Pourquoi chasserions-nous le bruit en ville ?

Le bruit dans la ville
17 Oct 2017

Parle-t-on de “bruits de la ville” ou de “sons de la ville” ? Du matin au soir, de jour comme de nuit, le gargouillement de cette machine urbaine ne cesse. Voitures, travaux, badauds, ou encore chant des oiseaux, la ville raisonne. Parle-t-on de bruit ? Parle-t-on de sons ? La réponse est subjective.

Avec l’industrialisation de nos sociétés occidentales, l’arrivée de la voiture en ville, la croissance démographique ou encore la concentration des activités, les décibels n’ont cessé de grimper. Une réalité qui tient nos sens et notre cerveau en éveil permanent. De telle sorte qu’aujourd’hui, les rapports, expertises et plaintes concernant des “délits d’agression sonore” se multiplient. On ne parle plus de son, de mélodie, ni de musique urbaine. Le bruit est devenu une nuisance, une pollution, un délit. Le bruit, serait source de désagréments, générateur de stress, perturbateur du sommeil.

En réponse à ce nuisible, source d’augmentation du risque cardiovasculaire chez les urbains, les pouvoirs publics mettent en place une législation spécifique. En Allemagne, la législation du bruit fait son apparition dès les années 90. La France suit également très rapidement. Des indicateurs sont alors mis en place pour mesurer le degré d’agression lié aux percussions urbaines. En France, ceux-ci dépendent d’une grille horaire et d’une typologie de lieux. En 2003, la lutte contre les nuisances sonores dans les métropoles est inscrite à l’agenda politique, avec la définition d’un délit d’agression sonore dans le Code pénal français. Le bruit est une menace.

Que sa sanction soit établie sur des critères relatifs ou non, un constat global est à noter. La mélodie urbaine est aujourd’hui qualifiée de pollution sonore et ne constitue plus une sonorité ni une poétique de la ville. Si nous sommes en quête d’apaisement sonore, de repos de nos oreilles pourquoi ne pensons-nous pas des villes silencieuses ? Que révèle ce ras-le-bol auditif ?

Construire une ville silencieuse ?

“Il est 5 heures, Paris s’éveille”. Dans sa célèbre chanson, Jacques Dutronc nous dresse le portrait d’une ville en plein éveil. “Les camions (…) plein de lait”, “les balayeurs”, “les amoureux fatigués”, “les cafetiers”, “les boulangers”, “les banlieusards (…) dans les gares”, tout le monde s’affaire. Une petite musique entrainante nous plonge en toute légèreté dans l’effervescence stimulante de la ville en plein réveil. C’est tout un imaginaire qui se dresse dans notre esprit à la saveur de cette chanson.

Et si les villes étaient silencieuses ? A quoi cela ressemblerait-il ? Cela est-il possible ? Une journée en pleine ville, finalement, quelles sont les sources de nuisances sonores ?

Selon les études, la première source de nuisance sonore en ville, identifiée par les citoyens, serait liée à la circulation. Aujourd’hui, dans la conception automobile, les moteurs électriques permettent à nos véhicules de ne plus faire de bruit. Dans cette ville imaginaire, sans bruit, les voitures, les déplacements motorisés, n’emmettraient plus aucun son. Pompiers, policiers et ambulanciers, eux, n’actionneraient plus leurs sirènes. Nous nous baladerions alors en ville, comme sur un chemin de campagne, à l’écart de la circulation. Nous bénéficierions en quelques sortes d’une pause urbaine, d’un repos dans la stimulation de nos sens.

Deuxième source identifiée : les bruits de voisinages et les cris d’enfants. Là il est plus difficile de supprimer son voisin en ville. Nous pourrions pourtant imaginer, comme nous sommes déjà plus ou moins en train de le faire, d’isoler au maximum nos intérieurs. Cloisons insonorisées et triples vitrages. Pour ce qui est des enfants, les résoudre au silence devient encore plus compliqué. Pourtant, à Berlin en 2010, une législation de “tolérance” des sons des enfants en tant que signe de leur épanouissement avait été mise en place. Le décret a été revu l’année suivante en déclarant que les sons/ bruits des enfants devenaient socialement acceptables, en tant que “musique vivante du futur”.

Enfermer et étouffer le bruit est donc possible. Mais, quid de la mélodie urbaine ? De notre sensibilité poétisée dans notre rapport au bruit ? Voulons-nous supprimer ces journées, fenêtre ouverte, ou nous devinons le bruit d’un pas pressé, où nous saisissons les bribes d’une conversation, où nous percevons la passage d’un bus, où nous suspendons notre phrase au passage d’une moto ?

A quoi sert le bruit ?

Plus que de constituer une mélodie urbaine et de percevoir une certaine forme de charme urbain, il s’agit de comprendre pourquoi nous générons des bruits ? Pourquoi nous créons et acceptons des éléments urbains qui nous sont directement nuisibles ?

Les premiers éléments de réponse viennent à l’analyse de la réaction collective face à l’arrivée généralisée de la voiture électrique. “On ne les entends pas arriver ! C’est dangereux !”.

L’ouïe, comme la vue, le goût, le toucher ou l’odorat, fait partie de ce que nous appelons communément les cinq sens. Du point de vue physiologique, les sens sont les organes de la perception. Ces organes sont les capteurs du corps humain, l’interface entre notre corps et l’extérieur, entre nous et les autres. Les sens nous permettent de percevoir et d’identifier notre environnement mais aussi de nous protéger. Dans la nature, au sens primitif, les sens permettent de sentir l’ennemi approcher, de l’appréhender, d’en connaître la forme, les contours et les intentions.

Ne plus entendre les voitures, c’est devoir compenser par la vue pour ne pas se faire percuter par exemple. Ne plus entendre, en résumé, c’est ne plus avoir conscience de l’autre. C’est n’avoir plus conscience que de soi et se couper de son environnement. Perdre le bruit, c’est perdre des informations essentielles à notre survie sur l’identité du lieu dans lequel nous évoluons. Le bruit, d’une certaine manière, est source d’une organisation urbaine, entre le piéton et l’automobiliste par exemple. Il prévient l’autre de notre présence ou de notre activité en cours.

Si le bruit peut constituer un désagrément, il constitue également une identité territoriale. Les bruits sont attachés à des lieux. Tout comme les odeurs ou les saveurs.

Il existe un imaginaire sonore urbain. Souvenez-vous de ce passage d’Amélie Poulain, où Audrey Tatou aide un aveugle à traverser. Ce passage qui l’espace d’un instant vous laisse devenir aveugle. Le chant des oiseaux, la canne, qui tapote doucement le bord du trottoir, le bruit de l’eau, celui des voitures. Et soudain, la présence d’Amélie Poulain, qui lui décrit à toute vitesse ce paysage sonore : “la veuve du tambour de la fanfare”, “le rire du mari de la fleuriste, (qui) a une petite ride au coin des yeux”, le rire du “bébé qui regarde un chien, qui regarde un poulet rôti”. En une minute, “la rumeur tranquille de la ville” se déploie. Les sons urbains deviennent doux à notre oreille.

Les bruits de la ville sont associés à une ambiance, à un imaginaire, eux-même liés à des usages. De Barbès à la Gare Montparnasse, les bruits ne sont pas les mêmes et nous donnent des informations subjectives sur l’endroit où nous sommes. Du bruit du train à celui d’un vendeur du marché. Les bruits révèlent des pratiques, des formes diverses d’appropriation d’un espace par une culture ou par un groupe social, par les activités qui s’y pratiquent, que notre oreille nous suggère.

Pourquoi le bruit est devenu une pollution ?

Nous sommes aujourd’hui plus de la moitié de la planète à vivre en ville. Cela signifie que nous sommes 50% de la population, regroupés, sur moins de 1% de la surface de la terre émergée. Les densités de population sont importantes. Nous vivons également dans un monde globalisé, où les flux sont importants. Où tout s’est accéléré au cours des dernières décennies. L’intensité du bruit monte donc en puissance, tel un indicateur de quantité de vie sur un lieu donné. L’augmentation du niveau de bruit est donc une réalité. La capacité de l’être humain à supporter cette augmentation en est une aussi. Pourtant, comme nous venons de le voir, nous ne pouvons et ne voulons pas réduire la ville au silence.

La réduction du bruit en ville est associée à la neutralisation d’autres pollutions que nous essayons actuellement d’écarter de nos villes. Si nous regardons de plus près le problème du bruit en ville, nous pouvons penser que nous ne sommes pas dérangés par le bruit en tant que tel. Nous sommes agressés par sa disproportion et par ce qu’ils sous tend. Ce cri s’inscrit dans une revendication plus large de recherche de bien-être collectif. Est-ce vraiment le bruit des voitures qui nous gène ? Puisque si nous les rendons silencieuses elles nous gênent quand-même ?

Le ras-le-bol général concernant le bruit urbain ne relève-t-il pas plutôt d’un besoin d’apaisement urbain général ? D’un nouveau mode de ville ? Ces symptômes liés au bruit ne sont-ils pas des appels physiologiques à un retour à des villes à taille humaine, à des échelles et des rythmes biologiquement meilleurs ?

LDV Studio Urbain
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Vos réactions

bouin sylvie
26 octobre 2017

Le bruit est en effet un vaste sujet de réflexion et il sera même l’objet de trois jours de discussions les 27, 28 et 29 novembre 2017 à la Cité des Sciences et de l’Industrie de paris la Villette à l’occasion de 8=es Assises nationales de la qualité de l’environnement sonore.
Le thème de cette année : « Imaginons les environnements sonores de demain ».
Avec son évolution démographique et son urbanisation croissante, le monde de demain suppose des villes plus denses, plus hautes, plus métissées, plus intenses, avec des enjeux cruciaux en matière de santé, de vie sociale et de bien-être. C’est pourquoi, la problématique de l’environnement sonore apparaîtra toujours plus au centre des préoccupations urbaines.

Le futur est en marche, avec de nouvelles façons de communiquer, de produire, de se déplacer, de construire, de se divertir. Les innovations – dans tous les domaines liés à l’environnement sonore – seront au cœur de ces 8es Assises touchant les domaines du transport et de la mobilité, de l’urbanisme et de l’aménagement, de la santé et des relations sociales, des équipements et technologies, du bâtiment et de la construction.
Une édition 2017 d’exception
3 jours de rencontres, animations et expositions, 1 salon professionnel, 5 séances plénières, 30 ateliers thématiques, 21 ateliers professionnels et 7 conférences accessibles grand public.
Programme et inscriptions sur le site http://www.assises.bruit.fr
Les Assises sur Twitter : #ANQES

Cecile
2 mars 2021

Intéressant mais je cherche encore comment on peut parler de mélodie quand on entend le marteau piqueur à 7h du matin, une personne qui fait vrombir son moteur en pleine nuit, les bruits de travaux incessant. Honnêtement, le bruit des voitures ne me gênent pas personnellement ça reste plutôt discret et on s’y habitue. Par contre les klaxons à tout va, les moteurs de scooter qui font un bruit pas possible franchement ça n’a aucune utilité à part provoquer un pic de tension… et je ne parle pas des bruits des chantiers qui disposent de tout un attirail pour faire monter la tension des riverains alentours. Le problème n’est pas tant le bruit en lui même, je serais bien disposée à supporter une journée de marteau piqueur… sauf que c’est un jour de marteau piqueur, le lendemain c’est la disqueuse etc… et quand un chantier est fini un autre s’ouvre… j’aime la ville pour ce qu’elle offre en facilité de vie et j’ai l’impression d’être plus écolo (je peux tout faire à pied, magasins de vrac et bio à foison etc…) et économie d’énergies sur le chauffage en immeuble et petite surface. Alors que vivre à la campagne c’est avoir une voiture pour tout, pas de magasins de vrac à proximité, souvent vie en maison qui implique une plus grande dépense d’énergie. Mais je ne supporterai pas les nuisances sonores de la ville toute ma vie, le confinement et le calme dans la ville ont été une révélation : on est quand même bien plus détendus sans les 100db des engins de chantier !

Patrick VAUTIER
26 avril 2023

Quels sont les effets physiologiques des bruits de la ville? Je ne suis pas neurologue mais je les soupçonne gravissimes. La difficulté pratique est de les identifier dans la durée la fréquence et la hauteur, des paramètres que prévoit la loi mais qui ne facilitent l’analyse. A peine s’est arrêté un bruit qu’un autre survient . Pas possible dans cette cacophonie de pouvoir identifier l’exacte source sonore qui indispose. Pourtant le bruit persiste, la nuisance demeure et les effets s’aggravent. Combien de personnes pourraient encore entendre si elles n’avaient été agressées durant des années par la nuisance continue d’un bruit de fond indifférencié. Songeons à ces gens qui habitent à proximité de carrefours, d’aires de jeux
Une cause qui empêche la répression des émissions sonores traumatisantes tient au fait que la mémoire physiologique diffère de la mémoire historique : il est rare que le bruit qui occasionne une nuisance ait été enregistré, d’où une quasi impunité des fauteurs de bruits.
L’expérience montre que l’état est désarmé pour lutter contre les pollutions sonores: les mairies les préfectures sont sous équipées en appareils d’enregistrements, les personnels ne sont formés à leur technique et les experts ne sont suffisamment disponibles.
Dans un tel contexte, comment agir? , en prévenant les édiles, mais le bruit constitue souvent la nuisance collatérale d’une production qui rapporte des impôts, il ne faut peut être trop espéré de ce côté, en mobilisant les citoyens, sans doute parce que les nuisances endurées sont vraiment considérables mais cela suppose une information et même une formation ainsi qu’une mise à disposition de tout un équipement coûteux et très technique.
J’aspire à créer des structures associatives dont l’objet sera l’enregistrement et la dénonciation des nuisances sonores qui polluent le quotidien de très nombreux citoyens.

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