Les enfants dans la ville : un indicateur de la ville pour tous ?
Nombreux sont les jouets pour enfants à reproduire les villes, de la réalité virtuelle des Sims aux villages de Barbie, les enfants se constituent un monde à l’image de celui des adultes. Leur vision déforme évidemment la hauteur de cet environnement urbain et la ville doit s’y adapter afin de les intégrer.
Cette thématique est récurrente depuis le début du XXe siècle, Le Corbusier pense notamment dans La Charte d’Athènes à leur sécurité et à l’optimisation de l’espace pour les encadrer. C’est aujourd’hui l’aspect ludique de l’espace urbain qui interpelle les autorités. Comment faire de la ville un réel terrain de jeu qui enthousiasmerait les enfants tout en rassurant les parents ? Si une telle volonté politique est louable, il faut tout d’abord noter l’inégalité d’attractivité des différents espaces urbains. Les centres villes concentrent généralement les activités pour les enfants, délaissant les périphéries. Pourtant, les enfants représentent le dynamisme et il est important de les laisser grandir dans des espaces adaptés. La problématique d’aménagement concerne principalement la prévention, voitures, motos et bus envahissent l’espace public, comment leur laisser aux plus jeunes un accès à toute la ville ? Entre pelouses interdites et aires de jeux restrictives les enfants ne peuvent appréhender l’espace dans son intégralité. De plus, lorsque l’on pense aux enfants, la catégorie d’âge est large, de l’enfance à l’adolescence, les espaces doivent donc pouvoir se moduler pour pouvoir accueillir les plus jeunes comme les adolescents. Alors comment imaginer la ville de demain où tout serait possible pour eux ?
Les plus jeunes sur la touche
Aujourd’hui, 70% à 80% des enfants européens sont citadins mais une simple balade dans la ville permet de se rendre compte que les enfants peinent à se déplacer. Les marches et trottoirs sont hauts, les barrières les empêchent de voir au loin et les bruits et odeurs des pots d’échappement agressent leurs sens. Si les enfants ont besoin de faire une pause, les bancs et espaces calmes sont rares. Longtemps la notion d’âge a créé une ségrégation de l’espace public et les enfants ont été mis à part. Aires de jeux, écoles, maisons : un parcours bien défini qui les empêche de découvrir l’univers urbain. Les espaces balisés et sécurisés sont en effet rassurants mais ils créent une restriction dans la découverte. De plus, les espaces de jeux restent limités et souvent peu ludiques, les normes de sécurité devenant particulièrement étouffantes. De plus en plus aseptisés, les espaces pour les enfants ne disposent plus de recoins pour se cacher et jouer à l’abri des regards. Les couleurs métalliques manquent de douceur, les toboggans de hauteur et les tunnels sont supprimés.
Les grands enjeux de l’égalité sociale recentrent régulièrement le débat sur l’espace public. Edith Maruéjouls présente dans La ville comme espace genré, la nécessité de veiller à ce qu’aucune ségrégation n’ait lieu. En effet, les aires de jeu présentent souvent les prémices des inégalités entre les filles et garçons. Les terrains de foot, principalement occupés par des garçons occupent tout l’espace tandis que les filles se trouvent cantonnées aux recoins pour jouer à l’élastique ou à la marelle. Elle propose d’effectuer des roulements dans l’occupation des terrains, un jour pour une activité afin d’optimiser la communication entre les enfants et supprimer l’idée qu’une activité soit orientée vers un sexe ou un autre. Cette égalité dans l’espace urbain serait également à développer de façon homogène. Les aires de jeux doivent être présentes du centre à la périphérie et accessibles en transports. La qualité des infrastructures et leur entretien doivent être équivalents afin de limiter la ségrégation d’un quartier à un autre et ainsi permettre la communication entre les habitants.
Thierry Paquot, auteur de La ville récréative, souligne à quel point le milieu urbain peut sembler à la fois moche et sale vu d’un mètre plus bas. Or, l’expérience urbaine stimule la créativité et l’imagination de l’enfant, il est donc indispensable de réadapter l’espace urbain à son échelle. En effet, leur autonomie dans la ville est mise à rude épreuve, si 46% des enfants vont à l’école à moins de 5km de leur domicile, rares sont les parents les laissant s’y rendre seuls. Les plus jeunes désertent les rues alors que le vélo, le roller et la trottinette seraient des moyens de transport plus agréables que la voiture de leurs parents. Alors comment rendre aux enfants un espace qui leur revient autant de droit qu’aux adultes ?
Comment les enfants peuvent-ils conquérir la ville ?
Les villes dessinent leur attractivité autour de l’accueil des familles avec des enfants. Les infrastructures publiques deviennent donc un enjeu majeur dans les politiques d’accueil. Sport et culture sont privilégiés mais oubliant cependant régulièrement les plus petits. Les palais des Beaux-Arts sont notamment peu adaptés aux enfants. C’est pourquoi l’exposition Titeuf au musée par le dessinateur Zep à Lille a eu tant de succès : les blagues autour des tableaux ont recréé une connexion avec les plus jeunes. Les pancartes dans la ville sur cette exposition aux couleurs acidulées ont permis de recréer une communication perdue dans la rue avec les enfants.
Depuis 2002 le réseau européen Child in the City vise à promouvoir les initiatives urbaines qui recentrent les enfants au cœur des villes. L’exercice porte notamment sur les droits des enfants au sein des quartiers. La prochaine session aura lieu en 2018 à Vienne et concernera la mobilité des enfants, le droit à jouer, leur santé et la participation des villes dans le processus de bien-être pour les plus jeunes. Leurs résultats prônent une liberté pour les enfants à pouvoir se déplacer dans la ville en toute sécurité dans leur quotidien. Les politiques urbaines doivent être pensées sur du long terme par tous les acteurs de la conception de la ville. Le nouveau plan d’urbanisme de Londres met particulièrement l’accent sur cette thématique, des aires récréatives spontanées seront mises à disposition avec 10m² par enfant. En effet, les aires de jeux doivent se profiler aux yeux des enfants dès que possible afin de redonner une lecture ludique du paysage urbain. Ce sont surtout les besoins de chaque quartier qui seront identifiés afin de répondre aux attentes de ce public si particulier.
Les adolescents sont eux aussi régulièrement exclus du débat, ils appartiennent pourtant à une catégorie de jeunes qu’il ne faut pas négliger. Leur quête d’émancipation rend la conquête de la ville excitante. Comment leur proposer des espaces indépendants et sécurisés ? Pour répondre à leurs besoins, la modernité ne doit pas être occultée : Wifi gratuit, projections nocturnes, expression graphique par le street art, concerts gratuits, espaces verts et sportifs ou encore lieux d’études en plein air. Les nouvelles constructions modernes et contemporaines se prêtent à ce nouveau défi. Les espaces verts milanais répondent à cette attente, certains sont désormais équipés de Wifi. A proximité des transports, ils présentent une alternative verdoyante à l’accueil des adolescents.
Aménagement et enfants : comment recréer un lien ?
Pourquoi ne pas laisser les enfants recréer leurs propres jeux ? Une participation des enfants serait intéressante pour les aménageurs afin de créer des espaces de jeux mobiles et ludiques. En impliquant parents et enfants, les espaces deviendraient des supports d’activités favorisant les échelles entre tous les âges. Des évènements comme la fête des Lumières de Lyon reflètent la pluralité des possibles pour les échanges intergénérationnels. La représentation sur la colline par l’équipe artistique d’OCUBO et le collège Jean Moulin a présenté une production sur Guignol sur le lieu où la marionnette a vu le jour. Symbole depuis 1808 cette célèbre marionnette a séduit les plus jeunes comme les plus grands par son éclat et sa musique. Les différentes installations lumineuses étaient utilisées par les parents comme les enfants. La ville a réfléchi depuis quelques années à la place des plus jeunes dans son centre, on peut notamment trouver un toboggan afin de descendre jusqu’aux rives du Rhône accessible à tous.
Le jeu devient donc un moyen d’appropriation de la ville mais aussi un lieu de sociabilisation entre les enfants et avec les adultes. Dans Vie et mort des grandes villes américaines, Jane Jacobs raconte comment seulement quelques décennies auparavant les habitants s’occupaient de surveiller les enfants. Un aménagement simple, sans grandes tours ni rues bondées, permettait une communication et une intégration de ces enfants. Au-delà des simples aires de jeux, c’est la question de la cohabitation qui est mise en lumière. Les enfants sont le devenir des villes, cela présuppose donc de les laisser courir, jouer et explorer en toute liberté. Cette volonté d’évasion peut sembler idyllique mais replacer les plus jeunes dans un cadre où tout leur est possible permettra de créer une ville accueillante et vivante.
Vos réactions
je suis très intéressée par le sujet,du fait de notre réflexion sur ce sujet ,en tant qu’association et membre d’une équipe citoyenne dans le cadre de la politique de la ville.
Y-a-t-il un moyen d’être tenues informées du cheminement des expérimentations que vous recueillez.
Merci par avance
Très intéressée par votre approche et par les exemples que vous citez
Pour aller plus loin, le dossier de Métropolitiques sur le sujet :
http://www.metropolitiques.eu/Les-enfants-dans-la-ville.html