Les bureaux deviennent logements avec UNITY-CUBE
Le 28 janvier 2016, la Fondation Abbé Pierre présentait son 21e rapport annuel sur l’état du mal-logement en France. Elle y dénonçait globalement une « aggravation » des difficultés de logement pour l’ensemble des classes populaires, s’alarmait de la hausse du nombre de sans-domicile-fixe et déplorait enfin des conditions sanitaires précaires pour des millions de Français. Au total, ce sont près de 900 000 personnes qui sont actuellement privées de logement personnel.
Face à cette situation encore une fois très alarmante, trop de bureaux restent paradoxalement encore bien vides. Mais les travaux liés à un reconditionnement de ces espaces de travail en espace de vie demeurent bien souvent trop coûteux pour prendre de grandes mesures globales qui permettraient une fois pour toutes de résoudre cette situation. C’est le constat dressé par sept jeunes étudiants toulousains qui ont imaginé une solution modulaire et démontable, baptisée Instant ModularHome et qui vise à investir les espaces ouverts des bureaux inoccupés.
Nous avons rencontré Vincent LE GAL, qui fait partie de l’équipe des 7 cofondateurs d’Unity Cube.
Comment est née l’idée de l’instant Modular Home ?
Nous sommes sept cofondateurs, quatre architectes et trois ingénieurs. Deux d’entre nous, inscrits en école d’architecture, devaient réaliser leur projet de fin d’études. Le sujet choisi était la réutilisation des bureaux vides de manière générale. Parmi les différentes idées qui leur sont apparues, ils ont alors choisi de privilégier la création de logements.
D’un autre côté, l’équipe des ingénieurs dont je faisais partie, devions effectuer un module sur la création d’entreprises. Nous avons donc repris cette idée initiale, et nous avons tenté de la creuser un peu plus pour en faire un modèle économique viable.
Quel a été le constat pour développer un tel concept ?
Les problématiques autour du logement des plus démunis nous tiennent à cœur et même si certains d’entre nous ont fait de l’humanitaire, nous ne savions pas forcément comment nous investir sur ces thématiques. Mais pour développer notre concept, nous sommes partis du constat, qu’en France, il y a 5 millions de mètres carrés de bureaux vacants. Il faut savoir que les coûts pour la réhabilitation de bureaux en logement dépassent, pour la plupart du temps, les coûts liés à la destruction complète du bâtiment de bureau et la construction d’un nouvel immeuble de logements à la place.
Bien entendu, ce calcul ne fonctionne que si l’on souhaite respecter toutes les normes environnementales et parvenir à toutes celles que l’on attendrait de la part d’un immeuble de logements neufs. Par ailleurs, dans les cas où le prix du terrain nu serait très élevé, ce qui est notamment le cas dans le cœur des villes, ce raisonnement ne fonctionne pas. Mais en ce qui concerne leur périphérie où les prix des terrains sont bien moins importants, il paraîtrait absurde, en tenant compte des coûts actuels de transformation des bureaux en logements, de procéder à ce type d’opérations. Il serait en effet beaucoup plus rentable de détruire l’ensemble du bâtiment de bureaux, et d’en reconstruire un autre pour y inclure des logements.
C’est pourquoi, nous proposons une nouvelle solution, celle de réaménager les bureaux sans en détruire et sans modifier radicalement leur structure. Notre intervention laisse en effet la possibilité à la structure de bureaux de revenir à son état initial. Ainsi, nous préconisons de louer aux propriétaires de l’immeuble l’espace initialement réservé aux bureaux, de telle sorte à pouvoir y installer nos modules. De cette façon, lorsque le propriétaire souhaite récupérer son bien, car il aura trouvé un nouvel acquéreur, alors nous pourrons sans difficulté débarrasser l’espace de nos modules, et ainsi le laisser dans l’état où nous l’avions trouvé au moment de la location.
Comment le module se présente-t-il pour être intégré dans cet espace de bureau ?
Le module que nous avons mis au point se développe autour du concept d’une boite dans la boite. Cette boite démontable ne nécessite pas d’installations lourde. Il ne s’agit pas de casser un mur pour s’installer dans des espaces de bureaux, bien au contraire. On entend privilégier des bâtiments de type open-space disposant d’une gaine centrale d’alimentation qui se déploie à l’horizontal pour irriguer l’espace.
En général, dans ces bâtiments, mis à part cette gaine centrale, il n’y a pas de cloisons. Car dans le cas où le bâtiment n’aurait jamais été loué, le propriétaire préférera ne pas mettre de cloisons pour les monter en fonction des préférences de son client lorsqu’il l’aura trouvé. Dans le cas où le bâtiment a déjà été loué, alors les cloisons ont déjà été retirées ou sont encore en place. Dans ce dernier cas, nous demanderons donc à avoir accès au plan des espaces de telle sorte à pouvoir juger quelle(s) cloison(s) nous gêne(nt) et par conséquent faire passer le message au propriétaire afin de pouvoir la ou les faire retirer pour y installer nos modules. Mais même dans ce cas là, nous pourrons utiliser l’espace car certaines cloisons pourront nous servir en servant de séparations entre plusieurs modules et laissant ainsi un peu plus d’intimité encore, pour chacun des occupants. Au final, ces cloisons restantes peuvent nous servir de bonus à l’installation des modules.
En ce qui concerne la construction des modules, nous avons différents types de structures qui fonctionnent. Mais qu’importe le choix que nous ferons, l’installation des éléments se fera toujours sur place. Il s’agit d’éléments basiques, que nous assemblerons directement au sein de l’immeuble de bureaux (poteaux, poutres, palettes pour le plancher etc.) de telle sorte à limiter les nuisances liées à la livraison et l’installation. Il n’y a donc que les sanitaires et cabines de douches que nous ferons livrer entiers. Hormis ces deux éléments, l’ensemble sera assemblé sur place afin de pouvoir s’insérer dans n’importe quel espace.
Notre priorité aujourd’hui est de pouvoir proposer quelque chose de concret autour de notre solution, mais si on y arrive, nous souhaiterions ensuite laisser la possibilité aux occupants de co-construire leur logement afin qu’ils puissent se l’approprier plus facilement.
En ce qui concerne les propriétaires de bureaux, comment vous y prenez-vous ?
Les propriétaires de bureaux sont ceux qu’il nous est aujourd’hui le plus difficile à contacter. Ce sont souvent des grands groupes financiers ou des grandes compagnies d’assurance, dont le siège n’est souvent pas présent dans la ville correspondant à l’immeuble inoccupé. Ces groupes placent leur argent dans de l’immobilier de bureaux, en espérant un jour pouvoir les louer et être rentables.
Nous sommes donc passés par des bailleurs sociaux, qui eux, ont la responsabilité de loger des personnes qui sont plus ou moins dans une situation d’urgence. Parce-que les bailleurs sociaux ont énormément de demandes, ils sont constamment à la recherche de nouvelles solutions de logements. Et la situation du relogement est aujourd’hui tellement difficile, qu’ils n’arrivent pas à répondre à toutes ces demandes. C’est la raison pour laquelle, dans le système que nous avons mis au point, nous proposons aux bailleurs sociaux de faire partie de l’opération. Ils auraient ainsi le rôle de loueur ou d’acheteur de ces espaces de bureaux vacants.
Si nous parvenons tout de même à rentrer en contact directement avec le propriétaire d’un immeuble de bureaux vacants, nous lui proposons d’installer des modules dans les espaces qui lui appartiennent et de convenir avec l’Etat d’un modèle financier, permettant ainsi au propriétaire d’être dédommagé. Dans ce dernier cas, les dépenses engagées par l’Etat seront nettement inférieures aux frais engendrés par les dispositifs que ses services mettent en place pour la location de chambres d’hôtels ou d’autres coûts actuellement en vigueur pour résoudre des situations d’urgence.
Et pour la construction de modules en tant que telle, d’où viendrait le financement ?
Actuellement, si le plan avec le bailleur social fonctionne, nous financerons les premiers modules, grâce à l’argent que nous avons gagné avec les différents concours auxquels nous avons participé. Par ailleurs, une campagne de crowdfunding est également prévue pour le 22 novembre. Elle sera lancée sur la plateforme Petite Pierre et sera cofinancée par le Crédit-Agricole. Avec le soutien de cette banque et la campagne de crowdfunding, nous espérons ainsi lever au total entre 15 000 et 20 000 euros, ce qui nous servira à financer 3 ou 4 modules.
Ensuite, nous demanderons aux municipalités de financer ces modules avec les fonds qui sont habituellement destinés à la résolution de situations d’urgence. Et là encore, notre proposition sera bien plus avantageuse, car les coûts engendrés par la construction d’un module destiné à 3 ou 4 personnes sont bien moins inférieurs que pour la résolution de situations d’urgence, dans la durée, pour le même nombre de personnes. Au total, l’estimation actuelle pour la construction d’un module de 4 personnes est de l’ordre de 5000 euros.
Et maintenant, quelles sont les suites ?
Nous avons été en contact avec plusieurs conseillers de la Ministre du logement, Emmanuelle Cosse. Ils nous ont permis d’avoir une vision du contexte national et global afin de mieux faire correspondre notre offre aux besoins de la situation actuelle.
Et de façon très concrète, nous sommes actuellement en cours de négociation avec la mairie de Toulouse. L’idée du bailleur social nous est d’ailleurs venue de par les échanges que l’on a eus avec les responsables de la municipalité avec qui nous sommes en contact. Alors que nous recevions de très bons conseils des différents responsables à qui nous avions affaire, ni la municipalité, ni notre association ne pouvaient prendre en charge la location d’un bâtiment de bureaux vacants. Il nous fallait donc un troisième acteur autour de la table. C’est à ce moment là qu’on a pensé au rôle du bailleur social.
Ainsi, le bailleur social SA Patrimoine s’est déclaré intéressé. Dans un premier temps, ils vérifieront donc qu’un bâtiment de bureaux est bien disponible. Aux dernières nouvelles, il pourrait s’agir d’un immeuble situé dans le quartier du Mirail à Toulouse. Et parallèlement à leurs recherches, nous devrons leur faire une proposition concrète de solution pour le mois de janvier. Si notre proposition est acceptée, nous participerons alors à notre première opération de relogement.
Vos réactions
Une excellente proposition qui a le mérite d’opérationnaliser une volonté humanitaire et d’ancrer dans le réel une philosophie humaniste. Bravo à ces jeunes professionnels dynamiques, volontaires et créatifs qui marquent leur entrée dans le monde du travail par un action noble et intelligente.