s’épanouissent dans son charivari. On espère donc que le plus bruyants d’entre vous resteront, afin que les représentations urbaines les plus inquiétantes ne deviennent pas réalité dans un proche avenir…
par Margot Baldassi