Au-delà du fantasme des rues végétales
Façades végétales, potagers urbains et fermes verticales… Cela n’aura échappé à personne : depuis plusieurs années maintenant, la ville se rêve tout de vert vêtue. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les illustrations “officielles”, proposées par les cabinets d’architecture et d’urbanisme, résonnent étroitement avec les représentations de la “ville fertile” dans la culture populaire. Prospective du réel vs. prospective du fictionnel : afin de décrypter ce jeu de vases communicants, nous vous proposons une petite sélection d’oeuvres faisant la part belle au gazon urbain… histoire de faire germer en vous de nouvelles inspirations ?
Vertes prairies urbaines
Chaque jour, dans notre veille et sur les réseaux sociaux, défilent des photomontages présentant certaines de nos villes les plus familières recouvertes d’une épaisse couche de verdure. Récemment, l’agence d’architecture de Vincent Callebaut s’est illustrée avec ses représentations de Paris en 2050. Il est loin d’être le premier à offrir de tels perspectives à nos yeux plus habitués au gris du béton plutôt qu’au verdoyant des prairies urbaines. A la fin des années 2010, un collectif de designers japonais a publié de superbes versions végétalisées de villes mondiales : les principaux quartiers de Tokyo sont passés sous leur main, ainsi que Las Vegas, Hong Kong, Saigon… sans oublier Paris, qui a eu droit à sa verte prairie.
On est toutefois loin du zèle futuriste de Vincent Callebaut : ici, pas de gratte-ciels aux formes onduleuses, ni de nénuphars géants flottants dans la Seine. Les images du projet “Green Island” misent davantage sur le caractère familier des décors utilisés, ceux-ci étant à peine modifiés, pour mieux surprendre le citadin dans la découverte de ces pelouses s’étendant à perte de rue. Une manière de stimuler l’imaginaire des habitants, en leur montrant concrètement à quoi pourrait ressembler leur ville si elle devenait littéralement verte, dès demain, sans attendre 2050. On retrouve cette idée dans le site “Urban Jungle Street View”, qui propose une version alternative de la célèbre application de Google. Choisissez votre ville, et vous aurez peut-être le plaisir de la découvrir recouverte d’une dense végétation tropicale, conférant une tonalité “post-apocalyptique” aux bâtiments que vous croisez chaque jour !
La pop-culture, fertile en imaginaires urbains
Ces exemples à vocation plus ou moins réaliste, auxquels ont aurait pu adjoindre de nombreuses autres illustrations institutionnelles ou non, font en effet directement écho aux multiples représentations urbaines qui parsèment la culture populaire. Le jeu vidéo The Last Of Us propose par exemple des décors très proches de la jungle évoquée ci-dessus. Il en va de même pour le film I Am Legend, avec Will Smith, que nous avions eu l’occasion d’évoquer dans notre top 5 des villes animalières, mais aussi du dernier volet de La Planète des Singes, dans lequel les humains se sont réfugiés dans des villes en ruines. Le film offre parmi les plus belles représentations de la ville fertile que le cinéma nous ait donné à voir ces dernières années. Pour s’en convaincre, voici sa bande annonce :
Les références sont nombreuses, surtout dans la culture populaire récente, en particulier dans le jeu vidéo, qui semble se délecter de ces visions troublantes mêlant contextes familiers et végétation angoissante. Outre The Last Of Us, citons par exemple une célèbre séquence du jeu vidéo Final Fantasy VII (mais nous ne vous dirons pas laquelle), ou encore les jeux Enslaved et Crysis 2, qui prennent tout deux pour décor des rues et bâtiments luxuriants… Et nous pourrions continuer la liste, encore et encore. De tous ces exemples foncièrement anxiogènes, que retirer ? Faut-il y voir une certaine appréhension populaire, consciente ou inconsciente, à l’égard de la végétation urbaine ?
Apprivoiser la végétalisation des villes
Sans aller jusque là, il faut bien reconnaître que la ville fertile, dans sa version cinématographique ou vidéoludique, est rarement présentée comme une perspective positive. Elle est en effet bien plus souvent synonyme d’une menace sur l’espèce humaine, contrastant fortement avec les paisibles prairies présentées plus haut. Cette dichotomie souligne peut-être le rapport ambigu que nous entretenons, nous autres citadins, à l’égard de la nature. Si la plupart des habitants déclarent l’apprécier, invitant les municipalités à toujours davantage verdir les rues, la réalité est parfois moins facile à vivre. On pensera par exemple, avec humour, à ces verbatims extraits d’une enquête menée auprès des habitants d’un écoquartier :
« C’est magnifique, du lierre, on a du lierre qui pousse de partout. Il m’envahit mais bon c’est un mur végétal, il paraît que c’est très beau. Mais en attendant, il y a plein d’araignées, plein de bestioles. Ça fait franchement crade. Et toutes les petites bêtes qui vont avec… Donc moi, je mets du produit spécial, parce que franchement les araignées sur le balcon, super, quoi, c’est un peu flippant. »
Voilà peut-être, dans sa vérité la plus nue, ce que raconte ce jeu binaire entre les représentations policées de la ville fertile, et celles plus inquiétantes entraperçues dans la fiction. Cela ne veut évidemment pas dire que la ville du futur ne sera pas aussi verte que le laissent penser les travaux d’urbanistes et d’architectes qui occupent la scène publique… Mais simplement que les citadins de demain, qui seront les premiers concernés, devront d’abord apprivoiser cette relation inédite à Mère Nature, avec ce qu’elle a de plus agréable mais aussi de plus “gênant” quand on n’y est pas préparé. Une tâche qui implique aussi, si l’on en a le courage, de renverser les imaginaires anxiogènes qui préoccupent les artistes de tout bord !
Pour aller plus loin :
- Le projet “Green Island”
- La ville fertile, une amie qui nous veut du bien ? – sur pop-up urbain, le blog de l’auteur
- La vie en écoquartier, c’est beau mais y’a plein de bestioles – sur Rue 89